Dominique Tronc Communications




Table des matières

Dominique Tronc Communications 1

UNE FILIATION MYSTIQUE : CHRYSOSTOME DE SAINT-LO, JEAN DE BERNIERES, JACQUES BERTOT, JEANNE-MARIE GUYON. 3

Weitergabe eines mystischen Erbes : Chrysostome de Sains-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon 20

QUIÉTUDE ET VIE MYSTIQUE : MADAME GUYON ET LES CHARTREUX. 21

L’EXPERIENCE « QUIETISTE » DE MADAME GUYON. 47

UN MYSTIQUE RÉFORMATEUR DES CARMES JEAN DE SAINT-SAMSON (1571-1636) 67

François Trémolières, Donner à lire Mme GUYON 78

INFLUENCE MYSTIQUE ET POSTÉRITÉ DE MARIE DES VALLÉES 81

MADAME GUYON AU CENTRE D’UNE FILIATION MYSTIQUE 89

Madame Guyon at the centre of a mystical transmission 103

CONTEMPLATION ET VIE ORDINAIRE CHEZ M. BERTOT ET MME GUYON 122

LES SENTENCES PERSANES APPRÉCIÉES PAR POIRET ET PROBABLEMENT CONNUES DE MADAME GUYON 132

UNE PRÉSENTATION DE JEANNE-MARIE GUYON POUR ANTHOLOGIE THÉOLOGIQUE. 134

FIN 137



UNE FILIATION MYSTIQUE : CHRYSOSTOME DE SAINT-LO, JEAN DE BERNIERES, JACQUES BERTOT, JEANNE-MARIE GUYON.



P.U.F. Dix-septième siècle, 2003/1 – n°218, pages 95 à 116.



Madame Guyon revient à Paris en 1686, âgée de trente-huit ans. Veuve depuis dix ans, restée indépendante vis-à-vis de toute structure religieuse, elle affirme et exerce une autorité spirituelle. Celle-ci lui attache des disciples dont le plus illustre est Fénelon, ce qui lui attire rapidement de redoutables épreuves : elle les surmontera mais demeurera suspecte. Les circonstances décrites dans sa Vie et surtout dans sa Correspondance active et passive1 doivent être éclairées par une approche historique. Respecter ce dont elle témoigne d’intime dans ses écrits conduit à préciser les influences reçues qui ne sont pas seulement d’origine scripturaire, mais transmises directement de personne à personne. La lecture des sources découvre alors la grandeur, souvent abrupte, d’une filiation mystique reconnue mais peu étudiée2.

Celle-ci commence avec le franciscain Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646), s’illustre par la figure laïque de Jean de Bernières (1602-1659), s’étend au cercle de l’Ermitage dont fait partie le discret mais important confesseur Jacques Bertot (1620-1681). Le rôle de ce dernier déborde les clôtures religieuses et s’avère déterminant auprès de la jeune Jeanne-Marie Guyon (1648-1717). Elle assumera à son tour la fonction de ses prédécesseurs dans des circonstances devenues difficiles et donc d’une façon cachée.

Les quelques noms qui viennent d’être cités n’épuisent pas les richesses d’un réseau dont les figures couvrent le siècle (et au-delà). Les effets de la condamnation du « quiétisme » (1687) puis des Maximes des saints de Fénelon (1699), ainsi que leurs conséquences - absence de toute structure religieuse favorable, méfiance de laïcs par ailleurs sensibles à l’éloquence de Bossuet – ne sont pas encore totalement effacés. Bremond prévoyait un dernier volume de son grand œuvre consacré à l’histoire de la querelle du Quiétisme3 ; Cognet avait l’espoir de rédiger une monographie sur Madame Guyon4. L’un et l’autre ont disparu trop tôt. Nous proposons ici un bref aperçu d’une école mystique qui attend son historien pour la replacer au centre de la vie spirituelle du siècle. Nous présentons successivement quatre figures liées par filiation en les situant au sein d’un « réseau » d’amis. Quelques citations donnent la saveur du vaste corpus de textes de nature expérimentale qui restent à éditer et à comprendre.

Les origines. Jean-Chrysostome de Saint-Lô, directeur de Jean de Bernières.

La première communauté du Tiers Ordre Régulier franciscain aurait été reconnue par le Pape en 1401 et se propage jusqu’à Gênes où ils ont en charge l’hôpital5 ;  Catherine de Gênes (1447-1510), dont l’influence sera très grande chez Jacques Bertot et Madame Guyon, a été une tertiaire franciscaine. De l’Italie arrivent deux membres du Tiers Ordre Régulier, Vincent de Paris et son compagnon Antoine. Ils recherchent une solitude peu compatible avec les événements politiques de la fin des guerres de religion, comme en témoigne ce récit des tribulations de nos deux ermites aux mains des gens de guerre, alors qu’ils voulaient vivre cachés dans la forêt :

Ils tombèrent entre les mains des Suisses hérétiques, qui espérant une bonne rançon de quelques Parisiens qu’ils avaient pris parce que le siège [de Paris, en 1590] devait être bientôt levé, étaient résolus de les laisser aller, et de prendre les deux hermites. Frère Antoine en eut avis secrètement par une Demoiselle prisonnière, le malade [Vincent] qui tremblait la fièvre quarte entendit ce triste discours, et se jetant hors de sa couche descendit l’escalier si promptement qu’il roula du haut en bas, sans néanmoins aucune blessure. L’intempérance des soldats, et l’excès du vin les avait mis en tel état, que Vincent et Antoine s’échappèrent aisément… 6

Vincent établit le monastère de Picpus entre le Faubourg Saint Antoine et le château du bois de Vincennes ; la congrégation se développe et une bulle de 1603 ordonne qu’un Chapitre provincial soit tenu tous les deux ou trois ans. Le premier Chapitre a lieu en 1604.

Apparaît la figure du père Chrysostome de Saint Lô (1594-1646) dont la vocation est suscitée par Antoine le Clerc sieur de la Forest (1563-1628), un laïc parisien cultivé, consulté par de nombreux spirituels. Chrysostome est élu Provincial de France en 1634, puis, lorsque celle-ci est divisée en deux, prenant les noms de saint François et de saint Yves, il devient en 1640 Provincial de cette dernière, correspondant à la Normandie-Bretagne7. Actif voyageur, mort âgé de cinquante-deux ans, il a cependant eu le temps de rédiger des opuscules8.

Les Pensées d’Eternité d’un certain solitaire et d’un autre serviteur de Dieu nous touchent par la rectitude et la grandeur convenant bien à une « ouverture spirituelle » pour une future école de vie intérieure. Ces textes évoquent les grandes peurs que l’on attribue parfois au Moyen Age mais possèdent aussi un côté biographique nouveau. Jean-Chrysostome résume ainsi très sobrement la durée d’une vie spirituelle sous la forme émouvante d’une liste :

I. Un autre serviteur de Dieu a été conduit à une très haute perfection par les vues pensées de l’Eternité. Il était de maison et façonné aux armes. Voici que environ à l’âge de vingt-trois ans, comme il banquetait avec ses camarades mondains, il entrouvrit un livre, où lisant le seul mot d’Eternité, il fut si fort pénétré d’une forte pensée de la chose, qu’il tomba par terre comme évanoui, et y demeura six heures en cet état couché sur un lit, sans dire son secret. […] III. Ensuite il fut tourmenté de la vue de l’éternité de l’Enfer, environ huit ans […] IV. Après cet état il demeura trois autres années dans une croyance comme certaine de sa damnation : tentation qui était aucune fois si extrême, qu’il s’en évanouissait. […] V. Ensuite de cet état, il demeura un an durant fort libre de toutes peines [...]VI. Après cette année, il en demeura deux dans la seule vue de la brièveté de la vie [...] VII. Ensuite [...] il fut huit ans dans la continuelle vue que Dieu l’aimait de toute Eternité…9

Ce guerrier plongé dans le monde pénètre tout à coup le sens profond du mot « éternité ». Une existence résumée en quelques points donne une impression d’élan absolu associée à la brièveté de notre condition. L’inspiration qui animera toute les membres de cette  école  est posée de façon saisissante : des expériences mystiques intenses, qui peuvent faire tomber à terre, sont suivies d’années d’épreuves. L’amour de Dieu pour sa créature est premier. La vie spirituelle est dynamique et couvre la durée d’une vie. Le chemin suivi est classique : initiative divine brusque et inattendue qui change la vie, très longue purification, victoire définitive de l’Amour.

Le traité de La Sainte Désoccupation de toutes les créatures, pour s’occuper en Dieu seul balaye le chemin sans compromis : il faut laisser la place et toute la place au divin qui alors anime la créature : « Dieu opère tellement en cette âme, qu’il semble que ce soit plutôt Lui qui produise cet amour [...] l’âme demeure souvent comme liée et garrotée, sans rien penser ni agir comme d’elle-même, mais mûe seulement10. » C’est la passiveté mystique au terme d’un long cheminement de « désoccupation très pure, par laquelle l’âme parvient à une continuelle vue et présence de Dieu11. »

Jean-Chrysostome anime un cercle mystique auquel appartiennent Jean de Bernières et Catherine de Bar, la mère du Saint-Sacrement (1614-1698) :

...l’on a vu plusieurs personnes de celles qui suivaient ses avis [...] courir avec ferveur [...] La première est feu M. de Bernières de Caen [...] le Père Jean Chrysostome lui avait écrit que l’actuelle pauvreté était le centre de sa grâce [...] Ce sentiment d’un directeur [...] adressé à un disciple [...] en augmentait les ardeurs d’une manière incroyable. Ainsi il commença tout de bon à chercher les moyens d’être pauvre. […] Ayant été soulagé de la fièvre quarte il s’en alla à Saint-Maur [...] pour y voir la R. Mère du Saint-Sacrement, maintenant supérieure générale des Religieuses bénédictines du Saint-Sacrement. Elle était l’une des filles spirituelles du bon père, et en cette qualité il voulut qu’elle fût témoin de son agonie. […] [il] mourut le 26 mars 1646 âgé de 52 ans [...] L’on remarqua que la plupart des religieux du couvent de Nazareth où il mourut, fondaient en larmes et même les deux ou trois jours qui précédèrent sa mort, et cela sans qu’ils pussent s’en empêcher12.

Jean de Bernières témoigne directement de la direction de celui qu’il considère comme son père spirituel :

[…] ce me serait grande consolation que [...] nous puissions parler de ce que nous avons ouï dire à notre bon Père [...] puisque Dieu nous a si étroitement unis que de nous faire enfants d’un même Père [...] Savez-vous bien que son seul souvenir remet mon âme dans la présence de Dieu13 ?

Jean de Bernières, directeur de Jacques Bertot.

Jean de Bernières14, né en 1602 d’un trésorier général de France, mène une vie laïque, sensible à l’amitié, insensible aux différences sociales, payant de sa personne lorsque maladie et misère sont en cause, désirant la pauvreté (mais capable de conseiller Mme de la Peltrie en procès avec sa famille et de gérer des ressources pour la fondation des missions du Canada), demeurant humain dans la peur de la mort (car il se souvient de l’agonie douloureuse de Jean-Chrysostome). La forme de ses écrits a été considérablement revue, ce dont se plaignaient déjà ses contemporains15.

Bernières est ferme dans ses convictions :

Lorsqu’on attaque ses amis, il les défend avec énergie. Quand le grand archidiacre d’Evreux, Boudon, victime d’une sorte de conjuration, est menacé d’interdiction, Jean déclare à la cohorte ennemie que Boudon aura toujours un refuge en sa maison, et que lui, Jean, « se trouverait heureux d’être calomnié et persécuté pour lui »16.

De concert avec Gaston de Renty (1611-1649), autre mystique laïc, grand seigneur qui passe des armes et des sciences à l’exercice de la charité17, Bernières contribue à la fondation d’hôpitaux, de couvents, de missions et de séminaires.

Il paye de sa personne, car il va chercher lui-même les malades dans leurs pauvres maisons, pour les conduire à l’hôpital [...] porte sur son dos les indigents qui ne peuvent pas marcher jusqu’à l’hospice [...] il lui faut traverser les principales rues de la ville : les gens du siècle en rient autour de lui18.

Il est aussi « le directeur des directeurs de conscience19 » et parle avec humour d’un « hôpital » un peu particulier qui accueille des hôtes de passage :

Il m’a pris un désir de nommer l’Ermitage l’hôpital des Incurables, et de n’y loger avec moi que des pauvres spirituels [...] Il y a à Paris un hôpital des Incurables pour le corps, et le nôtre sera pour les âmes20.
Je vous conjure, quand vous irez en Bretagne, de venir me voir; j’ai une petite chambre que je vous garde : vous y vivrez si solitaire que vous voudrez ; nous chercherons tous deux ensemble le trésor caché dans le champ, c’est-à-dire l’oraison21.

Il prend ici soin de privilégier les rapports personnels dans sa direction, ce qui évoque des lettres que Madame Guyon adressera bien plus tard de Blois à des dirigés22. Il est cependant bien conscient de n’être que l’intendant de Dieu :

Nous vivons ici en grand repos, liberté, gaieté et obscurité, étant inconnus du monde, et ne nous connaissant pas nous-mêmes. Nous allons vers Dieu sans réflexion [...] Je connais clairement que l’établissement de l’Ermitage est par ordre de Dieu, et notre bon Père [Chrysostome] ne l’a pas fait bâtir par hasard ; la grâce d’oraison s’y communique facilement à ceux qui y demeurent, et on ne peut dire comment cela se fait, sinon que Dieu le fait23.

Il est de fait au centre d’un large cercle : sur place M. de Gavrus, neveu de Jean, fonde l’hôpital général de Caen ; Boudon deviendra l’archidiacre « persécuté » d’Evreux, écrivain abondant auquel nous devons de précieuses informations ; Lambert de la Motte, Mgr de Béryte, est un des premiers évêques de la Chine.

L’influence de ce cercle s’étend au Canada, dans des circonstances pour le moins inhabituelles : Mme de la Peltrie, veuve, aussi généreuse qu’originale, veut fonder une maison religieuse au Canada. Sa famille s’y oppose, elle consulte un religieux qui suggère l’expédient d’un mariage simulé. La proposition est présentée à M. de Bernières, « fort honnête homme qui vivait dans une odeur de sainteté ». Ce dernier consulte son directeur :

Celui qui le décida fut le Père Jean-Chrysostome de Saint-Lô [...] Finalement Bernières se décida, sinon à contracter mariage [...] du moins à se prêter au jeu [...] en faisant demander sa main. [...] La négociation réussit trop bien à son gré. Au lieu de lui laisser le temps de réfléchir, M. de Chauvigny [le père], tout heureux de l’affaire « ...faisait tapisser et parer la maison pour recevoir et inspirait à sa fille les paroles qu’elle lui devait dire pour les avantages du mariage »24.

Notons l’intervention positive du Père Chrysostome, qui peut être sévère mais sans étroitesse d’esprit, et la liberté de tous dans cette affaire qui prend une pente assez comique quand Bernières est veillé à Paris par Mme de la Peltrie lors d’une maladie. Finalement le grand départ de Dieppe de la flotte de printemps en 1639 emporte Mme de la Peltrie ( ? -1671), fondatrice temporelle de la communauté ursuline du Québec, et surtout Marie de l’Incarnation (1599-1672) qui animera cette communauté :

Marie de l’Incarnation est encore sous le coup du ravissement qu’elle vient d’avoir en la chapelle de l’Hôtel-Dieu. M. de Bernières monta dans la chaloupe avec les partantes [...] mais on lui conseilla de demeurer en France afin de recueillir les revenus de Mme de la Peltrie, pour satisfaire aux frais de la fondation25.

De nombreux familiers de l’Ermitage suivront le même chemin : Ango de Maizerets, dont la vie se confondra avec celle du séminaire fondé là-bas à l’imitation de l’Ermitage, et qui se dévouera à l’éducation des enfants ; M. de Bernières, neveu de Jean, qui meurt à Québec en 1700 ; François de Montmorency-Laval (1623-1708), évêque de Québec ; M. de Mésy, duelliste raffiné converti, premier gouverneur de Québec ; Roberge, le fidèle valet de chambre et disciple, après la mort de son maître26. Bernières restera le correspondant préféré de Marie de l’Incarnation (avec le fils de cette dernière, dom Claude Martin), mais les longues lettres « de quinze ou seize pages » sont perdues.

Revenons en France : Catherine de Bar devenue Mère Mectilde du Saint-Sacrement, appréciée de Madame Guyon27, fonde les bénédictines de l’Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement à Paris ; elles iront en Lorraine et jusqu’en Pologne28. Le père Jean-Chrysostome est son confesseur. Elle se lie à Bernières et ils demeureront en correspondance. Elle passe environ un an au monastère de Montmartre et au moins trois années à Caen29. Son confesseur suivant, Epiphane Louys (1614-1682), mystique attachant, lorrain comme elle, s’est lié aussi avec Bernières.

Le laïc Jean de Bernières est influent à Paris par l’intermédiaire du jeune confesseur Jacques Bertot, son ami et surtout disciple, et il lui adresse quatorze lettres qui tranchent par leur ton et leur profondeur sur l’ensemble de sa correspondance30. Elles sont adressées à « l’ami intime », que nous pensons pouvoir identifier à Bertot grâce à quelques indices tels que « Je connais aussi que vous êtes encore utile et nécessaire aux B[énédictines] et à M[ontmartre]31 » :

…Dieu seul, et rien plus. Je n’ai manqué en commencement de cette année de vous offrir à Notre Seigneur, afin qu’Il perfectionne, et qu’Il achève Son œuvre en vous. Je conçois bien l’état où vous êtes : recevez dans le fond de votre âme cette possession de Dieu, qui vous est donnée en toute passiveté, sans ajouter votre industrie et votre activité, pour la conserver et augmenter. C’est à Celui qui la donne à le faire, et à vous, mon cher Frère, à demeurer dans le plus parfait anéantissement que vous pourrez. Voilà tout ce que je vous puis dire, et c’est tout ce qu’il y a à faire. Plus une âme s’avance dans les voyes de Dieu, moins il y a de choses à lui dire…32
Mon cher Frère, demeurez bien fidèle à cette grande grâce, et continuez à nous faire part des effets qui vous seront découverts : vous savez bien qu’il n’y a rien de caché entre nous, et que Dieu nous ayant mis dans l’union il y a si longtemps, Il nous continuera les miséricordes pour nous établir dans Sa parfaite unité, hors de laquelle il ne faut plus aimer, voir, ni connaître rien33.




Monsieur Bertot, directeur de Jeanne-Marie Guyon.

Bertot naît à Caen le 29 juillet 1622, fils unique d’un marchand drapier de Caen34. L’essentiel de sa vie est résumé longtemps après sa mort dans l’Avertissement placé en tête des œuvres rassemblées par Madame Guyon  sous le titre Le Directeur mistique:

Monsieur Bertot [...] natif de Coutances35 [...] grand ami de [...] Jean de Bernières [...] s’appliqua à diriger les âmes dans plusieurs communautés de Religieuses [... et] plusieurs personnes [...] engagées dans des charges importantes tant à la Cour qu’à la guerre [...] Il continua cet exercice jusqu’au temps que la providence l’attacha à la direction des Religieuses Bénédictines de l’abbaye de Montmartre proche Paris [sic], où il est resté dans cet emploi environ douze ans jusqu’à sa mort [...au] commencement de mars 1681 après une longue maladie de langueur. … [Il fut] enterré dans l’Eglise de Montmartre au côté droit en entrant. Les personnes [...] ont toujours conservé un si grand respect [...qu’elles] allaient souvent à son tombeau pour y offrir leurs prières.

On peut distinguer deux périodes dans cette vie, autour de deux localisations géographiques successives, à Caen puis à Paris ; on se gardera toutefois d’attribuer une trop grande importance à ces localisations, compte tenu de voyages fréquents.

Pendant vingt ans, de 1655 à 1675, Jacques Bertot, qu’il ne faut pas confondre avec d’autres ecclésiastiques normands36, est prêtre séculier et directeur du monastère des ursulines de Caen :

(La même année 1655 biffé) Au même temps (add. marg.) […] nous perdîmes Monsieur Du Rocher de Bernay […] On procéda incessamment à l'élection d'un autre supérieur. Messieurs François de Laval, et Jacques Bertot furent présentés à l'évêque Monseigneur de Servien qui confirma supérieur Monsieur Bertot.37

Jourdaine de Bernières, sœur du vénéré Jean de Bernières, prestigieuse supérieure du couvent, lui vouait une confiance et une obéissance absolue, comme en témoignent les deux épisodes suivants :

Elle fut élue unanimement pour la dernière fois. Sa surprise la fit sortir du chœur et courir s'enfermer dans sa chambre pour empêcher sa confirmation et en appeler à l'évêque ; mais Monsieur Bertot, supérieur qui présidait à l'élection et M. Postel son assistant, allèrent la trouver et lui faire un commandement exprès de consentir à ce que le chapitre venait de faire. A ces mots, vaincue par son respect pour l’obéissance, elle ouvre la porte et se laisse conduire à l’église pour y renouveler son sacrifice…38
Il fit assembler les religieuses au chœur, et, en leur présence, blâma la conduite de leur supérieure à qui il fit une ferme réprimande avec des termes si humiliants que plusieurs des religieuses qui connaissaient son innocence en furent sensiblement touchées […] le jour même elle fut trouver le supérieur au parloir, non pas pour (se plaindre ou biffé) se justifier, mais pour lui parler des affaires de la maison comme à son ordinaire, dont il fut également surpris et édifié. Toutes choses bien éclaircies, il conçut une plus haute estime de la mère de saint Ursule [Jourdaine de Bernières] qu'il n'avait eu...39

Bertot est actif hors de cette charge de supérieur. Il est en relation avec la célèbre Marie des Vallées40, influente sur saint Eudes, et l’apprécie :

Elle me disait que la Miséricorde [en note : c'est-à-dire l’amour-propre chargé des richesses spirituelles de la Miséricorde] allait fort lentement à Dieu, parce qu’elle était chargée de dons et de présents, de faveurs et de grâces de Dieu, qu’ainsi son marcher était grave et lent; mais que l’amour divin qui était conduit par la divine Justice, allant sans être chargé de tout cela, marche d’un pas si vite que c’est plutôt voler.41.

Il est également lié à l’aventure commune de l’apostolat au Canada42, illustrée par Marie de l’Incarnation. Son rayonnement va donc bien au-delà du monastère de Caen, ce dont témoignent plusieurs lettres43 de Catherine de Bar (devenue la Mère fondatrice des bénédictines du Saint-Sacrement, appréciée par Madame Guyon au monastère de la rue Cassette) :

- à Jean de Bernières lui-même44, qui, dès juillet 1645, atteste du fruit des activités du jeune disciple et nous éclaire sur sa vigoureuse direction (une caractéristique propre à l’école) :

Monsieur. Notre bon Monsieur Bertot nous a quittés avec joie pour satisfaire à vos ordres et nous l'avons laissé aller avec douleur. Son absence nous a touché, et je crois que notre Seigneur veut bien que nous en ayons du sentiment, puisqu'Il nous a donné à toutes tant de grâces par son moyen, et que nous pouvons dire dans la vérité qu'il a renouvelé tout ce pauvre petit monastère et fait renaître la grâce de ferveur dans les esprits et le désir de la sainte perfection. Je ne vous puis dire le bien qu’il a fait et la nécessité où nous étions toutes de son secours […] mais je dois vous donner avis qu'il s'est fort fatigué et qu'il a besoin de repos et de rafraîchissement. Il a été fort travaillé céans, parlant [sans] cesse, fait plusieurs courses à Paris en carrosse dans les ardeurs d'un chaud très grand. Il ne songe point à se conserver. Mais maintenant, il ne vit plus pour lui. Dieu le fait vivre pour nous et pour beaucoup d'autres. Il nous est donc permis de nous intéresser de sa santé et de vous supplier de le bien faire reposer.
Il vous dira de nos nouvelles et de mes continuelles infidélitées et combien j'ai de peine à mourir. Je ne sais ce que je suis, mais je me vois souvent toute naturelle, sans dispositions de grâce. Je deviens si vide, et si pauvre de Dieu même que cela ne se peut exprimer. Cependant il faut selon la leçon que vous me donnez l'un et l'autre que je demeure ainsi abandonnée, laissant tout périr. […]

- à la Mère Benoite de la Passion prieure de Rambervillers, le 31 août 1659 :

Monsieur [Bertot] a dessein de vous aller voir l’année prochaine, il m’a promis que si Dieu lui donne vie il ira. Il voudrait qu’en ce temps-là, la divine Providence m’y fît faire un voyage afin d’y venir avec vous [...] Il faut mourir. Monsieur Bertot sait mon mal [...]s’il vous donne quelques pensées, écrivez-le moi confidemment.

- à la Mère Dorothée (Heurelle), sous-prieure, le 8 août 1660 :

A Rambervilliers ce 8 août 1660. M. Bertot est ici, qui vous salue de grande affection [...] je ressens d’une singulière manière la présence efficace de Jésus-Christ Notre Seigneur.

Finalement, Bertot part de Caen pour Paris, en 167545 :

Mr Bertot, après avoir été notre Supérieur, voulut se démettre de cette charge, ayant trouvé à Paris des occupations qui l'obligeaient à la résidence ; on fit élection de Monsieur de Launé Hué, (docteur de Sorbonne : ajout marg), pour remplir sa place (ajout interl : le 15 avril 1675.)

Dans la dernière partie de sa vie, Jacques Bertot est actif comme confesseur à la célèbre abbaye de Montmartre, proche du pèlerinage à saint Denis46. Le rôle de la vénérable abbaye bénédictine, fondée en 1133, était central depuis sa réforme mouvementée qui eut lieu au début du siècle avec l’aide de Benoît de Canfield :

Les religieuses de plus en plus mécontentes des efforts de leur abbesse [...] deux fois essayèrent vainement de l’empoisonner ; une autre fois, elles décidèrent quelques-uns de « leurs amis » à l’assassiner, mais l’un d’eux recula devant ce crime et prévint Madame de Beauvilliers qui dès lors logea dans une chambre séparée, à porte double et ne mangea plus d’aucun plat qui ne fut préparé par une des deux sœurs converses sur lesquelles on pouvait compter [elle les avait amenées avec elle] […] L’évêque de Paris [...] rassembla les religieuses [...] ordonna tout d’abord le rétablissement de la clôture ; toutes se levèrent et s’emportèrent, à ce qu’il paraît, de la façon la plus scandaleuse. Le prélat se retira en promettant à Mme de Beauvilliers de la défendre et en réalité il ne fit rien. Mme de Beauvilliers, soutenue par son seul directeur, le P. Caufeld [sic] prit résolument son parti...47

Cela se passait juste avant 1600 : on ne sait pas s’il connaît la réformatrice, Madame de Beauvilliers48, mais il lit certainement attentivement l’opuscule qu’elle compose pour ses religieuses, en suivant de très près Benoît de Canfield :

“...s’il est si plaisant et agréable d’entrer dans le secret de notre intime ami, qu’est-ce d’entrer dans le secret et le plus caché du cœur de Dieu ? Et c’est ce que fait, et à quoi arrive l’âme par l’exercice continuel de la conformité de sa volonté à celle de Dieu, car en faisant la volonté de Dieu, l’âme la connaît...” 49

Il est surtout lié à Françoise-Renée de Lorraine, Madame de Guise50, abbesse qui lui succède en des temps moins troublés, de 1644 à 1669, avant de mourir en 1682 :

M[ada]me de Guise dirigea l’abbaye pendant vingt-cinq ans. Douée d’une haute intelligence, elle était en relation avec les beaux esprits et les femmes élégantes du temps : le docteur Valant, le médecin de M[ada]me de Sablé et de toute la société précieuse en même temps que de l’abbaye, nous a conservé plusieurs billets d’elle fort galamment tournés51.

On note le choix de Bertot pour régler, vers 1673, une affaire compliquée où Jean Eudes, ami de Jean de Bernières, est attaqué par ses anciens confrères oratoriens qui tentent de le discréditer en ridiculisant son attachement à Marie des Vallées.

On entrevoit tout un réseau de relations transversales entre divers membres du groupe de l’Ermitage52. Madame de Guise a dû aider à la constitution du cercle dévôt53 autour de Bertot, dont l’activité est attestée par la publication des deux volumes de ses Retraites sous l’impulsion de l’abbesse. Ces témoignages de son activité sont suivis, plus tardivement, de sa très intéressante mise au point sous le titre Conclusion aux retraites, également destinée à Madame de Guise54. Ce texte fondamental correspond probablement à celui qui est évoqué par Fénelon et expliqué par Orcibal. Ce dernier connaissait les deux volumes de Retraites, dont il fixe la date à 1662, alors que la Conclusion est publiée en 1684, soit peu après la disparition de Bertot55.

Celui-ci se révèle en fait par une œuvre écrite assez abondante, remarquable par sa force et sa netteté en ce qui concerne l’expression du cheminement mystique, mais tombée dans l’oubli à la disparition des cercles guyoniens : l’anonymat (même si l’on évoque l’auteur en préface), l’extrême rareté des exemplaires, due à leur suppression des bibliothèques de communautés religieuses comme à leur dissémination européenne56, la pauvreté ou l’étrangeté des titres expliquent cet oubli. Il est vrai que le style ne se soucie pas d’élégance, l’auteur visant à préciser l’expérience qu’il partage, quitte à tourner autour d’elle pour en souligner tous les aspects.

Le corpus de l’œuvre, tel que nous avons pu le reconstituer, comporte sept volumes publiés en trois fois sur 64 ans, donc à des dates très différentes : les volumes des Retraites en 1662, leur Conclusion en 1684, Le directeur Mistique en 1726. Un huitième volume qui s’intitulerait De la Contemplation resterait peut-être à découvrir57.

De 1662, Diverses retraites…58 et Continuation des retraites…59 donnent en deux volumes, sous une pagination unique, sinon cohérente, des schémas de retraites probablement rassemblés par les soins d’auditeurs. De 1684, La conclusion des retraites…60, troisième et dernier volume édité après la mort de Bertot, a été retrouvée à Chantilly61. Il s’agit d’un traité bref mais bien charpenté et très précis, couvrant avec grande autorité toute la voie mystique, dont nous ne connaissons pas d’équivalent contemporain. Les Torrents de Madame Guyon reprennent le fond de cet exposé sous une forme moins sévère, parfois lyrique.

A ces trois volumes s’ajoutent quatre volumes de textes et de lettres qui ont été rassemblés en hommage par sa disciple J.-M. Guyon et édités en 1726, quarante-cinq ans après la mort de Bertot, sous le titre : Le directeur Mistique ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guion…62, par le cercle de P. Poiret peu après la mort de ce dernier. Il comporte douze traités, dont le style a pu être revu par Madame Guyon (vol. I), suivi de 221 lettres montrant les qualités de précision et l’autorité du directeur (vol. II à IV). Elles sont adressées à des correspondants non cités, dont en premier lieu Madame Guyon. A l’œuvre de Bertot celle-ci ajoute, nommément cités, une relation concernant Marie des Vallées et des lettres de Maur de l’Enfant-Jésus. L’ensemble se termine sur des lettres de Madame Guyon adressées à des disciples et non plus à Bertot. Cette édition très rare est suivie d’un choix en un volume également rare63.

Il faut ajouter à ces œuvres publiées les lettres de Bertot reprises dans la correspondance de Madame Guyon64 ainsi qu’une belle lettre65 sous forme manuscrite, recopiée de la main de Dupuy, copiste de lettres de Madame Guyon, et datée du 22 mars 1677.

J. Bertot meurt prématurément à cinquante-neuf ans à Paris le 28 avril 168166. Il n’a exprimé que de très rares confidences sur lui-même :

En vérité il [Notre Seigneur] me détourne tellement des créatures que j’oublie tout volontiers et de bon cœur. Ce m’est une corvée étrange que de mettre la main à ma plume. Tout zèle et toute affection pour aider aux autres m’est ôtée; il ne me reste que le mouvement extérieur : mon âme est comme un intrument dont on joue, ou si vous voulez comme un luth qui ne dit ni ne peut dire mot que par le mouvement de celui qui l’anime67. Cette disposition d’oubli me possède tellement, peut-être par paresse, qu’il est vrai que je pense à peu de chose.68


L’oubli mystique n’empêche pas une activité intense. Enfin il livre ses affinités par quelques noms d’auteurs spirituels :

Tant de livres ont été faits par de saintes personnes pour aider les âmes en la première conduite, comme Grenade, Rodriguez et une infinité d’autres [...] Pour la voie de la foi, il y en a aussi plusieurs, comme le bienheureux Jean de la Croix, Taulère, le Chrétien Intérieur [de Bernières] et une infinité d'autres...69 Le livre de la Volonté de Dieu [ou Règle de Perfection] de Benoît de Canfeld peut beaucoup servir70.

Le rayonnement de Bertot, « conférencier très apprécié de l'aristocratie et, en particulier, de divers membres de la famille Colbert71 », déborde sur un cercle laïc que l’on retrouvera autour de Madame Guyon :

Chevreuse dut-il à Fénelon la connaissance de Mme Guyon ? Bien qu'il paraisse l'admettre, Saint-Simon fournit un fort argument à la thèse contraire. Après avoir indiqué que les conférences de Bertot à Montmartre étaient suivies par Mme de Charost et par le duc de Noailles, il ajoute en effet : « MM. de Chevreuse et de Beauvillier fréquentaient aussi cette école. Mme Guyon fit la connaissance de ces deux derniers par Fénelon [...] Ces deux ducs et leurs femmes depuis longtemps initiés aux rudiments de cette école par celle de Montmartre, goûtèrent Mme Guyon au point de se mettre sous sa conduite à la suite de l'abbé de Fénelon72.

Saint-Simon, ami des ducs, mais ennemi de la dame qui les séduit d’une façon incompréhensible pour lui, souligne le 10 janvier 1694 les relations qui avaient lié Bertot et Madame Guyon, et la continuité que cette dernière assure :

Elle ne fit que suivre les errements d’un prêtre nommé Bertaut [sic], qui bien des années avant elle, faisait des discours à l’abbaye de Montmartre, où se rassemblaient des disciples, parmi lesquels on admirait l’assiduité avec laquelle M. de Noailles, depuis Maréchal de France, et la duchesse de Charost, mère du gouverneur de Louis XIV, s’y rendaient, et presque toujours ensemble tête à tête, sans que toutefois on en ait mal parlé. MM. de Chevreuse et de Beauvilliers fréquentaient aussi cette école73.

Le témoignage donné en 1695 par un informateur de Madame de Maintenon confirme le rôle central qui fut celui de Bertot dans les cercles laïcs constitués autour de Montmartre. Il met en lumière son activité auprès des Nouvelles Catholiques, auxquelles Madame Guyon et Fénelon furent attachées. Le lecteur appréciera les insinuations sur les jeunes dames tôt levées et le parfum d’enquête policière qui se dégage d’un document par ailleurs fort bien documenté74 :

[f° 2v°] Il y a plus de vingt ans que l'on voit [vit] à la tête de ce parti [le quiétisme], Mr Bertau [Bertot], directeur de feu Madame de Montmartre. […] Cet homme était fort consulté ; les dévots et les dévotes de la Cour avaient beaucoup de confiance en lui ; ils allaient le voir à Montmartre, et sans même garder toutes les mesures que la bienséance demandait ; de jeunes dames de vingt ans partaient pour y aller à six heures du matin tête-à-tête avec de jeunes gens à peu près du même âge. On rendait compte publiquement de son intérieur, quelquefois l'intérieur par écrit courait la campagne. Mr B[ertot] faisait aussi des conférences de spiritualité à Paris dans la maison des Nouvelles Catholiques, et auxquelles plusieurs dames de qualité assistaient et admiraient ce qu'elle n'entendaient pas. […] Madame G[uyon] était, disait-il, sa fille aînée, et la plus avancée, et Madame de Charost était la seconde, aussi soutient-elle à présent ceux qui doutent. Elle paraît à la tête du parti, pendant que Madame Guyon est absente ou caché. […]
[f° 39v°] On pourra tirer des lumières de la sœur Garnier et de la sœur Ansquelin des Nouvelles Catholiques, si on les ménage adroitement, et qu'on ne les commette point. Elles peuvent parler sur Madame Guyon, sur la sœur Malin et sur Monsieur Bertot. Il se faisait chez elles des conférences de spiritualité auxquelles présidait Monsieur Bertot. […] Madame la duchesse d'Aumont et Madame la marquise de Villars pourront dire des nouvelles de la spiritualité du sieur Bertaut avec qui Madame Guyon avait une liaison si étroite qu'il disait que c'était sa fille aînée. […]

M. de Gaumont est un dirigé moins célèbre, « homme d’une pureté admirable75 » selon Madame Guyon :

Marie Le Doux maîtresse d'école de la paroisse Saint-Sulpice assura en 1695 qu'elle était autrefois de la communauté des Quinze-Vingt qu'avait établie M. de Gaumont, prêtre, sous la conduite de M. Bertaut [Bertot]. Depuis il donna à ces filles le P. de La Combe pour supérieur et voulait que Mme Guyon fût supérieure76.

En résumé, la vie de Monsieur Bertot, sans événements majeurs, mal connue - nous la décrivons ici pour la première fois - est celle d’un prêtre dévoué à la tâche de direction spirituelle, devenant le lien essentiel entre le groupe normand formé autour de l’Ermitage de Jean de Bernières et du monastère de Jourdaine et le groupe de Paris constitué autour du monastère de Montmartre. Le cercle de Paris deviendra celui de Madame Guyon lorsqu’elle prendra la succession de son directeur spirituel à son retour de voyages.

La dirigée la plus connue - parmi beaucoup d’autres, surtout des dames religieuses - de Monsieur Bertot est donc Madame Guyon77, qu’il rencontre par l’intermédiaire de la mère Geneviève Granger78.

Plusieurs rencontres sont nécessaires, qui mettent en jeu divers membres du « réseau » mystique associé à Bernières et à Bertot : le « bon père » franciscain Archange Enguerrand introduit la jeune femme à la vie intérieure79, lui fait rencontrer la mère Granger80, par ailleurs connue de la duchesse de Charost81. La mère Granger la prend en charge82 et lui donne Bertot pour directeur. Elle le rencontre le 21 septembre 1671 dans des circonstances qui resteront gravées dans sa mémoire :

 ...je dirai que la petite vérole m'avait si fort gâté un oeil que je craignais de le perdre tout à fait, je demandai d’aller à Paris pour m’en faire traiter, bien moins cependant pour cela que pour voir M. B[ertot] que la M[ère] G[ranger] m’avait depuis peu donné pour directeur et qui était un homme d’une profonde lumière. Il faut que je rapporte par quelle providence je le connus la première fois. Il était venu pour la M[ère] G[ranger]. Elle souhaitait fort que je le visse; sitôt qu’il fut arrivé, elle me le fit savoir, mais comme j'étais à la campagne, je ne trouvais nul moyen d'y aller. Tout à coup mon mari me dit d'aller coucher à la ville pour quérir quelque chose et donner quelque ordre. Il devait m'envoyer quérir le lendemain, mais ces effroyables vents de la St Matthieu vinrent cette nuit-là de sorte que le dommage qu'ils causèrent [attesté et daté dans le journal d’un Montargois] m'empêcha de retourner de trois jours. Comme j'entendis la nuit l'impétuosité de ce vent, je jugeai qu'il me serait imp ossible d'aller aux Bénédictines ce jour-là et que je ne verrais point M. Bertot. Lorsqu'il fut temps d'aller, le vent s'apaisa tout à coup, et il m'arriva encore une providence qui me le fit voir une seconde fois83.

Nous ne pouvons ici étudier la dimension mystique de la direction spirituelle reçue par Madame Guyon, ce qui grossirait démesurément notre texte84. Elle est assurée sans compromis par Monsieur Bertot. Cette rigueur existe aussi chez le « bon franciscain » Archange Enguerrand85 ( ? -1699) et se retrouvera, mais avec souplesse, chez Madame Guyon86. C’est une caractéristique de l’école : l’amour du directeur se manifeste dans sa rigueur ; on n’affronte rien qui soit au-dessus de ses forces mais tout est apporté par la grâce87. Voici un exemple illustrant l’esprit de cette direction :

Vous ne pouvez assez entrer dans le repos et dans la paix intérieure; car c’est la voie pour arriver où Dieu vous appelle avec tant de miséricorde. Je vous dis que c’est la voie, et non pas votre centre : car vous ne devez pas vous y reposer ni y jouir ; mais passer doucement plus loin en Dieu et dans le néant ; c’est-à-dire qu’il ne faut plus vous arrêter à rien quoiqu’il faille que vous soyez en repos partout. Sachez que Dieu est le repos essentiel et l’acte très pur en même temps et en toutes choses [...] Je vous en dis infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu; si vous y êtes attentive vous l’entendrez. Soutenez-vous en Dieu nuement et simplement, seule et une [...] N’ayez donc plus d’idées, de pensées, de sentiments de vous-même, non plus que d’une chose qui n’a jamais été et ne sera jamais88.

Il est le premier à parler de l’union spirituelle qu’il éprouve avec ses amis et disciples. Il les porte comme un père dans ses prières et les amène à l’union avec lui dans le même état spirituel :

Si j’entre dans cette unité divine, je vous attirerai, vous et bien d’autres qui ne font qu’attendre ; et tous ensemble n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu seul...89



Madame Guyon et ses dirigés.

Jeanne-Marie Guyon commence ses voyages juste après la disparition de Bertot, par l’établissement des Nouvelles Catholiques, connues de ce dernier90, à Gex, près de Genève. Mais découvrant vite l’ambiguïté de la situation des converties, après des voyages en Savoie-Piémont, elle revient en France en 1686, pour se retrouver au centre du cercle parisien – événement apparemment soudain91 que nous comprenons mieux après avoir éclairé sa relation avec Monsieur Bertot.

Sur le plan de la vie intérieure, des textes, beaucoup plus amples que les allusions de Bernières ou de Bertot, attestent une transmission directe de la grâce de personne à personne, qui ne dépend que de Dieu seul et qui s’effectue de préférence en silence. Elle suppose un même recueillement des personnes. Elle est décrite ainsi :

Vous m’avez demandé comment se faisait l’union du cœur ? Je vous dirai que l’âme étant entièrement affranchie de tout penchant, de toute inclination et de toute amitié naturelle, Dieu remue le cœur comme il Lui plaît ; et saisissant l’âme par un plus fort recueillement, Il fait pencher le coeur vers une personne. Si cette personne est disposée, elle doit aussi éprouver au-dedans d’elle-même une espèce de recueillement et quelque chose qui incline son cœur […] Cela ne dépend point de notre volonté : mais Dieu seul l’opère dans l’âme, quand et comme il Lui plaît, et souvent lorsqu’on y pense le moins. Tous nos efforts ne pourraient nous donner cette disposition ; au contraire notre activité ne servirait qu’à l’empêcher92. »

On trouve de nombreux textes parallèles où se trouvent décrites les modalités de cette transmission, dans les Discours spirituels, la Vie par elle-même93 et les Explications des deux Testaments. Le célèbre verset  « …lorsqu‘il y a en quelque lieu deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je suis là au milieu d’elles » est commenté ainsi94 :

Ils se parlent plus du cœur que de la bouche ; et l’éloignement des lieux n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement deux ou trois personnes […] dans une si grande unité, qu’ils se trouvent perdus en Dieu […] l’esprit demeurant aussi dégagé et aussi vide d’image que s’il n’y en avait point. […] Dieu fait aussi des unions de filiations, liant certaines âmes à d’autres comme à leurs parents de grâce.

A la fin de sa vie, de pieux disciples rapporteront la plongée spontanée dans l’intériorité qui s’effectue auprès d’elle, sans nulle suggestion orale ni rappel de sa part :

Elle vivait avec ces Anglais [des Ecossais] comme une mère avec ses enfants. […] Souvent ils se disputaient [le premier soulèvement écossais des jacobites eut lieu en 1715], se brouillaient ; dans ces occasions elle les ramenait par sa douceur et les engageait à céder ; elle ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s’en occupaient en sa présence, et lui en demandait son avis, elle leur répondait : « Oui, mes enfants, comme vous voulez. » Alors ils s’amusaient de leurs jeux, et cette grande sainte restait pendant ce temps-là abîmée et perdue en Dieu. Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans, que, laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d’elle95.

Madame Guyon affirme ce lien intérieur avec Fénelon, qu’elle considère comme son fils spirituel le plus proche ; elle écrit en avril 1690 :

…j’ai cette confiance que si vous voulez bien rester uni à mon coeur, vous me trouverez toujours en Dieu et dans votre besoin96.

A cette confiance Fénelon répond :

Si vous veniez à manquer, de qui prendrais-je avis ? ou bien serais-je à l'avenir sans guide ? Vous savez ce que je ne sais point et les états où je puis passer [...] Je puis me trouver dans l'embarras ou de reculer sur la voie que vous m'avez ouverte, ou de m'y égarer faute d'expérience et de soutien. Je me jette tête première et les yeux bandés dans l'abîme impénétrable des volontés de Dieu. Lui seul sait ce que vous m'êtes en Lui et je vois bien que je ne le sais pas moi-même, mais je vous perds en Lui comme je m'y perds97

Madame Guyon le considère même comme son successeur :

Je vous laisse l’esprit directeur que Dieu m’a donné. […] Je laisse aussi cette Vie que vous m’avez défendu de brûler, quoiqu’il y ait bien des choses inutiles98

Mais ma lheureusement il meurt avant elle. Dans les dernières années de sa vie, Mme Guyon réunissait à Blois des disciples, qui se voyaient aussi entre eux, indépendamment. On dispose de séries de lettres adressées au marquis de Fénelon, le neveu de l’archevêque, au baron de Metternich, diplomate de la cour de Prusse, à Poiret et à son groupe d’amis, à des Ecossais99 . Les lettres circulaient entre les disciples, qui eux-mêmes voyageaient beaucoup entre Blois, Paris, Cambrai, la Hollande, l’Ecosse proche de celle-ci par mer…

Une école mystique française.

On n’a pas de preuve que ce type de transmission de la grâce de cœur à cœur se soit poursuivi après la mort de Madame Guyon. Mais ses disciples ont continué à se réunir en cercles dont on retrouve les traces jusqu’en 1830 environ. Ainsi, en 1769, J.-Ph. Dutoit, un pasteur de Lausanne et éditeur de son œuvre, fut l’objet d’une visite de la police de Berne, dont le procès-verbal de saisie de ses livres se limite à quatre auteurs : Bernières, Bertot, Madame Guyon, Poiret (outre la Bible et l’Imitation)100. Cela ferme en quelque sorte deux siècles d’histoire.

On connaît par ailleurs l’influence sur des milieux très divers, dont le milieu maçonnique par l’intermédiaire du chevalier Ramsay. Il existe plus qu’une influence chez le jésuite Jean-Pierre de Caussade : L’Abandon à la Providence divine, œuvre préférée à d’autres du même auteur, constitue une résurgence en milieu catholique - avec toute la précaution rendue nécessaire après l’affaire du quiétisme - de la spiritualité de l’école101. Elle trouve aussi refuge dans les terres lointaines du Québec depuis Bernières, ou étrangères du protestantisme depuis Madame Guyon. L’œuvre de celle-ci et de ses prédécesseurs est connue des Quakers américains, de Wesley et des Méthodistes102.

Cette tradition d’origine française est capitale par le témoignage qu’elle donne de la primauté accordée à la vie intérieure et à l’expérience mystique, qui peut s’accompagner d’une pratique religieuse mais n’en dépend pas. Cette expérience personnelle n’a pas été vécue par des génies solitaires, mais dans des cercles amicaux réunis autour d’un père ou d’une mère spirituelle qui transmettaient la grâce de cœur à cœur. On devine des filiations de ce type chez des Pères du désert, dans le milieu où vécut Syméon le Nouveau Théologien, chez des franciscains, des béguines et chez Ruysbroek, au Carmel, pour ne citer que des exemples antérieurs au sein de cultures d’inspiration chrétienne ; mais les témoignages écrits font le plus souvent défaut.

Honoré de Sainte-Marie, carme contemporain de Madame Guyon, avait cette perception de l’histoire de la spiritualité, qu’il nous présente comme un torrent spirituel, jamais interrompu, et détaille, siècle après siècle, avec une érudition étonnante pour son époque, dans sa belle Tradition[…] sur la contemplation103.

Le crépuscule de la vie mystique104  a vu, au sein du catholicisme, un développement étonnant de formes extérieures - culte marial, apparitions - dont beaucoup se détournent. Il vaut la peine de réhabiliter une filiation proposant un « christianisme intérieur » d’une grande sobriété. Certes elle a échoué à s’insérer dans le courant majoritaire, mais elle est parvenue à associer très tôt des catholiques à des protestants, et même à influencer quelques adeptes des lumières. Dominique TRONC.

Weitergabe eines mystischen Erbes : Chrysostome de Sains-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon



Recherchen XXVI, Benediktinerinnen, Köln, 2008, 21-79.

QUIÉTUDE ET VIE MYSTIQUE : MADAME GUYON ET LES CHARTREUX.


Dominique Tronc.

Contribution à la journée d’études du CRESC du 24 mars 2004,

« Introduction à la vie intérieure et parfaite, réflexion autour de Dom Innocent Le Masson ».




Introduction.


Dom Le Masson résume ainsi, en 1699, à la fin de la « querelle du quiétisme », la doctrine suspecte et les effets qu’on en peut attendre 105 :

« Quelle conduite spirituelle intérieure, quelle pratique conforme aux principes de l'Évangile ; quelle pureté de morale peut-on attendre des personnes qui sont persuadées ?

1. Qu'il n'est question que de faire à Dieu un don de sa liberté, lequel étant une fois fait dure toujours, sans qu'il soit besoin de le renouveler, et que ce serait même une faute de le réitérer.

2. Que l'Âme qui a fait ce don doit croire que l'esprit de Dieu la possède et la gouverne, de telle sorte que c'est lui qui agit d'en elle, et qu'elle doit considérer toutes ses pensées et tous ses mouvements comme des opérations divines.

3. Qu'elle doit s'abandonner à cette conduite de l'Esprit de Dieu sans faire [59] aucune réflexion sur elle-même, ni sur ce qui se passe dans elle, et sans faire autre chose que pratiquer l'abandon.

4. Qui croit que c'est déroger à cet abandon, que de demander quelque chose à Dieu, tel qu'il puisse être, et en quelque état qu'elle se trouve de dangers, de tentations, etc. et qui n'a besoin que de cet abandon pour toute préparation aux Sacrements.

5. Et enfin qui croit faire un sacrifice à Dieu en renonçant au salut éternel.

Que peut-on, dis-je, attendre des personnes préoccupées de ces erreurs ? Rien autre chose,

1. Qu'une destruction cachée, mais réelle, et effectuée de toutes les bonnes moeurs.

2. Qu'un anéantissement du Christianisme.

3. Et enfin qu'un Athéisme d'exercice et de pratique, dans lesquelles on vivra en ne rendant pas plus de culte à Dieu que s'il n'y avait point de Dieu.

Il ne restera donc plus dans ces personnes, que la bestialité de l'homme animal, et que la cupidité revêtue des termes de piété, que ces Spirituels abandonnés ont dérobé des livres des mystiques pour s'en faire comme des habits et en couvrir leurs turpitudes.

Ou plutôt il ne restera plus qu'une diabolicité, s'il est permis d'user de ce terme, [60] revêtue d'un vêtement trompeur d'Amour de Dieu imaginaire.

Voilà de quels malheurs le Christianisme est délivré par l'extirpation du Quiétisme. » .



Ce texte frappe par son extrême violence et nous essaierons donc d’en comprendre l’origine en retraçant tout d’abord le trajet biographique de madame Guyon, puis en examinant les charges portées contre ses mœurs, enfin en esquissant quelques points de comparaison entre les conceptions de la vie intérieure chez deux spirituels que rien n’aurait dû opposer.



I. Eléments historiques.


Madame Guyon (1648-1717) est une figure célèbre mais méconnue. Rappelons brièvement les principaux événements de sa vie, en privilégiant ses relations avec les chartreux et les chartreuses.

Elle naît en 1648 dans une famille bourgeoise riche. Cinquième enfant issue d’un second mariage de son père, elle semble avoir été négligée : ainsi, livrée à elle-même, elle va « dans la rue avec d'autres enfants jouer à des jeux qui n'avaient rien de conforme à sa naissance » 106. Elle a cependant la chance d’être éveillée à la vie de l’esprit par sa demi-sœur religieuse Marie-Cécile, « si habile qu’il n’y avait guère de prédicateurs qui composât mieux des sermons qu’elle » .

Elle sera également en bons termes avec son demi-frère Grégoire, de la chartreuse de Gaillon. Il a toute son estime, ce dont témoigne une lettre qu’elle lui écrit en décembre 1684. Elle témoigne également de l’esprit qui animait madame Guyon au moment de sa rencontre avec Dom Le Masson  :

« Vous ne devez pas douter, mon très cher frère, que ce ne soit avec beaucoup de plaisir que je reçois de vos nouvelles, mais je vous dirai simplement que votre dernière m’en a donné plus que nulle autre. Elle a le goût du cœur, vous êtes le seul de ma famille qui goûtiez la conduite de Dieu sur moi […]. Vous ne sauriez dire le bien que Notre Seigneur fait faire à Grenoble pour l’intérieur […]. Il faut que je verse mon cœur dans le vôtre et que je vous dise q que je trouve partout cette volonté essentielle de Dieu, non hors de Lui, mais en Lui-même, en sorte qu’Il m’a mise dans l’impossibilité de faire autre chose que ce qu’Il veut de moment en moment, sans que je puisse me regarder moi-même… » 107.



Grégoire mourra, âgé, en février 1698, au moment même où madame Guyon subira les longs interrogatoires de La Reynie, dans le donjon de Vincennes.

Revenons en 1664. Elle est mariée à seize ans :

« Mon mari avait vingt et deux ans de plus que moi […] J'eus quelque temps un faible, que je ne pouvais vaincre, qui était de pleurer […] L’on [il s’agit de la belle-mère autoritaire] me tourmentait quelquefois plusieurs jours de suite sans me donner aucune relâche […] Je m'en plaignais quelquefois à la Mère Granger108 qui me disait : Comment les contenteriez-vous, puisque depuis plus de vingt ans je fais ce que je peux pour cela [pour les contenter], sans en pouvoir venir à bout ? » 109.

Après « douze ans et quatre mois de mariage » son mari meurt avec courage en 1676, réconcilié par l’attention avec laquelle elle le soigna : « Il me donna des avis sur ce que je devais faire après sa mort pour ne pas dépendre des gens… ». Elle est veuve, âgée de 28 ans, ayant eu cinq enfants dont trois lui survivront.

Une longue nuit mystique de sept années prend fin deux ans plus tard. Elle règle affaires familiales et financières, consulte son directeur Bertot et des spirituels dont Claude Martin, le fils de Marie de l’Incarnation, puis part en Savoie : « Je donnai dès Paris […] tout l'argent que j'avais […] Je n'avais ni cassette fermant à clef, ni bourse 110. » A Gex, près de Genève, où elle arrive fin juillet 1681, « l’on me proposa l'engagement et la supériorité » des Nouvelles Catholiques chargées de l’éducation de jeunes protestantes. Mais « certaines abjurations et certains détours ne me plaisaient pas ».

C’est à ce moment que, « dépouillée de tout, sans assurance et sans aucuns papiers, sans peine et sans aucun souci de l'avenir », elle compose en 1682, à Thonon, où se jette la Dranse dans le lac Léman, les Torrents, un exposé du déroulement de la vie mystique illustré par une analogie. Elle découvre aussi « une autre manière de converser », en union avec le P. Lacombe : « j’apprenais son état tel que je le ressentais, puis incontinent je sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait…111 »

A l’automne 1683 elle se rend de Thonon à Turin qu’elle quittera le 2 avril 1684 pour Grenoble où elle reprend son apostolat qui s’étend :

« Je ne fis aucune visite, mais je fus surprise lorsque, peu de jours après mon arrivée, il vint me voir plusieurs personnes qui faisaient profession d'être à Dieu d'une manière singulière. / Je m'aperçus aussitôt d'un don de Dieu qui m'avait été communiqué, sans que je le comprisse, du discernement des esprits et de donner à chacun ce qui lui était propre. […] Je voyais clair dans le fond l'état des âmes de celles qui me parlaient, et cela avec tant de facilité, que celles qui venaient me voir étaient dans l’étonnement et se disaient les unes aux autres que je leur donnais à chacune ce qu’elles avaient besoin […], elles s'envoyaient (à moi) les unes les autres. Cela vint à tel excès que, pour l'ordinaire, depuis six heures du matin jusqu’à huit heures du soir, j'étais occupée […]. Il leur était donné une facilité surprenante pour l'oraison… » 112



Cet apostolat s’étend à des religieux (des capucins et / ou des bénédictins 113) :

« …un frère qui s'entend très bien aux malades étant venu à la quête, et ayant su que j'étais mal, entra. Notre-Seigneur […] permit que nous entrâmes dans une conversation qui réveilla en lui l'amour qu'il avait pour Dieu, et qui était, à ce qu'il dit, étouffé par ses grandes occupations. Je lui fis comprendre qu'il n'y avait aucune occupation qui pût l'empêcher ni d'aimer Dieu, ni de s'occuper de lui. » 114

«  Ce bon frère fit en sorte que son supérieur me vint voir pour me remercier des charités, disait-il, que je leur faisais. Notre-Seigneur permit qu'il trouva quelque chose dans ma conversation qui lui agréa. Enfin il fut achevé d'être gagné, et ce fut lui qui, étant fait visiteur à quelque temps de là, débita une si grande quantité de ces livres [il s’agit du Moyen court] qu'ils firent acheter à leurs frais… » 115.



Elle fait ensuite allusion à l’ordre des chartreux  :

« Notre-Seigneur me donna un très grand nombre d'enfants et trois religieux fameux d'un ordre dont j'ai été et suis encore fort persécutée. Ceux-là me sont très intimes, surtout un. Il me fit servir à un grand nombre de religieuses et de filles vertueuses… » 116.



Elle rédige des Explications de l’Ecriture sainte incluant une interprétation du Cantique des cantiques. Le 7 mars 1685, est publié le Moyen court, à l’initiative d’un conseiller au Parlement. D’assez nombreuses réimpressions feront de cet ouvrage un succès de librairie tandis que le rayonnement de l’auteur atteint des chartreux et des chartreuses.

La grande Chartreuse n’est en effet guère distante « de la ville de Grenoble, d’où l’on apporte tous les jours des denrées, la charge de deux mulets, car il faut beaucoup de vivres aux religieux, qui sont au nombre de plus de soixante… » 117. Madame Guyon aura connu les bâtiments avant l’incendie du 10 avril 1676, lorsqu’elle rencontra Dom Le Masson, peut-être pour solliciter sa permission de prendre contact avec des chartreuses. Ce dernier nous déclare :

« Je n'avais pu me dispenser, six ou sept ans auparavant, de parler à la dame, qui était venue de Grenoble, monter dans un endroit de nos [12] rochers, où elle pouvait me parler. Ceux qui m'accompagnaient peuvent être des fidèles témoins de ce que je leur dis après être sorti de la conversation de cette dame, des sentiments que j'avais conçus de ces entretiens spirituels, qui m'étaient venus tout d'abord [sic] fort suspects. » 118.



Le rayonnement de l’apostolat d’une simple laïque apparaît finalement assez dérangeant et l’évêque de Grenoble, Etienne Le Camus 119, fait prier Mme Guyon de quitter Grenoble :

«  …La dame me demanda la permission de continuer ses conférences, et je la lui refusai, et je lui fis dire qu’il lui serait avantageux de se retirer du diocèse [de Grenoble]. De là, elle s’en alla dans des monastères de chartreuses, où elle se fit des disciples. / Elle était toujours accompagnée d’une jeune fille qu’elle avait gagnée… [suit un récit que nous reproduirons dans la section relative aux moeurs] / Ce général, homme très savant et très sage, a été obligé de sortir de sa solitude, pour aller réparer les désordres que cette dame avait faits dans quatre couvents de chartreuses, où elle avait fait la prophétesse comme partout ailleurs. » 120.



Madame Guyon visita de fait au moins le monastère de Premol, distant de trois lieues de Grenoble, qui comptait probablement une trentaine de religieuses 121 :

« Elle vit en ce pays-là les chartreuses de Ple…. [Prémol], à qui elle donna un commentaire sur le Cantique des cantiques et leur apprit beaucoup de choses de spiritualité, dont le père général des chartreux ne fut pas content : ce qui l’a même engagé depuis à faire d'autres commentaires sur le même cantique […] elle cessa, à cause de cela, de voir les chartreuses…» 122


Ses livres et sa doctrine pénétrèrent également à Mélan et à Salettes 123. Cette irruption dans la vie des chartreuses irrita le Général, dont son biographe nous dit :

« À peine averti, nous le voyons recourir aux grands moyens : il va se rendre lui-même sur les lieux. / Pour comprendre ce que cette démarche a de tout à fait insolite, il faut se rappeler que l'observance des « limites de chartreuse » est pour le général [...] une tradition sacro-sainte, et à laquelle on ne cite que très peu de dérogations dans toute histoire de l'ordre. Néanmoins Dom le Masson n'hésite pas à recourir à Rome pour demander les dispenses nécessaires. Le 4 avril 1690, il obtient d'Alexandre VIII un bref l'autorisant à visiter en personne les trois couvents [...] Dom Innocent agit avec vigueur. Il fait brûler sous ses yeux tous les livres qui, de près ou de loin, touchent au quiétisme ; puis il rassemble les moniales en séance capitulaire, et, après avoir réfuté les doctrines guyonniennes, il expose les principes du véritable amour de Dieu d'après saint François de Sales : la première preuve en est l'obéissance à la loi de Dieu et aux Statuts de l'ordre. [...] La visite avait porté d'excellents fruits. « Les moniales furent subjuguées par la science et la vertu du révérend père » nous dit l'historien du monastère de Mélan [...] « J'ai de la joie, écrit de son côté le général à la prieure de ce monastère, d'apprendre que vous avez remis les esprits à la paix [...] Vous savez, ajoute-t-il, qu'il y avait bien du déchet... » 124.


L’irritation de Le Masson envers « cette femme que Saint-Jean appelle Jézabel dans son Apocalypse 125 » l’emporte :

« Je connais de quoi est capable Madame de Guyon et de nom et de doctrine, d'œuvre et même de visage, car elle a voulu me voir, et je lui ai parlé sur le bord de notre désert. [...] Madame de Maintenon a fait un bien qui est encore plus grand qu'elle ne pense en faisant écarter et resserrer cette femme... » 126.



L’alarme, qui n’avait visiblement pas été dissipée par leur rencontre, provoqua finalement la rédaction par Le Masson d’une Déclaration […] à la postérité  127 :

« Voici l’origine de ma descente chez les moniales […] J'ai reconnu depuis par expérience locale la grandeur du mal qui surpasse beaucoup tout ce que je pensais, et la nécessité du remède [...] sans recourir à Rome, où il faudrait décliner son nom, révéler la turpitude, etc. »


La « turpitude » ne semble pas avoir été très considérable. En 1702 :

« Dom Charles le Coulteux montre que nul reproche ne fut tenu contre les communautés de Prémol et de Salettes ; il précise ce qu'on put constater à Mélan : « Choses de peu d'importance », selon lui, « dont les communautés de filles ne sont jamais exemptes ». Notre documentation ne nous permet guère de concilier ces jugements contrastants [entre Le Masson et Le Coulteux]…» 128.


Revenons à madame Guyon, en route pour la seconde fois vers le Piémont, cette fois-ci par mer, car nous sommes à peine sortis de l’hiver 1685. A Marseille, elle est appréciée de Malaval. Après un voyage difficile sur mer, par suite de tempête, et sur terre, par suite du mauvais accueil des Génois bombardés peu de temps auparavant 129, et d’une rencontre de voleurs, elle arrive à Gênes le 18 avril et à Verceil [Vercelli, à 70 kilomètres de Milan] le 20 avril. Elle est bien accueillie par l’évêque V.A. Ripa 130, qui fut en relation avec le cardinal quiétiste Petrucci, puis par son amie la marquise de Prunai, proche de la Cour de Turin. Elle écrit cependant le 3 juin 1685 à J. d’Arenthon, évêque de Genève, qui lui refusera de s’installer dans son diocèse 131. Enfin, après un séjour de près d’un an en Piémont 132, madame Guyon et le P. Lacombe, nommé à Paris, retournent au printemps 1686 en France, et passent une seconde fois par Grenoble :

« Tous ceux que Dieu m'avait donnés la première fois que je fus à Grenoble, me vinrent voir durant ma maladie, et témoignèrent une extrême joie de me revoir. Ils me montrèrent les lettres et les rétractations de cette pauvre fille passionnée [Cateau-Barbe] 133, et je ne vis pas que personne fut resté impressionné de ses contes. Monsieur de Grenoble me témoigna plus de bonté que jamais, m'assura n'en avoir jamais rien cru, et m'offrit de rester dans son diocèse. L’on me fit encore de nouvelles instances pour me porter à rester à l'hôpital général…» 134.



Ils remontent enfin vers Paris, sont à Lyon le 25 mai, puis à Dijon où ils rencontrent Claude Quillot. Le 16 juillet, Molinos est arrêté à Rome. « J’arrivai à Paris la veille de la Madeleine 1686 [22 juillet], justement cinq ans après mon départ. » Nous abrégeons la suite, période publique mieux connue 135 :

Des jalousies entre religieux « firent entendre à Sa Majesté que le père Lacombe était ami de Molinos » […] Quant à elle : « l’on me signifia que l'on ne voulait pas me donner ma fille, ni personne pour me servir; que je serais prisonnière, enfermée seule dans une chambre […] au mois de juillet dans une chambre surchauffée. » On veut en fait marier sa fille au neveu (dissolu) de l’archevêque de Paris, Harlay.

Libérée, elle quitte le couvent-prison de la Visitation pour habiter « une petite maison éloignée du monde. » Elle est active auprès d’un cercle de disciples et à Saint-Cyr où « madame de Maintenon me marquait alors beaucoup de bontés ». Le duc de Chevreuse lui fait connaître Bossuet, auquel on communique la Vie écrite par elle-même que ce dernier « trouva si bonne qu'il lui écrivit qu'il y trouvait une onction qu'il ne trouvait point ailleurs, qu'il avait été trois jours en la lisant sans perdre la présence de Dieu 136 ».

Cela ne dure pas. Elle a quarante-sept ans lorsque commence la seconde période d’épreuves. Elle se rend tout d’abord d’elle-même au couvent de Sainte-Marie de Meaux où elle conquiert l’estime de la mère Picard et des religieuses tandis qu’elle est fort menacée par Bossuet, soumis lui-même aux pressions de madame de Maintenon (les causes du changement d’attitude de l’épouse secrète du Grand Roi ne sont pas encore clairement établies : se mêlent l’attitude de Fénelon, la crainte du scandale, et peut-être une jalousie spirituelle).

Madame Guyon est finalement arrêtée et enfermée par lettre de cachet à Vincennes : « après neuf ou dix interrogatoires de six, sept et huit heures quelquefois, il [M. de La Reynie] jeta les lettres et les papiers sur la table…» Elle est transférée dans un couvent-prison à Vaugirard constitué spécialement : « [la gardienne] venait m'insulter, me dire des injures, me mettre le poing contre le menton, afin que je me misse en colère. » On bascule enfin de la contrainte à la terreur : « M. le Curé me dit, un jour, un mot qui me parut effroyable […] qui était qu'on ne me mettait pas en justice parce qu'il n'y avait pas de quoi me faire mourir […] défendant, s'il me prenait quelque mal subit comme apoplexie ou autre de cette nature, de me faire venir un prêtre 137. »

Embastillée, elle subit « plus de vingt interrogatoires, chacun de plusieurs heures […] ma vie me quittait. Je tâchai de gagner mon lit pour mourir dedans […] J'aurais toujours caché mon mal, si l'extrême maigreur, jointe à l'impuissance de me soutenir sur mes jambes, ne l'eût découvert. On envoya quérir le médecin qui était un très honnête homme. L’apothicaire me donna un opiat […] Je le montrai au médecin qui me dit à l'oreille de n'en point prendre, que c'était du poison. » 138. Libérée à cinquante-quatre ans, durant ses dernières années actives à Blois, elle forme des disciples français et étrangers, avant de mourir en paix, âgée de soixante-neuf ans :

« Elle vivait avec ces Anglais [écossais] comme une mère avec ses enfants. […] ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s’en occupaient en sa présence et lui en demandaient son avis, elle leur répondait : Oui, mes enfants, comme vous voulez. […] Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans, que laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d’elle. » 139.

II. Accusations.



Le dossier des accusations portant sur la vie privée de madame Guyon est incontournable, car l’autorité du Général des chartreux, dont on nous dit qu’il était crédule, leur avait donné du poids. Les calomnies ont été réfutées grâce aux travaux érudits de Louis Cognet, Jean Orcibal, Marie-Louise Gondal.

Dom Innocent Le Masson avait écrit à M. Tronson 140, le 8 novembre 1694 :

«  … Permettez-moi de vous témoigner la consolation que j’ai eue en voyant l’Ordonnance de Mgr votre archevêque, qui condamne et défend les livres d’une dame directrice dont la doctrine métaphysique a fait bien du tort à plusieurs bonnes âmes, et sa conduite encore plus à quelques-unes. J’ai trouvé son Cantique 141 entre les mains de nos filles chartreuses, qui leur aurait mis dans l’esprit de dangereuses rêveries si je ne leur avais retiré des mains ; et même je leur en ai dressé un autre  142, afin de leur arracher de l’esprit ce que celui de la dame y avait déjà imprimé. Je me donne l’honneur de vous l’envoyer… »



Il s’agissait là d’une « compétition portant sur l’autorité spirituelle » : le Général avait de bonnes raisons pour ne pas accepter l’intervention d’une laïque chez ses dirigées – quand bien même madame Guyon se défendait d’avoir recherché extérieurement ou intérieurement une telle autorité.

Mais Dom Innocent ne s’arrête pas là. Dans une lettre 143 écrite trois jours plus tard, le 11 novembre 1694, où il informe l’abbé de La Pérouse de l’envoi de son propre Cantique en réponse à celui de la Dame, il insinue des « choses terribles » 144. Car tout procès d’Inquisition requiert que deux volets soient remplis, l’un portant sur la doctrine et l’autre portant sur les mœurs 145.

« …J’ai écrit à M. Tronson une lettre de congratulation […] J’ai même donné charge à un des officiers de la Chartreuse de Paris de lui porter un de mes Cantiques, où il verra que je ne l’ai fait que pour détruire les dangereuses et méchantes rêveries de la Dame. […] C’est à moi-même, monsieur, que la patiente [il s’agit de Cateau-Barbe, fille qui fut un temps au service de madame Guyon] l’a dit, flens et gemens [pleurant et gémissant]. Elle me l’a dit comme un enfant à son père, pour tirer de lui instruction et consolation. C’est un sujet d’affliction qui lui reste au cœur d’avoir suivi, etc. [sic] ; et un des sujets de ses plus intimes actions de grâces à Dieu, c’est d’avoir été préservée du danger, qui lui paraît comme un abîme où elle devait périr, sans un secours spécial de la miséricorde de Dieu. C’était comme un pauvre agneau innocent qu’on menait, etc. [sic]. Il y a des circonstances singulières que le papier ne peut souffrir ; mais je prie M. T[ronson] d’user de sa prudence en ceci : car si cette dame adroite [madame Guyon] en avait la moindre ouverture, elle se douterait bien que c’est la patiente qui me l’a révélé, et elle envelopperait une fille angélique dans ses affaires. C’est un grand service pour le public que d’arrêter le cours du dommage que cette illuminée fera partout, si on la laisse faire... » 146.



On ne perçoit pas très clairement la nature exacte du lien suggéré. En tout cas Tronson aura connaissance de ces insinuations, comme l’indique sa lettre  à l’abbé de la Pérouse du 29 janvier 1695, rendant compte de la défense de madame Guyon à l’époque des entretiens d’Issy :

« …elle donne des explications si catholiques aux difficultés qu’on lui propose, qu’il ne sera pas aisé de condamner la personne touchant la doctrine, à moins qu’on ne voie du dérèglement dans les mœurs. Le fait contenu dans le billet du Père général est terrible ; mais comme on ne peut nommer personne, il ne fera pas sur les esprits toute l’impression qu’il serait à désirer […] le détail que je vous ai écrit était pris de sa Vie […] je vous prie même d’effacer dans les lettres que je vous ai écrites, que ces choses sont tirées de sa Vie » 147.



Ce qu’il répète dans le post-scriptum à sa lettre adressée à Le Masson le 8 juillet 1695 :

« Je n’ai pu me servir efficacement du billet que vous savez et que M. l’abbé de la Pérouse m’avait envoyé, parce que le secret [d’obligation] m’empêchant de nommer personne, ni de dire le lieu d’où il était envoyé, il n’a eu aucun effet. » 148.



Le cardinal Le Camus, évêque de Grenoble, reprendra l’accusation dans une lettre adressée à l’évêque de Chartres en 1697. Cette lettre qui circula à Paris au moment des interrogatoires au donjon de Vincennes a déjà été citée 149 à propos de l’activité « missionnaire » de madame Guyon. Nous reproduisons maintenant les accusations :

« […] Elle était toujours accompagnée d’une jeune fille qu’elle avait gagnée, et qu’elle faisait coucher avec elle 150 : cette fille est très bien faite et pleine d’esprit. Elle l’a menée à Turin, à Gênes, à MarseiIle et ailleurs, et ses parents s’étant venus plaindre à moi de l’enlèvement de leur fille, j’écrivis qu’on la renvoyât, et cela fut exécuté. Par cette fille, on a découvert d’affreux mystères. On s’est convaincu que Mme Guyon a deux manières de s’expliquer. Aux uns, elle ne débite que des maximes d’une piété solide ; mais aux autres, elle dit tout ce qu’il y a de plus pernicieux dans son livre des Torrents, ainsi qu’elle en a usé à l’égard de Cateau-Barbe ; c’est le nom de cette fille dont l’esprit et l’agrément lui plaisaient.

Repassant par Grenoble, elle me fit tant solliciter 151, que je ne pus lui refuser une lettre de recommandation […]

Si le bénédictin [Dom Richebracque] ne s’était pas rétracté, c’eût été une nouvelle preuve contre cette dame : mais ce père se trouva engagé à se dédire par une personne de grande qualité dont il faut taire le nom 152. Mais il y avait déjà de quoi se convaincre assez des erreurs et de la conduite de cette femme, qu’on voyait courir de province en province avec son directeur […]

Le général des chartreux a écrit une très grande lettre à M. N. [Tronson], sur tout ce qu’il a découvert de la conduite de cette dame et de Cateau-Barbe. Ce général, homme très savant et très sage 153… »


Terminons sur les suites des insinuations concernant la perturbatrice. L’enquête menée par Chevreuse conduisit à des témoignages donnant un tout autre son de cloche. S’en détache celui du bénédictin, Dom Richebracque, qui répond point par point, en prenant la défense de l’accusée, en particulier, sur la question de ses mœurs 154 :

« …le bruit s'apaisa bientôt, parce, disait-on, que la fille [Cateau-Barbe] s'était rétractée, ayant, par les remords de sa con­science, reconnu que le seul dépit de n'avoir pas fait le voyage [en Piémont] l'avait fait parler si mal à propos. On di­sait aussi que cette fille avait eu quelque temps l'es­prit égaré. Vous voulez, monseigneur, que j'ajoute s'il ne m'est rien revenu d'ailleurs de mauvais des mœurs de la dame. Je le fais, en vous assurant que non. On di­sait au contraire beaucoup de bien de sa grande re­traite, de ses charités, de son édifiante conversa­tion, etc. Un M. Giraud [l’éditeur du Moyen court], entre les autres, conseiller, et si j'ose le dire d'un si saint homme, mon ami, homme d'une probité reconnue, et que l'on m'a mandé être mort depuis quelques mois en odeur de sainteté, ne pouvait s'en taire, et prenait généreusement son parti, quand la prudence ou la charité l'exigeaient de lui. »



On dispose également d’attestations remarquables des religieuses et de la supérieure du couvent de Meaux où madame Guyon fut emprisonnée, de réfutations d’accusations diverses, etc. 155.

En conclusion, les deux insinuations les plus directes portant sur les mœurs les plus intimes, d’une part issue d’une dénonciation de Cateau-Barbe, reprise par Dom Le Masson, d’autre part venant des témoins de rapports paraissant trop intimes avec le P. Lacombe, renforcés par une fausse lettre attribuée au P. Lacombe et présentée à madame Guyon à Vincennes 156, ne purent être confirmées malgré des pressions intenses. Madame de Maintenon eut communication des interrogatoires préparés soigneusement 157, une enquête avait été préalablement conduite sur toutes les relations de l’accusée 158. Madame Guyon fut finalement lavée sur le chapitre des mœurs : « Et quand l’Assemblée du Clergé donna le 26 juillet 1700 à Bossuet l’occasion de présenter une relation de toute l’affaire, il dut reconnaître […] que pour les abominations qu’on regardait comme les suites de ces principes [quiétistes], il n’en fut jamais question, et cette personne en témoignait de l’horreur. » 159.

L’abbé Cognet, en 1967, met en cause l’évêque de Grenoble : « l'attitude prise par Le Camus demeure mystérieuse et, pour l'apprécier, il faut tenir compte des sympathies ouvertement jansénistes et de l'évidente duplicité du personnage, qui plus tard cherchera à se donner la gloire un peu facile d'avoir été l'un des premiers à détecter le quiétisme en France160. » Deux études de Jean Orcibal confirment la réhabilitation 161. Madame Gondal, puis nous-même constatons qu’« à mesure que les documents sortent du silence où ils ont été enfouis, la contre-accusation menée par l’accusée s’avère exacte 162. »



III. Une filiation au sein d’un réseau spirituel.



Elevons-nous maintenant au-dessus de la chicane pour aborder le fond spirituel. Les attitudes de l’évêque de Grenoble et de Dom Le Masson nous paraissent moins mystérieuses si l’on prend conscience que l’influence de madame Guyon reposait sur l’expérience vécue par ses amis, à savoir celle d’une transmission cœur à cœur de la grâce, apparemment inexplicable pour ces prélats, et ceci d’autant plus qu’il s’agissait d’une femme et d’une simple laïque.

Cette expérience est pourtant bien connue dans le monde entier ; elle est restée par exemple vivante dans l’orthodoxie. Madame Guyon affirme être le lieu où se transmet la grâce de cœur à cœur en silence. Le directeur spirituel est alors semblable à un canal où l’eau de la grâce dévale vers le cœur de celui qui reçoit et le fait avancer dans sa vie spirituelle.

Le célèbre verset  « …lorsqu’il y a en quelque lieu deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je suis là au milieu d’elles » est commenté ainsi par madame Guyon :

« Ils se parlent plus du cœur que de la bouche ; et l’éloignement des lieux n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement deux ou trois personnes […] dans une si grande unité, qu’ils se trouvent perdus en Dieu […] l’esprit demeurant aussi dégagé et aussi vide d’image que s’il n’y en avait point. […] Dieu fait aussi des unions de filiations, liant certaines âmes à d’autres comme à leurs parents de grâce. » 163.


Elle affirme ce lien intérieur avec Fénelon, qu’elle considère comme son fils spirituel le plus proche, et écrit en avril 1690 :

« …j’ai cette confiance que si vous voulez bien rester uni à mon coeur, vous me trouverez toujours en Dieu et dans votre besoin » 164.



A cette confiance, celui-ci répond à un moment où il craint de la voir mourir :

« …serais-je à l'avenir sans guide ? Vous savez ce que je ne sais point et les états où je puis passer [...] Je puis me trouver dans l'embarras ou de reculer sur la voie que vous m'avez ouverte, ou de m'y égarer faute d'expérience et de soutien. Je me jette tête première et les yeux bandés dans l'abîme impénétrable des volontés de Dieu. Lui seul sait ce que vous m'êtes en Lui et je vois bien que je ne le sais pas moi-même, mais je vous perds en Lui comme je m'y perds » 165


Madame Guyon le considèrera un temps comme son successeur :

« Je vous laisse l’esprit directeur que Dieu m’a donné. » 166


Mais Fénelon mourra avant elle.

Une telle direction spirituelle s’exerçant de cœur à cœur ne peut se justifier que si elle s’inscrit dans le droit fil d’une tradition. Les influences reçues par la jeune madame Guyon font apparaître un réseau spirituel très dense dont émergent des figures irréprochables sur le plan religieux catholique 167. Au sein de ce réseau qui couvre au moins trois générations, prend place une filiation cachée dont nous indiquons ici très brièvement l’existence.



Remontons le temps.

Madame Guyon, vers la fin de sa vie, rassemble les lettres et des opuscules de son directeur de jeunesse, le prêtre Jacques Bertot (1620-1681). Un « tombeau » est ainsi élevé à sa mémoire  sous la forme de quatre volumes, édités en 1726, sous un titre inhabituel mais très exact : « Le Directeur mystique […] ». On retrouve un enseignement très semblable à celui de madame Guyon - à tel point que l’on a pu penser qu’elle avait mis la main à l’ouvrage (ce que le style très abrupt de Bertot dément à nos yeux).

Cette direction est assurée sans compromis. L’amour du directeur se manifeste dans sa rigueur ; on n’affronte rien qui soit au-dessus de ses forces, mais tout est apporté par la grâce et elle seule ; il n’y a pas de mérite 168. Voici un extrait d’une lettre de Bertot à la jeune madame Guyon :

« Vous ne pouvez assez entrer dans le repos et dans la paix intérieure; car c’est la voie pour arriver où Dieu vous appelle avec tant de miséricorde. Je vous dis que c’est la voie, et non pas votre centre : car vous ne devez pas vous y reposer ni y jouir, mais passer doucement plus loin en Dieu et dans le néant ; c’est-à-dire qu’il ne faut plus vous arrêter à rien quoiqu’il faille que vous soyez en repos partout. [...] Je vous en dis infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu; si vous y êtes attentive vous l’entendrez. Soutenez-vous en Dieu nuement et simplement, seule et une [...] N’ayez donc plus d’idées, de pensées, de sentiments de vous-même, non plus que d’une chose qui n’a jamais été et ne sera jamais.» 169.


Bertot parle de l’union spirituelle qu’il éprouve avec ses amis et disciples, avant que madame Guyon n’en fasse la description vécue. Il les porte comme un père dans ses prières et les amène à l’union avec lui dans le même état spirituel :

« Si j’entre dans cette unité divine, je vous attirerai, vous et bien d’autres qui ne font qu’attendre ; et tous ensemble n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu seul... » 170.


Jacques Bertot fut le confesseur de la célèbre abbaye de Montmartre à Paris. Son rayonnement s’étendit au cercle de laïcs auquel vint se joindre la jeune Jeanne-Marie Guyon. Il avait été le confesseur des religieuses du couvent fondé à Caen par la sœur de Jean de Bernières (1602-1659) dont il était le fidèle compagnon. Ce dernier, qui fut le « directeur des directeurs de conscience 171 », accueillait ses amis à l’Ermitage. Il en parle avec humour :

« Il m’a pris un désir de nommer l’Ermitage l’hôpital des Incurables, et de n’y loger avec moi que des pauvres spirituels [...] Il y a à Paris un hôpital des Incurables pour le corps, et le nôtre sera pour les âmes. » 172.

« Je vous conjure, quand vous irez en Bretagne, de venir me voir; j’ai une petite chambre que je vous garde : vous y vivrez si solitaire que vous voudrez ; nous chercherons tous deux ensemble le trésor caché dans le champ, c’est-à-dire l’oraison. » 173.


Il était bien conscient de n’être que l’intendant de Dieu :

« Nous vivons ici en grand repos, liberté, gaieté et obscurité, étant inconnus du monde, et ne nous connaissant pas nous-mêmes. Nous allons vers Dieu sans réflexion [...] Je connais clairement que l’établissement de l’Ermitage est par ordre de Dieu, et notre bon Père [Chrysostome] ne l’a pas fait bâtir par hasard ; la grâce d’oraison s’y communique facilement à ceux qui y demeurent, et on ne peut dire comment cela se fait, sinon que Dieu le fait. » 174.


Ces rapports personnels dans sa direction évoquent des lettres que Madame Guyon adressera bien plus tard de Blois à des dirigés :

« …vous serez dans la maison du petit Maître tant que vous le voudrez et pourrez. Si les bons Ecossais viennent, vous pourrez découcher et descendre dans le bas, car je fais de vous comme des choux de mon jardin. » 175.


Jean de Bernières (et bien d’autres) furent dirigés par le rigoureux mais attachant père Chrysostome de Saint Lô (1594-1646), du Tiers Ordre Régulier franciscain, dont la vocation fut suscitée par un laïc, Antoine le Clerc sieur de la Forest (1563-1628).

Le P. Chrysostome fut lui-même formé par deux italiens arrivés vers 1590 : Vincent de Paris et son compagnon Antoine. La première communauté du Tiers Ordre Régulier franciscain s’était propagée jusqu’à Gênes où ils eurent en charge l’hôpital 176. On sait que Catherine de Gênes (1447-1510), dont l’influence sera très grande chez Jacques Bertot et Madame Guyon, a été une tertiaire franciscaine.

On voit que madame Guyon n’était en rien une aventurière puisqu’elle a été formée dans la plus grande rigueur au sein d’une tradition remontant aux franciscains. On peut remarquer aussi que ce milieu d’amis comprenait aussi bien des laïcs que des prêtres, des hommes que des femmes : Antoine le Clerc, sieur de la Forest - P. Chrysostome, religieux – M. de Bernières, receveur des impôts – M, Bertot, prêtre – Mme Guyon… Ceci a probablement interdit la fondation d’un ordre religieux qui eût pu défendre leur spiritualité en leur prêtant une identité structurelle.

Ces liens spirituels ont été vécus dans la plus grande discrétion, sans demander d’autorisation à une autorité. Cette liberté était difficile à admettre pour Dom Le Masson, qui n’en a vu que les dangers potentiels.

IV. La vie mystique.



Après avoir évoqué le milieu dans lequel madame Guyon se situait, nous esquisserons l’étude de quelques thèmes mystiques sur lesquels Dom Le Masson et madame Guyon ont pu s’opposer. Nous nous appuierons sur plusieurs sources.

Deux ouvrages de Dom Le Masson critiquent incidemment les mœurs et la spiritualité de madame Guyon : La Vie de Mgr d’Arenthon d’Alex (1697) 177, suivie d’ Eclaircissements... (1699) 178. Deux de ses autres ouvrages abordent le quiétisme : l’Introduction à la vie Intérieure et parfaite […] (1677, 1701) 179 critiquait déjà « l’inaction » de « nouveaux mystiques », tandis que la Direction […] de l’Oraison […] à l’usage des religieuses chartreuses (1695) 180 réagit contre l’influence directe exercée par madame Guyon.

En face, on trouve trois brefs ouvrages de madame Guyon, (car la grande édition hollandaise de ses œuvres par le pasteur Poiret ne sera produite qu’à partir de 1712). Il s’agit du Moyen court (1685, 1686, ...) 181 ; d’un Commentaire au Cantique des cantiques (Lyon, 1688) 182 ; d’une Règle des Associés à l’enfance de Jésus (1685, 1690). On note que ce qui est facilement accessible aujourd’hui, et donc lu, sont les « écrits de jeunesse » de la première moitié de sa vie : ils incluent les Torrents composés à Thonon dès 1682, ainsi que les deux premières parties (sur quatre en y rattachant le « récit des prisons ») de la Vie par elle-même -, tandis que les « écrits de maturité » de la seconde moitié de sa vie - elle mourut en 1717 âgée de soixante-neuf ans - restent méconnus : Lettres de directions spirituelles, écrits sur la Vie intérieure... 183.



Nous limiterons les citations au Moyen court, connu de Dom Le Masson, en suivant le plan du traité des Torrents, écrit auparavant. Ce dernier texte n’est pas un poème lyrique, comme le suggère un éditeur moderne 184, mais expose l’expérience d’une voie parcourue en de nombreuses années, suivant des étapes nettement différenciées. Nous reprenons leurs titres, judicieusement choisis par l’éditeur Poiret qui devint un disciple apprécié de madame Guyon.



Première « voie active de la méditation ».



C’est la voie traitée par Dom Le Masson dans la tradition des traités ouvrant la voie spirituelle. Dans La Direction […] à l’usage des religieuses chartreuses… le passage suivant reconnaît la réalité mystique tout en la faisant dépendre d’un ordre à suivre où l’adhésion à des croyances risque de prendre le pas sur la vie de foi :

« Vous verrez dans les avis qui sont donnés à la fin de ce traité aux âmes avancées, que quand elles sont comme arrêtées dans ce recueillement par une impression de grâce, et tout occupées de la présence de Dieu, elles doivent s'y tenir, en faisant des effusions de cœur dans son sein, tant que cette impression dure. Si la même [33] chose vous arrive, observez la même règle, mais revenez ensuite à l'ordre de votre direction. Il faut suivre cet ordre, parce qu'étant nécessaire que les commençants soient bien instruits et convaincus des vérités chrétiennes avant que de passer à un plus haut degré [...] [34] l'âme donc ne doit pas recourir aux moyens quand elle se sent comme parvenue à la fin. »



Suit un traité tout à fait classique et raisonnable abordant la méditation, certainement utile à l’enseignement des novices, où abondent les comparaisons avec la grandeur royale :

« [44] l'entretien se doit commencer, 1. Par la connaissance de son néant [...] [45] 2. Par la contrition de ses péchés. 3. Par l'intention d'unir notre prière à celle de Jésus-Christ [...] Disons donc aussi qu'une âme fidèle [47] doit imiter ce gueux [mendiant qui rencontre un roi]. Il faut qu'elle se jette en esprit devant Dieu, comme un autre Lazare, couverte de plaies, mais pleine de désirs d'être rassasiée des miettes de pain qui tombent de sa table ; qu'elle lui découvre ses misères et ses besoins. [...] Comme dit saint François [53] de Sales, le vrai amour n'a guère de méthode. Si l'âme se trouve sèche dans ses considérations, elle doit rejeter le découragement aussi bien que l'inquiétude, et demeurer avec simplicité en la présence de Dieu, pour y fait l'exercice du pauvre gueux dont nous venons de parler. [...] [55] Combien y a-t-il de courtisans qui vont cent fois à la présence du roi, non pas pour lui parler ni pour l'ouïr, mais simplement afin d'être vus de lui et de témoigner par leur assiduité qu'ils sont ses serviteurs ? »



Madame Guyon reconnaît cette voie. Elle suggère de faire cette oraison en s’appuyant sur une lecture et regrette qu’on ne l’enseigne pas, même aux simples qui ne savent lire :

« Après s'être mis en la présence de Dieu par un acte de foi vive, il faut lire quelque chose de substantiel et s'arrêter doucement dessus non avec raisonnement mais seulement pour fixer l'esprit, observant que l'exercice principal doit être la présence de Dieu, et que le sujet doit être plutôt pour fixer l'esprit que pour l'exercer au raisonnement. »185.

« Premièrement, il faut qu'ils apprennent une vérité fondamentale, qui est que « le Royaume de Dieu est au-dedans » d'eux (Lc.17,21) et que c'est là qu'il le faut chercher. Les curés devraient apprendre à faire oraison à leurs paroissiens, comme ils leur apprennent le catéchisme. Ils leur apprennent la fin pour laquelle ils ont été créés et ils ne leur apprennent pas à jouir de leur fin. » 186.



Elle reconnaît la nécessité de la mortification :

« La mortification doit toujours accompagner l'oraison selon les forces, l'état d'un chacun et l'obéissance. Mais je dis que l'on ne doit pas faire son exercice principal de la mortification ni se fixer à telles et telles austérités, mais suivre seulement l'attrait intérieur et s'occuper de la présence de Dieu sans penser en particulier à la mortification. Dieu en fait faire de toutes sortes, et Il ne donne point de relâche aux âmes qui sont fidèles à s'abandonner à lui, qu'Il n'ait mortifié en elles tout ce qu'il y a à mortifier. Il faut donc seulement se tenir attentif à Dieu et tout se fait avec beaucoup de perfection. Tous ne sont pas capables des austérités extérieures, mais tous sont capables de ceci. » 187.



Deuxième « voie passive de lumière ». (Les rivières).


Le Masson évoque la vie mystique en se limitant aux états de contemplation consciente de la douce présence divine. La « vie de foi », qui suivra ces heureux prémices, n’est pas abordée.

« Il y a une autre espèce de contemplation, qui s’appelle passive, de laquelle je ne dis rien. Dieu apprend lui-même ce que c’est aux âmes qu’Il y élève… »188.

« Quand l'âme est attachée à Dieu par la contemplation et qu'elle est toute occupée de sa simple Présence, elle est dans un acte essentiel et continué sans interruption qui comprend tous les actes qu'elle pourrait faire, sans qu'elle ait besoin pour lors des opérations de ses puissances. Si donc les puissances demeurent suspendues pendant ce temps-là, comme quand on est surpris et occupé par une agréable mélodie de voix et d'instruments de musique, et que l'âme puisse faire et fasse par effet un acte intime et essentiel sans qu'elle [253] ait besoin du secours de ses puissances, elle les doit tenir dans cette suspension quand la présence de Dieu les y a mises plutôt que de les rappeler à un travail et à des opérations naturelles ; car cela ne servirait pour lors qu'à troubler la jouissance où elle est de la douce présence de Dieu... » 189.



Il s’oppose à l’inaction, terme pris dans son sens moderne d’oisiveté et non comme un état où se vit l’action de la grâce divine au cœur de l’être (in-action), tout en mettant justement l’action de Dieu en premier :

« Ces actes […] ne laissent point l’âme dans la malheureuse oisiveté d’inaction, que les Quiétistes se sont formée, sous le prétexte de cette passiveté […] Le véritable anéantissement de nous-même ne consiste pas à ne nous point servir de nos puissances, mais à ne faire aucun fond sur nous-mêmes non plus que sur le néant et à attendre tout de Dieu… » 190.



Ce à quoi madame Guyon répond :

« Quelques personnes, entendant parler du silence dans l'oraison, se sont faussement persuadées que l'âme y demeure stupide, morte et sans action. Non, assurément, elle agit plus noblement et plus fortement. Elle est mue et agie par l'Esprit de Dieu. […] L'on ne dit pas qu'il ne faut point agir, mais qu'il faut agir par dépendance du mouvement de la grâce. » 191.


Et elle explique que :

« cette action de l'âme est une action pleine de repos. Lorsqu'elle agit par elle-même, elle agit avec effort. C'est pourquoi elle distingue mieux alors son action. Mais lorsqu'elle agit par dépendance de l'esprit de la grâce, son action est si libre, si aisée, si naturelle, qu'il semble qu'elle n'agisse pas. […] Tous les mouvements que nous faisons par notre propre esprit empêchent cet admirable peintre de travailler et font faire de faux traits. Il faut donc demeurer en paix, et ne nous mouvoir que lorsqu'Il nous meut. […] si nous ne savons pas ce qu'il nous faut, ni même demander comme il faut ce qui nous est nécessaire, et que l'Esprit qui est en nous, à la motion duquel nous nous abandonnons, le demande pour nous, ne devons-nous pas le laisser faire ? »


Troisième « voie passive en foi ». (Les torrents).


Premier degré : amour et intériorité.


Madame Guyon explique comment l’in-action est une action divine dans l’intérieur, vivement ressentie (et parfois pâtie) et explique l’apparente disparition des opérations :

« …l'opération de Dieu, devenant plus abondante, absorbe celle de la créature, comme l'on voit que le soleil, à mesure qu'il s'élève, absorbe peu à peu toute la lumière des étoiles, qui se distinguaient très bien avant qu'il parût. Ce n'est point le défaut de lumière qui fait que l'on ne distingue plus les étoiles, mais l'excès de lumière. Il en est de même ici. La créature ne distingue plus son opération, parce qu'une lumière forte et générale absorbe toutes ses petites lumières distinctes et les fait entièrement défaillir, à cause que son excès les surpasse toutes. De sorte que ceux qui accusent cette oraison d'oisiveté se trompent beaucoup. Et c'est faute d'expérience qu'ils le disent de la sorte. » 192.


Elle justifie cette apparente facilité par sa comparaison préférée du cours d’une rivière :

« Tout ce qu'il y a de plus grand dans la religion est ce qu'il y a de plus aisé. […] De même dans les choses naturelles. Voulez-vous aller à la mer ? Embarquez-vous sur une rivière et, insensiblement et sans effort, vous y arriverez. » 193.



Mais l’on n’est pas toujours orienté vers Dieu, aussi elle reconnaît la nécessité de « faire des actes » dans le cas contraire :

« Si je suis tourné vers Dieu et que je veuille faire un acte, je me détourne de Dieu et je me tourne plus ou moins vers les choses créées, selon que mon acte est plus ou moins fort. Si je suis tourné vers la créature, il faut que je fasse un acte pour me détourner de cette créature et me tourner vers Dieu. […] Jusqu'à ce que je sois parfaitement converti, j'ai besoin d'actes pour me tourner vers Dieu. » 194.



Ensuite cela devient une habitude :

« Comme plusieurs actes réitérés font une habitude, l'âme contracte l'habitude de la conversion. L'acte devient habituel et non formel, dans la suite. [L'âme] ne doit pas se mettre alors en peine de former cet acte parce qu'il subsiste. […] Elle trouve même qu'elle se tire de son état pour le faire, ce qu'elle ne doit jamais faire. » 195.



Une comparaison éclaire ce passage de l’acte « volontaire » à la coopération naturelle au travail de la grâce :

« Lorsque le vaisseau est au port, les mariniers ont peine à l'arracher de là pour le mettre en pleine mer. Mais ensuite ils le tournent aisément du côté qu'ils veulent aller. Lorsque l'âme est encore dans le péché et dans les créatures, il faut, avec bien des efforts, la tirer de là, il faut défaire les cordages qui la tiennent liée. Puis ramant par le moyen des actes forts et vigoureux, tâcher de l'attirer au-dedans, l'éloignant peu à peu de son propre port, et en l'éloignant, on la tourne au-dedans qui est le lieu où l'on désire voyager.

« Lorsque le vaisseau est tourné de la sorte, à mesure qu'il avance dans la mer, il s'éloigne plus de la terre. Et plus il s'éloigne de la terre, moins il faut d'effort pour l'attirer. Enfin, on commence à voguer très doucement et le vaisseau s'éloigne si fort qu'il faut quitter la rame, rendue inutile. Que fait alors le pilote ? Il se contente d'étendre les voiles et de tenir le gouvernail.

« Etendre les voiles, c'est faire l'oraison de simple exposition devant Dieu, pour être mû par son Esprit. Tenir le gouvernail, c'est empêcher notre coeur de s'égarer du droit chemin, le ramenant doucement et le conduisant selon le mouvement de l'Esprit de Dieu qui s'empare peu à peu de ce cœur, comme le vent vient peu à peu enfler les voiles et pousser le vaisseau. » 196.



Deuxième et troisième degrés : course de l’âme à sa perte, dépouillement, mort.



Après la découverte de l’intériorité et des prémices où sont données la paix et parfois la jouissance de la présence divine, l’homme doit être purifié au point d’être consumé par le feu divin. Le chapitre XXIV du Moyen court, traitant du « moyen le plus sûr pour arriver à l'union divine », résume cette longue période qui couvre les deux premières des trois voies traditionnelle de purification, d’illumination, d’union :

« § 1. Il est impossible d'arriver à l'union divine par la seule voie de la méditation pour plusieurs raisons dont j'en dirai quelques-unes. Premièrement, selon l'Ecriture, « Nul homme vivant ne verra Dieu » (Exode, 55, 20). Or tout l'exercice de l'oraison discursive ou même de la contemplation active, regardée comme une fin et non comme une disposition à la passive, sont des exercices vivants par lesquels nous ne pouvons voir Dieu, c'est-à-dire être unis à Lui. […]

« § 6-7. [...] Il faut que sa Sagesse, accompagnée de la divine Justice, comme un feu impitoyable et dévorant, ôte à l'âme tout ce qu'elle a de propriété, de terrestre, de charnel et d'actif. […] l'homme aime si fort sa propriété, et il craint tant sa destruction que, si Dieu ne le faisait lui-même et d'autorité, l'homme n'y consentirait jamais. L'on me répondra à cela que Dieu n'ôte jamais à l'homme sa liberté et qu'ainsi il peut toujours résister à Dieu, que je ne dois pas dire que Dieu agit absolument et sans le consentement de l'homme. Je m'explique, et je dis qu'il suffit d'un consentement passif, que l'homme ait une entière et pleine liberté, parce que s'étant donné à Dieu dès le commencement, pour qu'il fasse de lui et en lui tout ce qu'Il voudrait, il fit alors un consentement actif et implicite à tout ce que Dieu ferait. Mais lorsque Dieu détruit, brûle, purifie, l'âme ne voit pas que cela lui soit avantageux.

« § 8. Dieu, donc, purifie tellement cette âme de toutes opérations propres, distinctes, aperçues, et multipliées, qui font une dissemblance très grande, qu'enfin Il se la rend peu à peu conforme et enfin uniforme, relevant la capacité passive de la créature, l'élargissant et l'ennoblissant, d'une manière cachée et inconnue - c'est pourquoi on l'appelle « mystique ». Mais il faut qu'à toutes ces opérations l'âme ne travaille que passivement.


Le dialogue peut continuer avec un chartreux, Hugues de Balma (~1300), auteur d’une Théologie mystique :

« Parce qu'il ne s'attribue pas en effet les choses qu'il possède, mais les fait toutes tourner à la louange du dispensateur de toutes choses, il creuse en soi une conca­vité en luttant contre soi-même avec plus de vérité. Par elle, l'abondante pluie des grâces divines, franchissant monts et collines, s'introduit dans les endroits moins élevés, de telle sorte que plus grande aura été la concavité de l'humilité, plus elle sera capable de recevoir une grâce plus abondante. » 197.


Ce « creusement » est en quelque sorte céder à l’opération de Dieu, passiveté qui succède peu à peu à l’action ; madame Guyon poursuit :

« Il est vrai qu'avant d'en venir là, il faut qu'elle agisse plus au commencement. Puis, à mesure que l'opération de Dieu devient plus forte, il faut que peu à peu et successivement, l'âme lui cède, jusqu'à ce qu'Il l'absorbe tout à fait. Mais cela dure longtemps.

« § 9. C'est pourquoi, on ne dit pas, donc, comme quelques-uns l'ont cru, qu'il ne faille pas passer par l'action, puisqu'au contraire c'est la porte. Mais seulement qu'il n'y faut pas toujours demeurer. »198


Alors naît une liberté nouvelle. La « mort » subie par le spirituel pèlerin était un passage et non le terme. Le chartreux Hugues de Balma le dit :

« Lorsque, grâce au secours divin, sont supprimés les empêchements […] liens qui s’opposent à la perfection de l’extension unitive, libre alors comme un oiselet, la puissance affective qu'emportent les seules ailes des affections ardentes jouit d'une liberté si grande que chaque fois qu'elle le veut très ardemment elle est mue vers Dieu… » 199.


« Vie nouvelle et divine ».(Quatrième degré et seconde partie des Torrents).


Pour Dom Le Masson une des fausses idées des « Sectateurs du Quiétisme » est celle d’une permanence possible de l’état de grâce.

L'essence de Dieu est [35] tellement propre aux trois adorables Personnes de la Sainte Trinité qu'elle n'est communicable à aucune créature. Ces termes donc d'union essentielle et d'autres semblables, usurpés par quelques mystiques de ce temps, sont des êtres de raison qui servent à attirer et à donner de l'estime aux âmes imprudentes, qu'on jette ensuite facilement dans des erreurs, ou qui s'y précipitent elles-mêmes... » 200.



« Êtres de raison » ou état expérimenté par les mystiques accomplis ?

Un tel état d’union est décrit dans la seconde Relation de 1654 lorsque Marie de l’Incarnation est âgée de cinquante-cinq ans :

« Il ne se peut dire la paix et la grande tranquillité que l’âme possède, se voyant entièrement libre de ses liens et rétablie en tout ce qu’elle avait perdu […] comme ayant eu diverses affaires depuis que je suis en Canada […] L’on prenait souvent mon procédé comme provenant de mon naturel […] l’on ne voyait pas que, mon esprit étant possédé de cet Esprit des maximes du Fils de Dieu, j’agissais par ce principe […] Dans les susdits emplois, mon esprit était toujours lié à cet Esprit qui me possédait… » 201.


L’état « apostolique » est décrit avec une grande sobriété dans la conclusion de la Vie, rédigée lorsque madame Guyon est âgée de soixante et un ans :

« L’état simple et invariable. Dans ces derniers temps je ne puis parler que peu ou point de mes dispositions, c’est que mon état est devenu simple et invariable. […]  Le fond de cet état est un anéantissement profond, ne trouvant rien en moi de nominable. Tout ce que je sais, c'est que Dieu est infiniment saint, juste, bon, heureux ; qu'Il renferme en soi tous les biens, et moi toutes les misères. Je ne vois rien au-dessous de moi, ni rien de plus indigne que moi. Je reconnais que Dieu m'a fait des grâces capables de sauver un monde, et que peut-être j'ai tout payé d'ingratitude. Je dis peut-être, car rien ne subsiste en moi, ni bien, ni mal. Le bien est en Dieu, je n'ai pour partage que le rien. Que puis-je dire d'un état toujours le même, sans vue ni variation ? Car la sécheresse, si j'en ai, est égale pour moi à l'état le plus satisfaisant. Tout est perdu dans l'immense, et je ne puis ni vouloir, ni penser. […] Décembre 1709. » 202.



Conclusion.


Rien n’aurait dû opposer la mystique et le chartreux au niveau de la vie intérieure ; de fait ils s’accordent sur le rôle de la grâce divine, la finalité dans l’amour, etc., « fondamentaux » communs à tous et à toutes époques. Mais l’un et l’autre se placent à des étapes différentes du parcours des « sentiers de l’amour divin 203 ». Ceci provoque des appréciations de l’oraison qui semblent contradictoires. S’y ajoutent, mais secondairement, des conditions du cheminement différentes pour des chartreux ou pour des laïcs.

L’approche de madame Guyon, de nature expérimentale, n’insiste guère sur une ascèse préparatoire, mais sur l’abandon de la volonté propre. L’ascèse devient une garde du cœur ou vigilance collaborant au travail de la grâce divine, aidée par une transmission cachée de la grâce.

L’affrontement entre madame Guyon et Dom Le Masson illustre l’opposition entre un « christianisme intérieur » et une pratique religieuse. La théorie – la carte du géographe - ne rend guère compte de l’expérience – le vécu de l’explorateur - selon la comparaison de Bergson rapportée par Jean Guitton dans la préface de ce dernier à la biographie de Dom Le Masson par Martin :

« …il y avait en elle [madame Guyon] cette note de réalité qui ne trompe pas, et qui distingue du premier coup et à coup sûr le récit d'un voyageur qui a parcouru le pays dont il parle et la reconstitution de ce même pays par un auteur qui n'y est pas allé. » 204.



Laissant de côté les démêlés nés de la rencontre historique entre le « Louis XIV des chartreux » et la « Dame Directrice », il faudra un jour montrer plus profondément que nous n’avons pu le faire ici, comment les meilleurs des auteurs chartreux, les trois Guigues et Hugues de Balma au Moyen Age, Guillerand et Porion récemment, s’accordent à la quiétude de madame Guyon et de son disciple Fénelon.

Sur le plan historique notons que les deux grands prélats adversaires de madame Guyon, Dom Le Masson et Bossuet, sont contemporains : ils naissent en 1627 et meurent respectivement en 1703 et 1704. Ils précèdent d’une génération celle qui naquit en 1648. Le défi à leur autorité, au nom d’une expérience intime, illustre la transformation en cours vers la modernité. « A partir de 1670, on constate un recul progressif des systèmes explicatifs à priori » 205, et « les plus hardis prétendent que la valeur d’une foi vient moins de son invérifiable orthodoxie que de l’authenticité de la conscience du croyant » 206.

Il est illusoire de vouloir unifier la diversité des vécus. Les uns, tel l’ascétique Dom Le Masson, privilégient l’exercice de la volonté propre en vue de mériter (un choix divin ?). Les autres, telle la mystique madame Guyon, privilégient l’abandon de leur volonté propre pour se conformer à la Providence divine.

Selon ce dernier point de vue, on craindra qu’une ascèse des pratiques ne mène à l’opposé de celle consistant en l’abandon de la volonté propre. De même, dans certaines analyses psychanalytiques accomplies, un meilleur fonctionnement de l’humain renforce la dureté de son noyau intime dominateur.

La vigilance (« la fine pointe de l’âme ») visera à se conformer au travail animé par la grâce (issue de « l’Immense »). On peut recourir à l’analogie d’un foyer dans une maison. L’ascèse correspond à la fermeture des portes et des fenêtres qui assure l’absence de courants d’air figurant les dispersions. Cette précaution permet au feu de bien prendre - mais on ne peut que rassembler les brindilles, c’est à la grâce divine de l’allumer. Sans l’in-action de la grâce, on est dans le froid et le noir. Quand le feu est établi, on peut ouvrir portes et fenêtres - retrouver une activité complète - ce qui ne peut que faire croître la flamme. Les formes de l’intériorité (prière vocale ou liturgique, oraison mentale, oraison passive, abandon, etc.) balisent le cheminement vers l’amour. Dans des cas très exceptionnels, quand la personne est toute entière emplie par la grâce, le terme de la vie mystique serait sa transmission à d’autres.

Bref résumé de « Quiétude… » :



La présentation rapide de la biographie de madame Guyon, mais détaillée en ce qui concerne ses rapports avec les chartreux et avec leur Général (I. Eléments historiques), nous donne l’occasion d’examiner très précisément les charges portées contre elle et de confirmer sa réhabilitation (II. Accusations). Que cette incursion érudite dans la chicane ne décourage pas le lecteur ! Le second volet de notre étude aborde le thème crucial de la transmission cœur à cœur de la grâce au sein du réseau spirituel dans lequel fut formée madame Guyon (III. Une filiation au sein d’un réseau), puis suit le lent parcours d’une vie mystique selon le plan exposé dans le traité des Torrents, en tentant un dialogue avec Dom Le Masson (éventuellement assisté par Hugues de Balma) : voie active de la méditation, voie passive de lumière, voie passive en foi, cette dernière conduisant, par le dépouillement, de l’amour à une vie nouvelle (IV. La vie mystique).

L’EXPERIENCE « QUIETISTE » DE MADAME GUYON.



Mélanges carmélitains, vol.2, 2004, 349-395.


Dans la présentation orale faite en mars 2003 chez les Grands Carmes de Nantes, nous avons évité toute discussion autour du « quiétisme » en général, car cette étiquette imprécise amalgame les figures, des plus discutées aux plus sûres, en Espagne, en Italie, en France, et ceci sur une durée de plus d’un siècle. Notre but était précis : faire apprécier la profondeur de l’expérience de madame Guyon (1648-1717) par la lecture de quelques-uns de ses textes, en évitant toute approche érudite factuelle.

Le contenu du texte issu d’une telle présentation reflète cette volonté de laisser la parole à Jeanne-Marie Guyon, fidèle disciple du « petit maître », Jésus-Christ. Après avoir évoqué sa biographie et le cadre dans lequel elle prit place, nous présentons son enseignement qui fut exceptionnellement bien préservé et qui s’appuie, outre l’expérience personnelle, sur la maîtrise de deux traditions chrétiennes : biblique et mystique. Ensuite un choix de textes suggère les beautés et la profondeur d’un témoignage qui traduit une vie intérieure accomplie.

Nous attirons l’attention du lecteur sensible désirant « connaître » davantage madame Guyon sur les deux annexes qui complètent ici cette présentation : une bibliographie veut faciliter la lecture de cette très grande mystique d’expression française tandis qu‘un tableau des influences commenté indique les relations - dont celle du Grand Carme Maur de l’Enfant-Jésus - qui la situent dans le droit fil de la spiritualité de son siècle.

I Le vécu et son cadre.

Aperçu biographique.

La vie de Madame Guyon témoigne d’une existence surmontant des résistances variées au prix de tourments qui laissèrent peu de place à la quiétude. La timidité et le respect des conventions de la jeune femme avant et au début de son mariage laissent place à une volonté de fer et à un esprit de liberté qui affronte la coalition des structures civiles et religieuses de l’époque avec une intelligence dont témoignèrent amis et ennemis. Elle passe des honneurs de la Cour à la honte des interrogatoires policiers. Finalement, après la tempête, demeure chez la vieille dame une vision paisible et ample qui associe respect de la tradition et liberté des opinions. Le résumé qui suit reprend souvent, sous forme de courtes citations entre guillemets, les expressions utilisées par Madame Guyon dans la Vie écrite par elle-même, dans le récit des prisons, dans les témoignages de disciples :

La petite fille est confiée à quatre ans aux bons soins de religieuses. Eveillée, elle sait comment éviter le simulacre de martyre joué par ces dernières, en leur objectant : « Il ne m'est pas permis de mourir sans la permission de mon père ! » Livrée à elle-même lorsqu’elle retourne dans sa famille, elle va « dans la rue avec d'autres enfants jouer à des jeux qui n'avaient rien de conforme à sa naissance. » Sa demi-sœur religieuse du côté de son père, « si habile qu’il n’y avait guère de prédicateurs qui composât mieux des sermons qu’elle » - et qui savait le latin - l’éveille à la vie de l’esprit. Mais la jalousie de l’autre demi-sœur religieuse et les réprimandes de confesseurs assombrissent cette adolescence.

Elle est mariée à seize ans : « mon mari avait vingt et deux ans de plus que moi, je voyais bien qu'il n'y avait pas d'apparence de changer … outrée de douleur, il n'y avait que six mois que j'étais mariée, je pris un couteau, étant seule, pour me couper la langue … J'eus quelque temps un faible que je ne pouvais vaincre qui était de pleurer … L’on me tourmentait quelquefois plusieurs jours de suite sans me donner aucune relâche … Je m'en plaignais quelquefois à la Mère Granger 207 qui me disait : « Comment les contenteriez-vous, puisque depuis plus de vingt ans je fais ce que je peux pour cela sans en pouvoir venir à bout » ? »

Après « douze ans et quatre mois de mariage » son mari meurt avec courage : « Il me donna des avis sur ce que je devais faire après sa mort pour ne pas dépendre des gens… ». 

A trente-deux ans elle se libère et part pour Genève : « Je donnai dès Paris … tout l'argent que j'avais … Je n'avais ni cassette fermant à clef, ni bourse. » A Gex « l’on me proposa l'engagement et la supériorité » des Nouvelles Catholiques. Mais « certaines abjurations et certains détours ne me plaisaient pas ». « Dépouillée de tout, sans assurance et sans aucuns papiers, sans peine et sans aucun souci de l'avenir », elle compose à Thonon les Torrents : « Cela coulait comme du fond et ne passait point par ma tête. Je n'étais pas encore accoutumée à cette manière d'écrire … je passais quelquefois les jours sans qu'il me fût possible de prononcer une parole... » Mais elle découvre « une autre manière de converser », en union avec le P. Lacombe : « j’apprenais son état tel que je le ressentais, puis incontinent je sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait … Peu à peu je fus réduite à ne lui parler qu'en silence. » Suivent des séjours fructueux en Piémont pendant près d’une année, puis à Grenoble.

A trente-huit ans elle revient à Paris, au moment où le quiétiste Molinos est condamné à Rome. Des jalousies entre religieux « firent entendre à Sa Majesté que le père Lacombe était ami de Molinos … [le roi] ordonna … [qu’il] ne sortirait point de son couvent … ils résolurent de cacher cet ordre au père…» qui est finalement arrêté. Quant à elle, « l’on me signifia que l'on ne voulait pas me donner ma fille, ni personne pour me servir; que je serais prisonnière, enfermée seule dans une chambre … au mois de juillet dans une chambre surchauffée. » On veut en fait marier sa fille au neveu de l’archevêque de Paris. Elle se défend vigoureusement lorsqu’on lui reproche de prendre Dieu à témoin : « Je lui dis que rien au monde n'était capable de m'empêcher de recourir à Dieu. »

Libérée, elle quitte le couvent-prison de la Visitation pour habiter « une petite maison éloignée du monde. » Elle est active auprès d’un cercle de disciples et à Saint-Cyr où « Madame de Maintenon me marquait alors beaucoup de bontés ; et pendant trois ou quatre années que cela a duré j'en ai reçu toute sorte de marques d'estime et de confiance. » Le duc de Chevreuse lui fait connaître Bossuet, auquel on communique la Vie écrite par elle-même que ce dernier « trouva si bonne qu'il lui écrivit qu'il y trouvait une onction qu'il ne trouvait point ailleurs, qu'il avait été trois jours en la lisant sans perdre la présence de Dieu. »

Cela ne dure pas. Elle a quarante-sept ans lorsque commence la seconde période d’épreuve. Elle se rend tout d’abord d’elle-même au couvent de Sainte-Marie de Meaux où elle conquiert l’estime de la mère Picard et des religieuses tandis qu’elle est fort menacée par Bossuet, soumis lui-même aux pressions de madame de Maintenon (les causes du changement d’attitude de l’épouse secrète du Grand Roi ne sont pas encore clairement établies : se mêlent l’attitude de Fénelon, la crainte du scandale, une jalousie spirituelle). Madame Guyon est finalement arrêtée et enfermée par lettre de cachet à Vincennes : « après neuf ou dix interrogatoires de six, sept et huit heures quelquefois, [M. de La Reynie] jeta les lettres et les papiers sur la table … Il fit un dixième interrogatoire où il me demanda permission de rire. » Elle est transférée dans un couvent-prison à Vaugirard constitué spécialement : « [la gardienne] venait m'insulter, me dire des injures, me mettre le poing contre le menton, afin que je me misse en colère.» Il est probable qu’on ait voulu se débarrasser d’elle à l’aide de vin empoisonné. On bascule de la contrainte à la terreur : « M. le Curé me dit, un jour, un mot qui me parut effroyable … qui était qu'on ne me mettait pas en justice parce qu'il n'y avait pas de quoi me faire mourir … défendant, s'il me prenait quelque mal subit comme apoplexie ou autre de cette nature, de me faire venir un prêtre. » Après un chantage exercé sur tous ses proches - sans succès - elle est embastillée.

L’archevêque de Paris présente une lettre forgée et attribuée au Père Lacombe : « [M. le Curé] s'approchant me dit tout bas : On vous perdra ». On la sépare de ses filles de compagnie qui seront maltraitées : « il y en a encore une dans la peine [tourment] depuis dix ans pour avoir dit l'histoire du vin empoisonné devant le juge. L’autre dont l'esprit était plus faible le perdit par l'excès et la longueur de tant de souffrances, sans que dans sa folie on pût jamais tirer un mot d'elle contre moi … elle vit présentement paisible et servant Dieu de tout son cœur. » On les remplace par « une demoiselle qui, étant de condition et sans biens, espérait faire fortune, comme on lui avait promis, si elle pouvait trouver quelque chose contre moi. » Les pressions continuent : « M. d'Argenson vint m'interroger. Il était si prévenu et avait tant de fureur que je n'avais jamais rien vu de pareil. » Elle subit « plus de vingt interrogatoires, chacun de plusieurs heures. » Un prisonnier tente le suicide ? « Il n'y a que l'amour de Dieu, l'abandon à sa volonté … sans quoi les duretés qu'on y éprouve sans consolation jettent dans le désespoir … Quelquefois, en descendant, on me montrait une porte, et l'on me disait que c'était là qu'on donnait la question. D'autres fois on me montrait un cachot, je disais que je le trouvais fort joli … ma vie me quittait. Je tâchai de gagner mon lit pour mourir dedans … J'aurais toujours caché mon mal, si l'extrême maigreur, jointe à l'impuissance de me soutenir sur mes jambes, ne l'eût découvert. On envoya quérir le médecin qui était un très honnête homme. L’apothicaire me donna un opiat … Je le montrai au médecin qui me dit à l'oreille de n'en point prendre, que c'était du poison. »

Elle est libérée à cinquante-quatre ans. Durant ses dernières années actives à Blois, elle forme des disciples français et étrangers : « elle vivait avec ces Anglais [écossais] comme une mère avec ses enfants. … ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s’en occupaient en sa présence et lui en demandait son avis, elle leur répondait : Oui mes enfants, comme vous voulez. … Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans, que laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d’elle. » Elle meurt en paix à soixante-neuf ans.

Les contraintes de l’époque, causes de ces épreuves.

Le contexte était défavorable par suite de la condamnation de Molinos et, post-mortem, de « pré-quiétistes » par les Inquisitions italienne et espagnole. Ce qui nous surprend n'est pas tant le désastre final, prévisible compte tenu de la disparité des forces en présence, que sa date tardive. En effet, plus de dix années séparent la condamnation romaine de 1687 de Molinos, de l'isolement complet de Madame Guyon dans une des huit tours de la Bastille : elle est ainsi réduite au silence pour une durée comparable.

A notre avis il ne s’agit pas tant d’une querelle d’idées que du trouble créé par une femme dans l’ordre social masculin : simple laïque, elle refuse l’entrée en religion mais dirige des religieux ; bourgeoise, elle détourne les grandes familles du « couvent de la Cour » (Saint-Simon). Bossuet, au début, semble sous le charme de la grâce mais, soucieux de sa carrière, il se fait l’exécuteur de l’épouse du roi. Fénelon voudra concilier les extrêmes et tentera d’expliquer l’expérience mystique ; acculé, il restera fidèle à l’expérience intérieure révélée par Madame Guyon et choisira le parti de son initiatrice. D’autres adopteront un profil bas.

Pour comprendre ces crises et leur conclusion, il faut tenir compte des conditions concrètes de l’existence et de la mentalité de l’époque : l’adhésion au catholicisme, religion unique après la révocation de l’ édit de Nantes, et l’obéissance à un roi absolu, oint de Dieu, sont des évidences pour tous les Français de cette époque. L’individu est mis en échec par un système d’inquisition dans sa version « douce » : celle du confesseur, obligatoire pour tout catholique depuis le concile de Trente, et qui a le droit de connaître le fond des consciences. Pour Madame Guyon, son état mystique la rend incapable de mentir ou de biaiser par omission, comme furent obligés de le faire, un demi-siècle plus tôt, les libertins 208. De plus, chaque événement et chaque personne sont envoyés de Dieu, d’où, sur le point particulier le plus intime, l’obligation torturante d’obéir au confesseur qui lui est dévolu.

Le statut féminin de l’époque impose à Mme Guyon d’exercer une « influence » hors cadre, ce qui est ressenti comme une résistance plus ou moins secrète, donc suspecte, et comme une concurrence vis-à-vis de la médiation assurée par les clercs appuyés sur la discrétion sacramentaire. Même les moins combatifs sont agacés par la « Dame directrice 209 ». Mais sa fermeté n'est en rien stoïque : son origine est toute intérieure, trouvant sa source dans la vie mystique, à laquelle se soumet, consciemment et entièrement, une nature par ailleurs volontaire.

Il s'agit de se laisser entièrement conduire par la grâce divine : c'est le sens profond de la « méthode » quiétiste, au-delà de la nature particulière d'une oraison dite passive : dans chaque action, dans chaque état de la vie de tous les jours, il « suffit » de s’ouvrir à l'action de la grâce pour en être imprégné 210. Toute la « querelle » est vécue par Madame Guyon de cette façon. De même elle donnait sa Vie à lire, non par égotisme, mais pour que ses amis voient comment, à chaque instant, autant qu'on le peut, on lâche prise sur soi-même pour laisser Dieu agir.

Le « Quiétisme » historique.

La vie de madame Guyon est assombrie par la condamnation du quiétisme dont cette section présente sommairement sa dernière phase historique 211. Plus généralement, le climat d’intolérance est grand depuis la fracture entre protestants et catholiques, soutenu par le pouvoir civil et par une opinion qui veut éviter tout risque de retour aux terribles luttes d’origine religieuse si proches (décennies 1560 en France et 1630 en Allemagne). Il s'agit ici d’un phénomène de recherche de cohésion sociale plutôt que de véritables divergences dogmatiques (mais il est facile d’établir des listes de propositions hétérodoxes).

Le « quiétisme » est le nom que prend au dix-septième siècle la résistance de nombreux mystiques dans le monde catholique. Il est symétrique de « piétisme » dans le monde protestant 212. Des liens s’établiront d’ailleurs par la suite entre ces deux tendances vers un « christianisme intérieur » sans structure humaine bien définie, par exemple au travers de disciples de Madame Guyon hollandais et suisses.

Nous renvoyons aux études de J. Le Brun et E. Pacho 213. La première trace de « quiétisme » italien est ainsi décrite :

Au début de 1671, l'inquisiteur de Casale Monferato communique au Saint-Office la dénonciation concernant un médecin français, Antoine Girardi (ou Grignon) ; il enseigne ... « une nouvelle manière de faire oraison, qu'il appelle oraison de silence et de quiétude » ... selon la manière que prône la religieuse ursuline Marie Bon du diocèse de Vienne en Dauphiné ... le foyer ne disparut pas ... il s'étendit ... sur la Riviera à l'ouest de Gênes (1675) 214.

Lorsque le quiétisme devient une cause controversée, après le succès retentissant de la Guia espiritual de Molinos dont huit éditions italiennes voient le jour de 1675 à 1685, un équilibre parait encore possible, évitant un « crépuscule » des mystiques en terre catholique. Innocent XI cherche d’ailleurs un accord entre « méditatifs » et « contemplatifs ». Mais la situation favorable à Molinos se détériore assez brusquement, tout comme avait été rapide son ascension : il est emprisonné le 18 juillet 1685 tandis que sa Guia sera condamnée par l’Inquisition espagnole le 24 novembre de la même année 215.

Ce quiétisme méditerranéen était connu de Madame Guyon. Elle passe par Marseille et rencontre Malaval. Elle décrit dans la Vie comment la défunte Mère Bon lui apparaît en songe avant son départ pour Gex. Plus tard elle séjourne près d’un an en Piémont, à Turin et dans le diocèse de Verceil, où, en compagnie du P. Lacombe, ce dernier maniant mieux l’italien que le français, elle se lie avec l’évêque Ripa : ils entreprennent un apostolat commun 216.

C’est dans un cadre international troublé qu’en 1686 Madame Guyon arrive à Paris. En 1687, Molinos emprisonné depuis deux ans, est officiellement condamné à Rome par la bulle Coelestis Pastor, comme « quiétiste ». En même temps est condamné post-mortem Jean de Bernières (1602-1659), dont on n’ignorait pas à l’époque l’influence déterminante sur le cercle de Montmartre animé par le confesseur Jacques Bertot (1620-1681), cercle repris par Madame Guyon à son retour de voyages.

Le « Quiétisme » mystique.

Tout ce combat pour quelles « idées » ? Que recouvre pour les critiques français l’étiquette de quiétiste ?

« Une des références de l'antiquiétisme en France est le texte de la bulle Coelestis Pastor, imprimé en latin et en français dès l'automne 1687 ... la thèse essentielle des quiétistes serait, d'après la bulle, une définition de la « voie intérieure », « voie unique », par l'annihilation des puissances ... ni connaissance, ni souvenir de Dieu, ni de soi, ni rien de propre, ni images ... la négation ne porte pas sur l'objet (récompense, châtiment, mort, éternité, salut, etc.) mais sur la démarche du sujet, démarche d'ordre psychologique, devant l'objet de la foi : il ne doit pas « penser » à ces objets, ne doit pas en avoir souci ou espérance ... [ce qui exprimerait] un retour du sujet sur soi-même, une volonté propre, un amour propre 217. »

Les protagonistes de la querelle ont comme perspectives la question de la cessation des actes, et celle de l'absence possible de toute pensée pendant l’oraison. C’est alors que l’inaction prend son sens moderne de perte de temps, alors qu'il s'agit d'action intérieure mystique, in-action 218. Les uns, s’attachent à une représentation intellectuelle, les autres, dans la tradition transmise par Benoît de Canfeld, font intervenir la volonté, la fine pointe de l’âme chère à François de Sales, ou « cœur », siège de la volonté :

« Mme Guyon met l'oraison du coeur au-dessus de « l'oraison de seule pensée » (p.5 [du Moyen Court]), car la pensée est discontinue, l'esprit ne pouvant penser à une chose qu'en cessant de penser à une autre, tandis que l'oraison du cœur n'est point interrompue [...] tandis que Bossuet s'oppose, comme Nicole, à une foi nue et à un amour qui ne reposerait sur une connaissance, tout en refusant à la fois un retour sur soi et un retour sur une simple présence de Dieu. Les « actes intérieurs » sont produits par l'attention, et, selon Bossuet, disposent à l'attention [...] conception de l'abandon comme acte 219. »

Ainsi l’opposition naît de la diversité des expériences intérieures. Certains analystes modernes s’attachent à distinguer entre les couches successives de conscience atteintes par des « plongées » plus ou moins profondes – avec le risque de se limiter à l’humain décrit au niveau conscient ou approché au niveau de l’« inconscient » des rêves, etc. Pour notre part, nous y voyons des expériences liées à un lent « progrès » intérieur, rendu possible lorsque s’exerce une influence qui se situe au-delà de l’humain, la grâce divine.

Au niveau sémantique, quiétisme renvoie à « l’oraison de quiétude » qui se distingue de « l’oraison discursive » : Quiroga, un disciple mystique de Jean de la Croix, éclaire ces points :

« La contemplation est parfaite, elle s'exerce non seulement au-dessus de la raison, mais aussi sans appui sur elle, lorsque l'entendement connaît par la lumière divine les choses que n'atteint aucune raison humaine […] Beaucoup de contemplatifs pratiquent le premier point, c'est-à-dire abandonner tous les actes de la raison, se dépouiller de toutes les similitudes de la connaissance naturelle, et entrer sans tout cela en l'obscurité de la foi comme Moïse dans la nuée qui recouvrait le sommet de la montagne ; mais se reposer là comme lui en totale quiétude d'esprit, bien rares sont ceux qui s'y adonnent : au contraire, en cette obscurité, l'intention de leur esprit est appliquée à la connaissance, leur entendement cherchant à toujours reconnaître son propre acte, quand même serait-ce en cette obscurité de foi. Et cette démangeaison et ce mouvement qui consiste à vouloir reconnaître toujours son propre acte en y inclinant l'intention de l'esprit, s'opposent à ce que nous avons vu par ailleurs de la doctrine de saint Denys : non seulement l'entendement doit abandonner toutes les choses créées et leurs similitudes, mais il doit aussi s'abandonner lui-même en se mettant en quiétude quant à toute son opération active, aussi élevée soit-elle, afin d'être mû par Dieu sans attache ni résistance de sa part 220. »

Il faut aller au-delà de la distinction entre des types d’oraison. Il s'agit d'inclure toute la vie, aussi bien extérieure qu’intérieure. Un grand calme déborde peu à peu des temps d’oraison, signe de l'imprégnation par la grâce, qui est une émanation de l’amour divin, « sous forme d’énergie » dirions-nous aujourd'hui, par in-action, attitude d’ouverture à la source intérieure. Alors l’attention au chemin, aux étapes, aux ruptures, laisse place à l’état de grand large, le vaisseau ayant atteint l’océan sans rivage. Ainsi madame Guyon décrit « l’état apostolique » :

« Cet état néanmoins n’est point une sortie de la créature au dehors pour parler, agir et produire les effets de la vie apostolique. L’âme n’y a point de part : elle est morte et très anéantie à toute opération. Mais Dieu, qui est en elle essentiellement en Unité très parfaite où toute la Trinité en distinction personnelle Se trouve réunie, sort Lui-même au-dehors par Ses opérations : sans cesser d’être tout au-dedans et sans quitter l’unité du Centre, Il se répand sur les puissances, faisant par elles et avec elles 221 …»

II L’oeuvre.

Une excellente préservation d’écrits méconnus.

L’intérêt des écrits de Jeanne Guyon vient non seulement de leur valeur intrinsèque mais aussi de leur excellente préservation assurée par l’édition entreprise de son vivant par le pasteur Poiret et par la sauvegarde des nombreux manuscrits rassemblés à l’époque de la querelle du quiétisme, en particulier par les évêques juges des rencontres d’Issy. En fait on possède l’essentiel de ce qu’elle a écrit, ce qui est tout à fait exceptionnel 222.

L’abondance et la spontanéité de l’auteur, qui livre des informations ordinairement tenues cachées parce qu’elle ne prévoyait pas leur publication, ainsi que l’absence d’une mise en forme par souci de ne pas interférer avec la spontanéité de l’inspiration, ont nui à leur appréciation. On y ajoutera d’autres causes : vu du monde catholique, le rôle « détestable » des éditeurs, les ministres protestants Poiret et Dutoit, la présence parmi les proches de la fin de sa vie à Blois de nombreux Ecossais, Hollandais, Suisses - qu’elle n’incite d’ailleurs pas à se convertir au catholicisme mais au « petit maître » intérieur, Jésus-Christ ; vu du monde protestant, l’équivoque d’une femme qui s’est occupée au début de sa vie publique de Nouvelles Catholiques converties après la révocation de l’édit de Nantes, et qui n’a jamais rejeté les messes et les sacrements ; s’y ajoutent le scandale et l’ « indiscrétion » d’écrits qui ne sont pas restés confidentiels, abordant librement des sujets tels que la transmission silencieuse, le rôle apostolique du mystique, la formation mystique des « enfants intérieurs », l’absence de fausse humilité. C’est une cause profonde probable, sinon de la condamnation, du moins de la discrétion de défenseurs qui éprouvent une gêne 223. S’ajoutent bien entendu une mise en cause de la fonction cléricale 224, l’insatisfaction de Madame de Maintenon, la servilité et la brutalité de Bossuet, la condamnation plus politique que théologique des Explications sur les maximes des saints 225.

Trois volets : expérience, enseignement, tradition.

Un très large spectre est couvert et offre trois approches de la vie mystique, ce qui constitue un cas unique à notre connaissance.

1. En premier lieu, les témoignages de sa vie et de son expérience intérieure. Ils sont remarquables par une grande acuité psychologique propre au siècle de Racine et par un fort désir de comprendre ce qui lui arrive, dont elle ne trouve pas autour d’elle une explication satisfaisante. On note, surtout dans des écrits de jeunesse, une forte volonté appliquée à ne rien laisser échapper de ce qui lui arrive, défaut dont elle se corrigera ensuite et que l’on ne retrouve plus dans les textes édités. Elle demeure, dit-on, « bavarde » : en fait cette abondance est l’effet d’une irruption toute moderne de la dimension subjective psychologique 226. Elle influera des auteurs qui sont sensibles à la dimension intérieure, tels que Rousseau, Constant, Amiel.

2. En second lieu, un enseignement est mis en forme dont témoigne le Moyen court qui a atteint un large public à l’époque, avant sa condamnation, grâce à la simplification qui caractérise ce texte direct 227. Cette simplification vient de l’affranchissement vis-à-vis de tout moyen préalable qui apparaît comme une condition humaine mise à l’exercice de la grâce divine et traduit souvent notre volonté d’appropriation. Acquis théologiques et dogmatiques, méthodes de prières et exercices, sélections sociales ou culturelles sont écartés ; seul demeure le recours à l’expérience intérieure faisant appel à la médiation du « petit maître » Jésus-Christ 228. Cette simplification permet une ouverture à tous, car la liberté sauvage des torrents est préférable aux canaux faits de mains d’hommes. Ceci pouvait faire peur aux hommes de métier, les religieux dont la médiation est mise en question. A leur décharge, les événements vécus dans les convulsions de la Réforme et Contre-réforme étaient encore proches et peu encourageants. Cette remise en cause par l’intérieur de l’ordre traditionnel sera d’ailleurs appliquée au siècle des lumières sous une forme subversive qui conduira à des révolutions politiques et sociales nécessaires mais douloureuses.

Madame Guyon apparaît chez ceux qui l’ont étudiée soit comme une mystique arrivant trop tard à l’époque d’une normalisation centralisatrice despotique (Brémond, Cognet), soit comme veuve libre et décidée constituant un modèle féministe avant l’heure (Mallet-Joris, Bruneau, etc.), soit comme religieuse laïque sans Eglise d’accueil (Gondal), soit comme précurseur de l’union entre catholiques et protestants (thème qui demeure encore inexploité), avec une indifférence notoire vers la fin de sa vie pour l’appartenance extérieure à telle ou telle Eglise (elle n’approuve ni Fénelon dans sa tentative de conversion de Poiret, ni la conversion catholique de Ramsay) sans pour cela relâcher la vie sacramentelle référée à « notre petit maître ». Que choisir parmi toutes ces interprétations ?

On cherchera le moteur qui lui a permis de tenir le cap pendant sa longue existence : la grâce. Il est au-delà de l’humain mais induit des manifestations physiques, incluant les phénomènes de transmission, de souffrance par compassion, des aspects psychologiques (incluant les rêves). C’est une union intime qui, bien loin d’être un état stabilisé est caractérisé par sa dynamique active orientée vers les autres, une nouvelle vie féconde, une résurrection au service d’une motion divine. On voit ici le risque de méprise si le « prophétique » prend la place de « l’inspiration » selon la distinction donnée plus tard par Dutoit, un disciple de la fin du XVIIIe siècle, conscient d’une telle faiblesse possible chez lui. Ce risque s’est traduit historiquement dans des débordements (revivals, évangélisme) à la mesure de la sclérose des structures en place. Contrairement au véritable intérieur, l’activisme prend alors le pas sur la passiveté, la sensation l’emporte sur l’union, les effets sont privilégiés au détriment de la source. Tout ceci justifie l’insistance sur la pierre de touche que constitue une très profonde tranquillité, quiétude qui accompagne une efficience invisible, au risque d’être accusée de paresse « quiétiste ».

3. Enfin un recours à la Tradition par le commentaire ou Explications de l’Ecriture et du Nouveau Testament confrontés avec l’expérience intérieure. Ce commentaire constitue la moitié de l’œuvre soit près de huit mille pages. Ce recours à l’Ecriture interprétée spirituellement fut complété dix ans plus tard par les Justifications, anthologie de textes mystiques de plus de mille pages assemblée autour de thèmes constitués par des mots-clefs. Nous laisserons de côté ces deux sources dans l’anthologie qui suit.

Au delà de la variété demeure la qualité : si l’absence de tout retour sur soi conduit à de nombreuses répétitions (elle évitait volontairement tout repentir littéraire ce dont témoignent ses autographes), la spontanéité assure une conformité à l’expérience vécue qui n’est pas repensée ou coulée dans un moule traditionnel ; la finesse d’analyse comme le lyrisme s’appuyant sur des analogies offertes par la nature annonce les meilleurs auteurs de l’âge romantique. Surtout, toutes les étapes de la vie intérieure sont couvertes, dont l’état constant et apostolique qui suit les degrés de désappropriations et permet la transmission, moyen de formation de disciples. Cet état est certes décrit antérieurement par des mystiques comme l’achèvement d’union au divin 229 mais sans dire l’aide qu’elle permet d’apporter par la communication en silence et par le partage d’états intérieurs.

Un enseignement qui couvre trois longues périodes de la vie mystique.

On peut distinguer chez Madame Guyon et ses prédécesseurs Bernières, Bertot, comme chez d’autres mystiques, sans en faire un système, trois périodes s’étendant chacune sur des années :

(1) découverte de l’intériorité, accompagnée d’une simplification et d’une pacification progressive. Cette découverte peut s’accompagner d’événements intimes variés selon les tempéraments et l’environnement, brefs instants ou états pouvant durer des jours. Leur caractère extra-ordinaire a toujours attiré une attention exagérée au détriment de la dynamique vitale qu’ils alimentent, de la part de scrutateurs qui ont vite fait de repérer divers alliages impurs de la nature à la grâce dans ces phénomènes. Très utiles pour confirmer le commençant dans sa voie, ils relativisent les jouissances, très réelles et bonnes, dont notre nature est capable. Ils substituent l’expérience réelle directe aux croyances.

(2) Longues années de désappropriations, qui correspondent au stade de purification décrit par tous les auteurs. Le terme de « purification » est ambigu dans la mesure où il risque de laisser croire qu’elle conduirait à son terme à un « nous-mêmes » délivré de ses défauts. Le « nous-mêmes » ne pourra subsister. Sera-t-il transformé ou fondu dans une « vastitude », appelant la comparaison classique de la goutte d’eau dans l’océan ? Mais cette fusion ne voit disparaître ni les capacités, ni les infirmités, ni la structure individuelle, même si cette dernière s’efface à la mort ; elle permet leur mise au service de ce qui vient prendre la place centrale au cœur de la structure, comme l’exprime l’apôtre Paul dans le verset repris très souvent par madame Guyon : Et je vis, non plus moi-même ; mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi… (Ga, 2, 20). Les épreuves sans lesquelles l’amour propre ne serait jamais réduit en cendre pour laisser place à une renaissance dans le pur amour, correspondent à cette longue période.

(3) Naissance à une vie nouvelle où s’exerce très exceptionnellement une transmission. Le terme de vie « apostolique » souvent utilisé par Madame Guyon se réfère directement à la description imagée des Apôtres lorsqu’ils sont compris par tous leurs « auditeurs » après leur Pentecôte : ce n’est plus leur discours qui compte - il ne pouvait être entendu physiquement en diverses langues - mais ce qui passe de cœur à cœur à travers les mots - une forme intense de l’expérience très courante où l’on est sensible à la véracité de l’orateur - et qui peut aussi bien être transmis en silence.

III Un choix de textes.


Il est prématuré de structurer ces textes selon un schéma préétabli : madame Guyon s’en était bien gardée lorsqu’elle rassembla des textes mystiques dans ses Justifications en 67 « clés » constituant en quelque sorte un glossaire spirituel. Nous suivons l’ordre chronologique et de leur situation au sein des oeuvres, dans les Torrents, la Vie par elle-même, plus largement dans les Discours … qui concernent la vie intérieure rassemblant de nombreux opuscules qui circulaient à la fin de sa vie dans le cercle des disciples, enfin dans la correspondance longtemps demeurée inédite, regroupée thématiquement : directions spirituelles, combats, mystique. Mais en fait sont entremêlés, comme dans une tresse, événements de la vie concrète, vie intérieure à l’écoute de la grâce, enseignement mystique, perçus et mis au service du « petit maître », le médiateur mystique Jésus-Christ.

(1) Les Torrents décrivent le parcours mystique à l’image de la Dranse, petite rivière issue des Alpes, au parcours parfois irrégulier, qui termine sa course près de Thonon, dans le lac Léman. Facilement accessible, ce texte le plus connu, composé relativement tôt, vers la fin 1682, est précis malgré un style souvent lyrique 230. Il faut apprécier son contenu comme traduisant une expérience récente - Madame Guyon est âgée de trente-cinq ans environ lorsqu’elle rédige rapidement le texte - et non comme une théorie spirituelle.

La lente purification ou « mort » mystique mène à la vie divine sans limitation visible :

« Chapitre 7.

« 5. Ce degré de mort est extrêmement long et dure quelquefois les vingt et trente années à moins que Dieu n'ait des desseins particuliers sur les âmes. …231 30. Ici Dieu va chercher jusques dans le plus profond de l'âme son impureté 232. Il la presse et la fait sortir. Prenez une éponge qui est pleine de saletés, lavez-la tant qu'il vous plaira : vous nettoierez le dehors mais vous ne la rendrez pas nette dans le fond, à moins que vous ne pressiez l'éponge pour en exprimer toute l'ordure et alors vous la pourriez facilement nettoyer. C'est ainsi que Dieu fait : il serre cette âme d'une manière pénible et douloureuse, puis il en fait sortir ce qu'il y a de plus caché.

« Chapitre 9.

« 5. Il faut remarquer que comme elle n'a été dépouillée que très peu à peu et par degré, elle n'est enrichie et revivifiée que peu à peu. Plus elle se perd en Dieu, plus sa capacité devient grande : comme plus ce torrent se perd dans la mer, plus il est élargi et devient immense …

« 6. Cette vie divine devient toute naturelle à l'âme. Comme l'âme ne se sent plus, ne se voit plus, ne se connaît plus, elle ne voit rien de Dieu, n'en comprend rien, n'en distingue rien. Il n'y a plus d'amour, de lumières ni de connaissances. Dieu ne lui paraît plus comme autrefois quelque chose de distinct d'elle, mais elle ne sait plus rien sinon que Dieu est et qu'elle n'est plus, ne subsiste et ne vit plus qu'en lui.

(2) La Vie par elle-même est rédigée tout au long de son déroulement, en plusieurs reprises, parfois en prison, entre 1683 et 1709. C’est ce qui explique certaines répétitions, une modification progressive du style, mais surtout l’extraordinaire qualité intuitive et vivante du récit. Facilement accessible, nous en citons ici un seul passage extrait de la conclusion rédigée par la vieille dame qui a traversé toute les épreuves :

3.21. L’état simple et invariable 233.

« Dans ces derniers temps je ne puis parler que peu ou point de mes dispositions, c’est que mon état est devenu simple et invariable. …  Le fond de cet état est un anéantissement profond, ne trouvant rien en moi de nominable. Tout ce que je sais, c'est que Dieu est infiniment saint, juste, bon, heureux ; qu'il renferme en soi tous les biens, et moi toutes les misères. Je ne vois rien au-dessous de moi, ni rien de plus indigne que moi. Je reconnais que Dieu m'a fait des grâces capables de sauver un monde, et que peut-être j'ai tout payé d'ingratitude. Je dis peut-être, car rien ne subsiste en moi, ni bien, ni mal. Le bien est en Dieu, je n'ai pour partage que le rien. Que puis-je dire d'un état toujours le même, sans vue ni variation ? Car la sécheresse, si j'en ai, est égale pour moi à l'état le plus satisfaisant. Tout est perdu dans l'immense, et je ne puis ni vouloir, ni penser. … Décembre 1709. »

(3) Mais Madame Guyon ne va pas s’arrêter sur cette perte dans l’immense : elle va former des disciples français et étrangers, catholiques et protestants en proposant des opuscules rassemblant les points communs expérimentaux et en répondant aux uns et aux autres dans sa correspondance.

Les opuscules - parfois issus eux-mêmes de lettres – furent rassemblés sous le titre de Discours chrétiens et spirituels … qui concernent la vie intérieure, publiés en 1716.

L’ouverture est un appel à gravir le mont qui rassemble à son sommet tous les mystiques 234 :

« 1.01 De deux sortes d’Écrivains des choses mystiques ou intérieures 235.

« …comme une personne qui est sur une montagne élevée, voit les divers chemins qui y conduisent, le commencement, le progrès, et la fin où tous les chemins doivent aboutir pour arriver à cette montagne, on voit avec plaisir que ces chemins si éloignés se rapprochant peu à peu et enfin se joignant en un seul et unique point, comme des lignes fort éloignées se rejoignent dans un point central, se rapprochent insensiblement. On voit aussi alors, avec douleur, une infinité d’âmes arrêtées, les unes pour ne vouloir point quitter l’entrée de leur chemin, d’autres pour ne vouloir pas franchir certaines barrières qui traversent de temps en temps leur chemin ; [ on voit] que la plupart retournent sur leurs pas faute de courage, et enfin que d’autres, plus courageuses, franchissant tous les obstacles, arrivent au terme tant désiré. On voit avec quelle bonté Dieu leur tend la main… »

L’amour est le « moyen » utilisé pour connaître Dieu, dans la tradition de la mystique « affective » mais non sensible, particulièrement développé chez des franciscains, des chartreux et des carmes. La belle image d’une balance lie notre abaissement et l’élévation vers Dieu :

« 1.49 Divers effets de l’amour.

« … Plus il y a de charité dans une âme, plus il y a d’humilité - de cette humilité profonde qui, causée par la réelle expérience de ce que nous sommes, fait que, quand nous le voudrions, nous ne pourrions nous attribuer aucun bien. Car l’esprit d’amour est aussi un esprit de vérité. En sorte que l’amour fait ces deux fonctions, qui n’en sont qu’une, qui est de nous mettre en vérité sitôt que nous sommes en charité, car l’amour est vérité. Plus l’amour devient fort, pur, étendu, plus il nous fait approfondir notre bassesse. C’est comme une balance : plus vous la chargez, plus elle s’abaisse et plus elle s’abaisse d’un côté, plus elle s’élève de l’autre. Plus le poids de l’amour est grand, plus elle s’abaisse au-dessous de tout et plus l’autre côté de la balance s’élève vers cet amour-vérité qui fait connaître ce que Dieu est et ce qu’Il mérite. Tout s’élève pour rendre gloire à Dieu et pour L’aimer au-dessus de tout, à mesure que nous sommes plus rabaissés.

Cet amour est pur, net et droit, sans retour sur soi et sans motif intéressé ; sa forme passive est proprement « mystique », cachée par sa lumière même, parce qu’elle reçoit tout de Dieu, dépasse tout entendement et ne peut être décrite ; c’est Dieu lui-même qui agit :

« 1.53 Du repos en Dieu.

« … Pour aimer Dieu comme Il le mérite … il faut L’aimer d’un Amour pur, net, droit, qui ne regarde que Lui-même : il faut que cet amour surpasse toutes choses et soi-même, sans qu’il lui soit permis d’avoir d’autre regard ni retour sur aucun objet que sur Dieu même en Lui-même, pour Lui-même. Toute autre vue ou motif est indigne de Dieu et n’est pas le pur amour, qui est seul proportionné, sans proportion, à ce que Dieu est. Il aime Dieu dans la totalité de ce qu’Il est : il aime, comme dit saint Denis, le beau pour le beau 236. … C’est ainsi qu’on aime Dieu dans le ciel, sans retour ni raison d’aimer. L’amour est la seule raison d’aimer, l’amour est la récompense de l’amour. Et comme la foi ne discerne rien en Dieu et croit ce qu’Il est dans Sa totalité, l’amour ne discerne rien, mais il aime Dieu dans Sa totalité.

« … Ensuite elle devient passive, recevant les pures lumières de l’Esprit de Dieu sans y rien ajouter, faisant cesser les lumières du propre esprit. Puis la lumière de Dieu qui devient plus abondante, fait cesser nos propres limites, les mettant en obscurité, comme la lumière du soleil fait disparaître celle des étoiles. Et c’est alors que la foi pure et nue, que la lumière de vérité s’empare de l’esprit, le fait défaillir et mourir à toute lumière et action propre pour recevoir passivement la vérité telle qu’elle est en elle-même et non en image. La volonté est ensuite privée de toute action propre, d’amour, d’affections, de toute action quelle qu’elle soit, pour recevoir purement l’action de Dieu, soit qu’Il la purifie ou qu’Il la vivifie. Et c’est l’amour qui fait toutes ces choses, pour être lui-même l’action de la volonté. »

Tous ne sont pas appelés à la vie mystique et de nombreux grands saints suivent la « voie des lumières » ; l’image de la cire à cacheter - Madame Guyon possédait divers cachets dont un comportant deux cœurs accolés et irradiants et un autre comportant un soleil lointain associé à un héliotrope - est suggestive de la différence d’apparence pour la même « forme divine » :

« 1.60 Différence de la sainteté propriétaire et de la sainteté en Dieu.

« Vous me demandez la différence de ceux qui sont saints en eux-mêmes et de ceux en qui Dieu seul est saint. Quoique j’aie expliqué diverses fois cette différence, je vous en dirai quelques mots. Les premiers sentent et connaissent leur sainteté, elle leur sert d’appui et d’assurance. Leurs œuvres leur paraissent des œuvres de justice, dont ils attendent des récompenses et des couronnes.

« … Ceux en qui Dieu est saint, ne sont pas des pierres ou médailles de relief, mais des pierres gravées profondément, comme celle des cachets. C’est Dieu qui S’imprime profondément en eux, qui est leur véritable sainteté. Il ne paraît au dehors de ceux-là qu’une concavité. On n’en peut discerner la beauté qu’en les imprimant sur la cire, c’est-à-dire qu’on ne les connaît qu’à leur souplesse et à la perte de toute leur propriété et de tous les apanages de la volonté propre… »

La voie mystique n’est pas une voie de facilité, même si elle ne requiert pas un effort volontaire et une pratique constante des œuvres ; elle inclut parfois la nuit achevant l’abandon par la perte de soi-même :

«  1.62 De la Foi pure et passive, et de ses effets.

« … Aussi est-ce la conduite de Dieu que nous pouvons voir pas à pas. Dieu ôte à l’âme tout appui extérieur pour la perdre dans l’intérieur. Ensuite il lui ôte la pratique des bonnes choses extérieures pour la perdre davantage. Puis il lui ôte l’usage des vertus pour l’arracher à elle-même. Il lui fait enfin éprouver les plus extrêmes faiblesses et misères qui sont des coups de grâce, et par là Il la perd en Lui. Au commencement de l’expérience des misères, l’âme se perd dans l’abandon, dans la confiance et le sacrifice. Mais comme ce sacrifice, cet abandon etc. sont encore comme des fils subtils, Dieu lui ôte tout abandon aperçu, tout espoir de salut connu, en sorte qu’elle est contrainte comme malgré elle de se perdre. Mais où se perdre ? Encore si c’était en Dieu aperçu, elle serait trop heureuse. C’est dans l’abîme où elle ne voit rien ni ne connaît rien. Et après enfin elle tombe en Dieu, non pour jouir de Dieu pour elle, mais elle pour Dieu et Dieu pour Lui-même. »

Mais auparavant un long chemin aura été parcouru, dont la mémoire est d’ailleurs utile pour ne pas abandonner lorsque l’espoir de survie se perd ; la comparaison de la tempête et du naufrage est menée sans concession jusqu’à son terme :

« 2.15 Différence de la foi obscure à la Foi nue.

« Vous demandez la différence de la foi obscure à la foi nue. On commence par la foi savoureuse, qui est comme voguer sur mer avec le vent en poupe, guidé par un excellent pilote. Vous faites beaucoup de chemin avec joie et en plein jour. Vous vous confiez au pilote, mais tout va si bien que vous n’avez nulle occasion d’exercer votre confiance.

« La nuit vient : vous craignez de vous égarer mais vous vous confiez à votre pilote, qui vous dit de ne rien craindre. Ensuite les vents deviennent contraires, les ondes s’élèvent, la mer grossit, votre crainte augmente ; cependant vous êtes soutenus et par l’excellence du pilote et par la bonté du vaisseau. La tempête augmente, la nuit devient plus noire. Il faut jeter les marchandises dans la mer. On espère le jour et que la bonté du vaisseau résistera aux coups de mer ; mais le jour ne vient point, la tempête redouble. On espère un sort favorable, lorsque le vaisseau tout à coup se brise contre les rochers.

« Quelle transe, quel effroi ! On se sert du débris du naufrage pour arriver au port. On commence tout de bon à s’abandonner sur une faible planche, on n’attend plus que la mort, tout manque, l’espérance est bien faible de se sauver sur une planche. Il vient un coup de vent qui nous sépare de la planche. On fait de nécessité vertu, on s’abandonne, on tâche de nager, les forces manquent, on est englouti dans les flots. On s’abandonne à une mort qu’on ne peut éviter, on enfonce dans la mer sans ressource, sans espoir de revivre jamais.

« Mais qu’on est surpris de trouver dans cette mer une vie infiniment plus heureuse qu’elle n’était dans le vaisseau … »

Si les hommes diffèrent, Dieu est un et Il est toujours le premier à nous aimer, comme l’attestent les mystiques dont le chemin a été ainsi ouvert, parfois par un contact fort : François d’Assise, Angèle de Foligno, Catherine de Gênes 237.

« 2.25 Variété et uniformité des opérations de Dieu dans les âmes.

« La conduite de Dieu sur l’âme est une conduite toujours uniforme. Et ce que nous appelons foi est proprement une certaine connaissance obscure, secrète et indistincte de Dieu, qui nous porte à Le laisser opérer en nous parce qu’Il a droit de le faire.

« … Son opération est toujours la même. Dès le commencement elle consiste en un regard d’amour sur l’homme et ce regard le consume et détruit ses impuretés. Dieu est d’abord occupé à combattre notre activité et tous les obstacles qui empêchent Son entière pénétration dans notre âme. … Car il faut concevoir que toutes les opérations de Dieu en Lui-même et hors de Lui-même ne sont qu’un regard et un amour éclairant et unissant. Ce regard brûle et détruit, comme je l’ai dit, les obstacles. »

Mais tout ne se passe pas d’un coup, même si le départ peut se rattacher à un événement marquant. L’image de la fonte progressive des glaces, de la fluidité de l’eau propre à toute impression ultérieure est souvent reprise par madame Guyon, soit pour suggérer une réponse sous la forme d’une analogie au problème posé par l’absence et par le « péché » qu’elle représente, soit pour figurer la liberté par conformité au Seigneur qui prend les choses en main et « recrée » sa créature :

« 3.11 Vie d’une âme renouvelée en Dieu et sa conduite.

« … Il ne faut pas croire que Dieu endurcisse le cœur de l’homme autrement que le soleil endurcit la glace : c’est par son absence. Plus les pays sont éloignés du soleil, plus tout y est glacé. L’homme s’éloignant de son Dieu et ne s’en rapprochant plus, devient une glace pétrifiée qui ne peut plus se dissoudre à moins qu’il ne retourne à son Dieu. Alors il Le retrouve au même lieu où il L’avait laissé, toujours prêt à lui faire sentir les influences de Sa grâce ; et plus il approche de ce soleil, plus il se fond peu à peu, en sorte que si après tant de misères il s’approchait assez près de Dieu, il se fondrait et se liquéfierait entièrement. Ce qui empêche sa liquéfaction parfaite, c’est la propriété, qui congèle toujours plusieurs endroits de notre âme, laquelle dès que sa glace est entièrement fondue et rendue toute fluide, s’écoule nécessairement dans son être original, où tous les obstacles sont ôtés. C’est le feu de l’Amour pur qui le fait en cette vie, et ce sera le feu du Purgatoire qui le fera en l’autre.

« Alors il ne reste plus à cette eau aucune impression, aucune qualité propre, aucun vestige. Alors l’âme dans son rien ne peut rien, n’est propre à rien. Il n’y a que l’Être Créateur qui la rende propre à tout ce qu’il lui plaît, et qui agisse sans résistance sur ce rien, qui lui a remis le caractère propre de l’homme, qui est la liberté. Alors l’homme dans son rien, ayant remis à son Dieu et à son Père cette liberté qu’il lui avait donnée, Dieu le crée de nouveau : Emitte Spiritum tuum, et creabuntur ; et renovabis faciem terræ 238.

« Mais cette recréation n’est plus au pouvoir de l’homme, ni à son usage, mais au pouvoir de Dieu et à sa volonté … »

En particulier Madame Guyon utilise l’image souple de l’eau pour tenter de faire comprendre à Bossuet la simplicité d’une vie intérieure sans phénomènes extraordinaires, comme ce dernier les appréciait chez certaines religieuses imaginatives :

« A Bossuet. Vers le 10 février 1694.

« … Plus les choses sont simples, plus elles sont pures et plus elles ont d’étendue. Rien de plus simple que l’eau, rien de plus pur ; mais cette eau a une étendue admirable à cause de sa fluidité ; elle a aussi une qualité, que, n’ayant nulle qualité propre, elle prend toutes sortes d’impressions : elle n’a nul goût et elle prend tous les goûts, elle n’a nulle couleur et elle prend toutes les couleurs. L’esprit, en cet état, et la volonté sont si purs et simples que Dieu leur donne telle couleur et tel goût qu’il Lui plaît, comme à cette eau, qui est tantôt rouge, tantôt bleue, enfin imprimée de telle couleur et de tel goût que l’on veut lui donner. Il est certain que, quoique l’on donne à cette eau les diverses couleurs que l’on veut, à cause de sa simplicité et pureté, il n’est pourtant pas vrai de dire que l’eau en elle-même ait du goût et de la couleur, puisqu’elle est de sa nature sans goût et sans couleur, et c’est ce défaut de goût et de couleur qui la rend susceptible de tout goût et de toute couleur. C’est ce que j’éprouve dans mon âme : elle n’a rien qu’elle puisse distinguer ni connaître en elle ou comme à elle, et c’est ce qui fait sa pureté ; mais elle a tout ce qu’on lui donne et comme l’on lui donne, sans en rien retenir pour elle. Si vous demandiez à cette eau quelle est sa qualité, elle vous répondrait que c’est de n’en avoir aucune. »

(4) Nous allons maintenant citer des lettres. Ce fut le moyen second utilisé par Madame Guyon pour animer ses disciples : l’illustre Fénelon, le fidèle duc de Chevreuse, plus tard l’éditeur Poiret, le baron de Metternich, les écossais Duplin et Lord Deskford, ainsi que des figures plus cachées telle la paysanne qui conclut cet aperçu.

Le premier moyen utilisé, qui explique la ferme fidélité de Fénelon et d’autres sur plus de vingt années, malgré la parenthèse du secret durant cinq ans à la Bastille, est celui de la transmission de la grâce par communication intime de cœur à cœur dont nous trouvons l’affirmation dans de nombreuses lettres 239 :

« À Fénelon. 21 juin (?) 1689 240.

« … Il a permis que je m’en allasse avec vous, pour vous apprendre qu’il y a un autre langage, lequel Lui seul peut apprendre et opérer, [où] Il n’emplit le cœur de l’onction pure de la grâce que pour vider l’esprit, et Il ne donne que pour ôter : c’est une expérience qui demeure, lorsque la conviction de l’esprit est ôtée. Je vous demande donc audience de cette sorte, de vouloir bien cesser toute autre action et même autre prière que celle du silence. Lorsque l’on a une fois appris ce langage (plus propre aux enfants qu’aux hommes, qui l’ignorent d’ordinaire), on apprend à être uni en tout lieu sans espèces et sans impureté, non seulement avec Dieu dans le profond et toujours éloquent silence du Verbe dans l’âme, mais même avec ceux qui sont consommés en Lui : c’est la communication des saints véritable et réelle. C’est la prière de Jésus-Christ : qu’ils soient un comme nous sommes un [Jn, 17, 22].

Ces communications parurent extravagantes à la fin du XVIIe siècle cartésien. Elles sont attestées, mais de façon voilée, par de nombreux spirituels chrétiens. On peut concevoir qu’il n’y ait point de coupure entre ce monde visible et sa totalité ; madame Guyon a recours aux hiérarchies de Denys, auteur traditionnellement invoqué par les mystiques, et aussi, cartésienne et moderne, au mystère de l’aimant, pour suggérer la plausibilité de telles circulations d’amour divin – il s’agit simplement de reconnaître l’efficace de la prière :

« Au duc de Chevreuse. Octobre 1693.

« La main du Seigneur n’est point raccourcie.

« Il me semble qu’il n’y aura pas de peine à concevoir les communications intérieures des purs esprits si nous concevons ce que c’est que la céleste hiérarchie où Dieu pénètre tous les anges et ces esprits bienheureux se pénètrent les uns les autres. C’est la même lumière divine qui les pénètre et qui, faisant une réflexion des uns sur les autres, se communique de cette sorte. Si nos esprits étaient purs et simples, ils seraient illuminés. Et cette illumination est telle, à cause de la pureté et simplicité du sujet, que les cœurs bien disposés qui en approchent, ressentent cette pénétration. Combien de saints qui s’entendaient sans se parler ! Ce n’est point une conversation de paroles successives, mais une communication d’onction, de lumière et d’amour. Le fer frotté d’aimant attire comme l’aimant même. Une âme désappropriée, dénuée et simple et pleine de Dieu attire les autres âmes à Lui, comme les hommes déréglés communiquent un certain esprit de dérèglement. C’est que sa simplicité et pureté est telle que Dieu attire par elle les autres cœurs. »

Mais les disciples ont besoin, au début de leur découverte intérieure, de conseils et non de théorie : comment prier, comment se détacher - sans pour cela quitter le monde -, comment lâcher intellectuellement prise… Cela était difficile pour le baron de Metternich, ancêtre non négligeable de l’homme d’état du XIXe siècle, protestant subtil et questionneur :

« Au baron de Metternich. Vers 1715.

« Demeurez simplement exposé à Ses yeux divins comme on s’expose aux rayons du soleil et au feu pour se réchauffer et, quoiqu’il ne vous paraisse aucune action de votre part que la simple exposition de vous-même devant Dieu, la chaleur divine de Son amour ne laissera pas de vous pénétrer imperceptiblement, comme le feu pénètre insensiblement les corps qui sont à une certaine distance, et leur donne une chaleur qui s’insinue partout, ce qui n’est pas si sensible. Nous sommes souples sous Sa main. Je me trouve fort unie à vous en Notre Seigneur.

« Au même. / Ce que vous devez faire le plus présentement est de vous détacher universellement de toutes choses et de vous-même, sans quoi la solitude vous serait peu utile … Une des raisons qui fait que je désire qu’on ne quitte point son état, quoique je désire qu’on soit parfaitement détaché, c’est que Dieu voulant à présent et dans les siècles à venir introduire Son Esprit intérieur dans tous les lieux, parmi toutes les nations, dans tous états et conditions, je ne crois pas qu’on doive facilement quitter son état à moins d’une vocation particulière, …

« Au même. / …Vous dites que vous voulez être abandonné à Dieu, et [cependant] vous voulez qu’à chaque pas Il vous rende raison des lieux où Il vous mène, et pourquoi Il vous y mène. Vous ne feriez pas ce tort à un guide que vous croiriez honnête homme : vous vous laisseriez conduire… »

Madame Guyon doit parfois mettre un terme à certaines pratiques, que l’on retrouve à toute époque, et aujourd’hui dans certaines techniques orientales, faisant appel à un effort de concentration juste à l’opposé de l’abandon à la providence divine :

« À Milord Duplin. Vers 1714.

« … Ce que vous me dites de la violence que vous vous faites pour rendre votre esprit abstrait n’est nullement ce que Dieu demande de vous, et ce n’est point la voie dont il s’agit. Nous tâchons que tout se concentre dans le cœur, sans nul effort de tête, car Dieu souvent cache ce qu’Il opère dans l’intime de l’âme sous des distractions vagues et involontaires, afin de le dérober à la connaissance du démon et de l’amour propre.

« À Lord Deskford. 15 avril 1715.

« … Ce que j’ai prétendu, monsieur, a été de vous inspirer une oraison libre dont l’amour soit le principe, et qui parte plus du cœur que de la tête : quelques douces affections mêlées de silence. Car comme votre esprit est accoutumé à agir, à philosopher et à raisonner, j’ai voulu faire tomber l’activité de l’esprit par une foi simple de Dieu présent, que vous devez aimer, et auquel vous devez vous unir par un amour pur et simple, conforme à la simplicité de votre foi. Cela ne se fait pas par une tension de l’esprit qui nuit à la santé, mais par un amour seul, excitant la volonté par une tendance de cette volonté vers son divin Objet. »

Le plus souvent elle répond aux difficultés rencontrées sur « la voie », soulignant son déroulement naturel, à condition d’accepter la destruction du vieil homme ; on a toujours ici une mystique sobre, bien loin des excès, visions et révélations :

« Lettre [D.2.1]. Abrégé des voies de Dieu 241.

« Monsieur, / Soyez donc persuadé qu’il n’y a rien de violent dans la conduite de Dieu que ce que nous y ajoutons, que Sa conduite est douce et suave : s’il y a quelque violence, c’est ou parce que notre volonté n’est pas encore parfaitement gagnée, ou parce que notre amour propre la cause … Lors donc que toutes ces choses sont, la volonté meurt à soi véritablement, non d’un trépas douloureux et sensible, mais d’un passage doux et tout naturel, qui fait que cette volonté cessant d’être arrêtée en elle-même par ce qu’il y a même de plus délicat, passe infailliblement et nécessairement en Dieu. C’est ce que l’on appelle mort. Elle [la volonté] est morte quant à son propre, mais elle ne fut jamais plus vivante : elle vit en Dieu, non de la première vie, ou d’une vie qui lui soit propre, mais d’une vie que Dieu lui communique, qui n’est autre que Sa propre vie et Sa volonté. … Et c’est alors qu’elle participe aux qualités de Dieu, qui est de se communiquer aux autres, ou plutôt, c’est comme une rivière qui, s’étant perdue dans un grand fleuve, suit sa course et n’en suit point d’autre …

« Ceci, loin d’être une chose forgée par l’imagination, est toute l’économie de la Divinité hors d’Elle-même. C’est la fin et de la création, et de toutes religions, qui n’ont été établies de Dieu que pour conduire l’homme en Dieu même, comme les lits de chaque fleuve sont pour les perdre dans la mer. C’est tout le travail de Dieu sur Ses créatures, c’est toute la gloire qu’Il en peut et doit tirer. Tout ce qui n’est point cela, sont des moyens ou éloignés, ou plus proches, mais ce n’est point ni notre fin ni notre essentielle béatitude.

« Lettre [D.3.74].

« On m’a lu votre lettre, monsieur. … Il faut devenir enfant après avoir été homme. Il faut plus, car il faut renaître de nouveau afin de devenir une nouvelle créature en Jésus-Christ. Mais avant ce temps, il faut que tout ce qui est du vieil homme soit détruit, savoir la propriété, l’amour de la propre excellence, enfin tout amour propre, ce qui s’entend de tout ce qui nous concerne et qui a rapport à nous, quel qu’il soit. Le petit enfant se laisse porter où l’on veut : si son père le couche sur un fumier, il n’y pense pas, il n’en sait pas même faire le discernement, il y dort comme dans son [314] berceau, abandonné qu’il est aux soins de son père. Abandonnez-vous donc en la main de Dieu avec un grand courage … »

Une mise en garde vis-à-vis du « sentiment » et surtout des voies extraordinaires préconisées par le prophétisme de certains jeunes émigrés protestants, - considérés comme des martyrs après la terrible répression qui suivit la guerre des Cévennes, et qui firent le tour d’Angleterre et d’Ecosse, inspirés par les annonces publiques des prophètes de l’Ancien Testament -, confirme le caractère sobre de Madame Guyon :

« Lettre [D.2.111].

« Il y a deux sortes de goûts, celui du fond et celui du sentiment. Il est de la dernière conséquence pour vous et pour les autres que vous ne vous conduisiez pas par le dernier. … N'allez donc jamais par ce que vous sentez ou ne sentez pas. Mais allez par un je ne sais quoi qui, bien que sec, détermine d'abord et ne laisse nulle hésitation. Il détermine sans goût et sans lumière de la raison parce qu'il détermine par la vérité de Dieu. Comme vous n'êtes pas par état dans la pure lumière de Dieu, et qu'il s'en faut bien, vous ferez souvent des fautes là-dessus. Mais à force d'en faire, vous vous accoutumerez à la nue opération de Dieu, non seulement pour être dépouillé, mais pour être agi. Hors de là, tout est méprise.

« Lettre [D.4.124].

« … Le règne de Dieu ne viendra point par aucun bruit extérieur, mais l’Esprit Saint, étant répandu par tous nos cœurs, préparera par l’onction de sa grâce le règne de Jésus-Christ. La plupart des recueillements des personnes agitées comme cela [les jeunes cévenols] ne sont qu’un bandement et une occupation forte de la tête et du cerveau pour contraindre leur entendement à la cessation, et ces personnes-là ont un recueillement plutôt d’assoupissement. Ce que nous appelons vrai recueillement n'occupe point la tête, mais c'est une tendance du cœur, ou plutôt de la volonté vers Dieu, qui fait que la volonté étant toute occupée de son Dieu, à L'aimer, à Le goûter, ne fait plus aucune attention à ce qui se passe dans l'esprit et en est comme entièrement séparée.

« Vous pouvez tirer de là, mon cher frère, que toutes ces voies extraordinaires, quand même elles seraient vraies, ne pourraient nous unir au Souverain Bien, puisqu'il est bien éloigné de consister en ces choses. L'état de ces prophètes ne peut donner ce qu'on appelle un véritable silence intérieur. Ce que j'appelle silence intérieur est quelque chose de si tranquille, de si paisible, de si un, qu'il ne peut compatir avec aucune agitation corporelle, puisqu'une personne même qui possède ce silence intérieur dans les plus violentes douleurs ne donne aucune marque d'agitation, et peut se plaindre comme un enfant, mais ne s'agitera jamais. Saint Jean dit en l'Apocalypse qu'il se fit un grand silence au ciel [Ap 3, 1]. Lorsque ce silence est fait dans l'âme, il se communique jusqu'au dehors. Il y a deux sortes de silence extérieur : 1° l'un, que nous faisons nous-mêmes par pratique en nous imposant une suppression de toutes paroles. Ce silence, quoique bon, n'est pas pareil à : 2° l'autre silence qui vient [du silence intérieur] et qui est opéré par le silence intérieur. Dans le premier, c'est nous qui nous taisons ; dans le second, c'est l'amour qui fait taire, et l'âme sent bien que, lorsqu'elle veut parler, elle s'arrache à un je ne sais quoi qui l'attire au-dedans d'elle-même… »

(5) Nous terminons cette évocation de la voie mystique servie par Madame Guyon par deux lettres qui ne sont pas d’elle. La première, « en amont », lui est adressée par Monsieur Bertot, le prêtre qui la dirigea lorsqu‘elle était encore mariée ; la suivante, « en aval », provient d’une « simple paysanne » qui résume l’enseignement de tous, en rapportant tout à l’amour :

« De Bertot. Avant avril 1681 242. De l’état d’anéantissement parfait en nudité entière, où l’âme est et vit en Dieu, au-dessus de tout le sensible et perceptible.

« Le dernier état d’anéantissement de la vie intérieure est pour l’ordinaire précédé d’une paix et d’un repos de l’âme dans son fond, qui peu à peu se perd et s’anéantit, allant toujours en diminuant, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de sensible et de perceptible de Dieu en elle. Au contraire elle reste et demeure dans une grande nudité et pauvreté intérieure, n’ayant que la seule foi toute nue, ne sentant plus rien de sensible et de perceptible de Dieu, c’est-à-dire des témoignages sensibles de Sa présence et de Ses divines opérations, et ne jouissant plus de la paix sensible dont elle jouissait auparavant dans son fond ; mais elle porte une disposition qui est très simple, et jouit d’une très grande tranquillité et sérénité d’esprit, qui est si grande que l’esprit est devenu comme un ciel serein.

« … Dans cet état ces âmes vivent toujours à l’abandon et étant abandonnées d’état et de volonté à la conduite de Dieu sur elles, pour faire d’elles et en elles tout ce qu’Il voudra pour le temps et pour l’éternité … Enfin dans cet état ces âmes jouissent d’une grande liberté d’esprit, non seulement pour lire et pour écrire, mais aussi pour parler dans l’ordre de la volonté de Dieu. Et ces âmes parlent souvent sans réflexion et comme par un premier mouvement et impulsion qui les y porte et entraîne.

« Ces âmes ne laissent pas en cet état si simple et nu de s’acquitter fidèlement des devoirs de leur état, car Dieu qui est le principe de leurs mouvements et actions, ne permet pas qu’elles manquent à rien de leurs obligations.

« Lettre d’une paysanne à Madame Guyon 243.

« … L’amour tient lieu de tout, il ne m’apprend autre chose que la vérité, qui est au- dessus de moi et hors de moi. Oui, Amour, tout ce que l’on me peut dire regarde l’âme, et vous m’avez chassée hors d’elle. Vous y tenez lieu de tout, et je ne puis m’arrêter en aucun autre objet qu’en vous seul. O divin Amour ! Vous êtes tellement seul que je ne sais pas si j’ai une âme. Mon unique et pur Amour a délaissé et oublié l’âme : il n’y a temps et lieu que pour lui. Je me soucie autant de toi, ô âme, comme d’une paille … Oh ! qu’on ne me parle plus de l’âme ni de tout ce qui la concerne ! Je ne sais plus autre chose que mon Amour ; et il me semble que tout y est tellement Lui, qu’il y a une impossibilité morale de pouvoir plus regarder ni penser à son âme, mais bien à ce seul et unique Amour, et à cet objet de pureté.

« Mais de dire ce qui occupe, et comme l’on est occupé, c’est ce qui ne se dira jamais. Je n’ai rien de distinct ni de particulier : c’est un objet où tout est un, sans aucune distinction ni discernement. Il n’y a rien en Dieu de particulier, tout y est un, mais silence à toute expression ! Silence à toute intelligence ! Silence pour toute parole ! Je commence de rendre compte de la vérité dont je suis certaine, qui est Dieu, et de Son divin amour, qui est tout mien et qui est tout moi, en disant que je ne puis rien dire. Et je finis en disant que je n’en dirai rien. »


Dominique TRONC.

Annexes.

1. Bibliographie.

Cette bibliographie est limitée aux ouvrages et études de première main concernant directement Madame Guyon.

1. Œuvres de madame Guyon.

1.1. Editions du XVIIe siècle.

Au XVIIe siècle paraissent les éditions originales du Moyen court, de la Règle des associés et du Cantique. Madame Guyon sera interrogée sur le Moyen court et sur le Cantique tandis que Bossuet exploitera la Vie manuscrite.

1.2. Edition Poiret (début du XVIIIe siècle).

La grande édition en 39 volumes (dont 20 vol. pour les seules Explications) du pasteur Pierre Poiret et de ses proches à Rijnsburg près d’Amsterdam sauve l’ensemble de l’œuvre au début du XVIIIe siècle. On ajoutera à ces œuvres de Madame Guyon les quatre volumes du Directeur mystique qu’elle a assemblé à la fin de sa vie comme un « tombeau » élevé à la mémoire de son maître Monsieur Bertot.

1.3. Réédition Dutoit (fin du XVIIIe siècle).

L’édition par Poiret et son cercle d’amis devient introuvable. Elle est rééditée fidèlement à la fin du XVIIIe siècle par le pasteur suisse Dutoit en 40 volumes (aux 39 volumes de l’édition antérieure s’ajoute en effet un dernier volume de lettres comportant « la correspondance secrète » avec Fénelon).

1.4. Rééditions récentes.

[1978] Les Opuscules spirituels…, J. M. Guyon, avec une Introduction par J. Orcibal, G. Olms, 1978, suivie du fac-similé de l’édition de Poiret en 2 vol., « Les Opuscules spirituels de Madame J. M. B. de la Mothe Guyon, Nouvelle édition corrigée et augmentée », A Cologne Chez Jean de la Pierre, 1720, contenant le Moien Court, les Torrens, etc.

[1982] Madame Guyon et Fénelon, la correspondance secrète, édition préparée par B. Sahler, Paris, Dervy-livres, 1982, 335 p.

[1983] La Vie de Madame Guyon écrite par elle-même, édition préparée par B. Sahler, Dervy-livres, 1983, 637 p.

[1990] Madame Guyon : la passion de croire, choix de textes par M.-L. Gondal, 1990. 

[1992] Récits de Captivité, édité par M.-L. Gondal, Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1992, 182 p. 

[1992] Torrents et Commentaire au Cantique, édités par C. Morali, Grenoble, J. Millon, Coll. « Atopia », 1992.

[1995] Le Moyen court et autres récits, une simplicité subversive, textes édités par M.-L. Gondal, (ce volume contient : Introduction, I. Le Moyen Court et sa défense (Moyen Court, Courte apologie et extraits des Justifications), II. Le travail de l’Intérieur (Règle des Associés, Petit abrégé), III. Le Chant de l’âme, (un choix de poésies). Grenoble, J. Millon, Coll. « Atopia », 1995, 298 p.

[1998] Le Purgatoire, édité par M.-L. Gondal, Grenoble, J. Millon, Coll. « Atopia », 1998, 109 p. 

[2000] De la Vie intérieure, Quatre-vingt Discours Chrétiens et Spirituels…, édités par D. Tronc, Phénix, Coll. « La Procure », 2000, 482 p.

[2001] Le Moyen court, Mercure de France, 91 p. (rééd. du texte établi par M.-L. Gondal).

[2001] La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, édité par D. Tronc, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2001, 1163 p.

[2003] Correspondance, I Directions spirituelles, édité par D. Tronc, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2003, 928 p. [ II Combats, III Thèmes mystiques].

2. Etudes concernant directement madame Guyon.

[1958] COGNET (Louis), Crépuscule des Mystiques, Paris, Desclée, 1958, [ancien mais non dépassé ; la plus grande partie est consacrée aux premières « années parisiennes » vécues par madame Guyon].

[1967] COGNET (Louis), article « Guyon » dans le Dictionnaire de Spiritualité, tome 6, 1967, colonnes 1306-1336.

[1974-1978, 1997] ORCIBAL (Jean), « Le Cardinal Le Camus témoin au procès de Madame Guyon » (1974) p. 799-818 ; « Madame Guyon devant ses juges » (1975) p. 819-834 ; « Introduction à Jeanne Marie Bouvier de la Mothe-Guyon : les Opuscules spirituels » (1978) p. 899-910, dans Etudes d’Histoire et de Littérature Religieuse, Paris, Klincksieck, 1997.

[1989] GONDAL (Marie-Louise), Madame Guyon (1648-1717), un nouveau visage, Paris, Beauchesne, 1989 [ouvrage d’ensemble sur Madame Guyon, fondé sur L’Acte mystique, thèse soutenue en 1985].

[1997] Madame Guyon, Rencontres autour de la Vie et l’œuvre de Madame Guyon, Grenoble, Millon, 1997. [Précieuses contributions de spécialistes pour la première fois rassemblés autour de Madame Guyon].

[2003] TRONC (Dominique), « Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon », dans XVIIe siècle, n°1-2003. [Madame Guyon n’est pas une « aventurière mystique » mais appartient à l’école normande et parisienne d’origine franciscaine].

2. Tableau des influences exercées sur Madame Guyon.

Ce tableau rassemble les influences qui assurèrent la formation spirituelle de madame Guyon. Il complète et corrige un tableau présenté en préface à notre édition de sa Vie par elle-même. Loin d’être une « aventurière », Madame Guyon s’inscrit au cœur de la spiritualité du siècle, bénéficiant de l’apport de certains de ses plus grands spirituels : Bernières, Marie de l’Incarnation, Maur de l’Enfant-Jésus, Laurent de la Résurrection. Domine le noyau de l’école mystique normande, puis parisienne, autour de la chaîne de transmission Jean-Chrysostome de Saint-Lô – Jean de Bernières – Jacques Bertot. Les mystiques importants pour Bertot et pour Madame Guyon sont juxtaposés horizontalement selon leurs affinités, et verticalement selon leurs dépendances. Tous ne sont pas cités, tels Renty, ami de Bernières, Jean Eudes, connu de Bertot, etc. Les dates données dans la colonne de gauche par « générations » de 25 ans correspondent très approximativement aux pics d’activité des membres situés sur une même rangée.

Une analyse fine de ce tableau distingue cinq groupes distribués selon les colonnes : (1) les carmes déchaussés auxquels se rattache Laurent de la Résurrection, apprécié de madame Guyon et connu de Fénelon. (2) les carmes de la réforme de Touraine menée spirituellement par Jean de Saint-Samson, dont est disciple Maur de l’Enfant-Jésus, un des correspondant et directeur de la jeune madame Guyon ; elle le rencontra probablement. Jean de Saint-Samson lui-même est cité très abondamment dans les Justifications.  (3) L’abbaye de Montmartre bénéficiaire de la réforme soutenue par le capucin Benoît de Canfield : Bertot y sera confesseur auprès de F.-R. de Lorraine qui éditera un de ses ouvrages. (4) Le groupe de l’Ermitage animé par Bernières au sein de l’école normande et parisienne est mené par Chrysostome de Saint-Lô du tiers ordre régulier franciscain. Il se subdivise en trois branches : (4a) six figures féminines présentées en deux colonnes, regroupant, outre Marie des Vallées et Marie de l’Incarnation du Canada (Madame Guyon demandera conseil à son fils dom Martin), quatre supérieures conventuelles dont Mechtilde de Bar, la « Mère du Saint-Sacrement » (« sainte » selon Madame Guyon, elle fut un temps suspecte de quiétisme), (4b) la « lignée » incluant Chrysostome, Bernières, Bertot et madame Guyon, enfin (4c) une branche parallèle passant par Archange Enguerrand, le « pauvre villageois, vigneron de Monmorency », auteur notable. (5) Le groupe savoyard qui rend justice à la mère Bon et se rattache au Père Lacombe. Par ce groupe passa probablement l’influence de quiétistes d’Italie (ainsi que lors d’un séjour en Piémont chez l’évêque Ripa qui connut le cardinal Petrucci).



Tableau des influences exercées sur madame Guyon.

1 =Ursule de la Conception, 2 =Mère du Saint-Sacrement, 3 =Mère de Saint Benoît, 4 = « Le vigneron de Montmorency ».






Dates d’activité

Carmes déchaussés d’Espagne

Carmes de la réforme de Touraine

Capucins

Tiers Ordre Régulier Franciscain et groupe de l’Ermitage

Quiétistes

Paris, Rennes, Bordeaux

Paris (Montmartre)

Caen & Paris

Savoie & Italie



1600



1562

Benoît de Canfield

1610



1563 Antoine le Clerc

1628





1625


1571 Jean de Saint-Samson

1636


Michelle Mangon

(1)

1660

1590

Marie des Vallées

1656

1594

Chrysostome de Saint-Lô

1646





1650



Marie de Beauvilliers 1657

1599 Marie de l’Incarnation (du Canada)

1672

1596 Jourdaine de Bernières 1670

1602

Jean de Bernières 1659

1608 Jean Aumont (4)

1689




1675

1614

Laurent de la Résur. 1691

1617/8

Maur de l’Enfant-Jésus 1690

Françoise-Renée de Lorraine

1682

1614

Mectilde de Bar (2)

1698

1600 Geneviève Granger (3) 1674

1620

Jacques Bertot

1681

1631 Archange Enguerrand 1699

1636

Mère Bon 1680



1700






1648

Jeanne-Marie Guyon

1717


1641

P. Lacombe 1715





UN MYSTIQUE RÉFORMATEUR DES CARMES JEAN DE SAINT-SAMSON (1571-1636)



Carmel, Le quatrième centenaire des Carmélites Déchaussées de France, Juin 2004, n°112, 71-83.

[Saint-Samson.doc, contribution pour « Carmel » ; autour de 20 000 signes souhaités ; pour l’instant : 26 000 signes, notes incluses ; D. Tronc, mars 04].



Un mystique réformateur des carmes : Jean de Saint-Samson.

Au sein des réformes.


Le Carmel a connu de nombreuses réformes tout au long de son histoire 244. En France, à la sortie des guerres de religion, la plupart des couvents ont besoin d'être réformés. Deux réformes prennent place simultanément, l’une détachée de l’ancien courant carme tandis que l’autre tente de prendre place en son sein.

La première, féminine, mise en place sous l’impulsion de Madame Acarie (Marie de l’Incarnation), est issue de la réforme espagnole par l’intermédiaire d’Anne de Saint-Barthélémy, la sœur converse qui accompagnait Thérèse dans ses voyages, et par celui d’Anne de Jésus, la dédicataire du Cantique spirituel de Jean de la Croix. Le bref séjour des mères espagnoles sera fructueux, en particulier grâce à Madeleine de Saint-Joseph (1578-1637), maîtresse profondément intérieure des novices, qui assurèrent par la suite de nombreuses fondations.

La seconde, masculine, presque simultanée, naît en Bretagne, où Philippe Thibault réforme le couvent de Rennes, rattaché à la province de Touraine. Le renouveau s’étend mais ne se sépare pas de l’ancien carmel malgré des tensions à Angers, Ploermel, etc. ; cette seconde réforme est indépendante, même si une influence des déchaux est prouvée au moins en ce qui concerne les pratiques 245.

Philippe Thibault fait venir la future « âme de la réforme de Touraine », Jean de Saint-Samson (1571-1636). Ce dernier forme les novices qui continueront son œuvre toute intérieure dans certains couvents carmes. Il apparaît ainsi comme le symétrique masculin de Madeleine de Saint-Joseph.

Puis on oublie ce maître spirituel pour plusieurs raisons : dès les années 1640 naît une méfiance qui provoquera le crépuscule des mystiques 246 à la fin du dix-septième siècle ; son disciple Maur de l’Enfant-Jésus, qui dirigea un temps la jeune madame Guyon, serait-il quiétiste ? Un affadissement de l’élan intérieur accompagne la fusion de la réforme dans le corps des « grands carmes » ; enfin ces derniers disparaissent de France à la fin du dix-huitième siècle.

Par chance, de très nombreux manuscrits ont survécu. La renaissance de l’intérêt pour la mystique d’expression française depuis Bremond 247 s’est accompagnée plus récemment de la redécouverte, puis d’un début de l’édition de l’important corpus de « dictées » de l’aveugle Jean à ses disciples 248, dont seule une partie profondément modifiée figurait dans les éditions anciennes.

Ce que Jean a dicté n’est pas d’une lecture très facile mais « le plus profond des mystiques français 249 » mérite l’effort requis. Le but de cette courte présentation est d’inciter à sa découverte. Elle est possible aujourd’hui car des éditions sont disponibles. Et notre pratique de formes modernes d’écriture, s’écartant du français tel qu’il fut codifié à l’époque classique par l’équipe de Port-Royal, facilite l’abord direct des textes 250.

La vie d’un frère convers aveugle.


Jean du Moulin, fils d’un contrôleur des tailles, fut baptisé le 30 décembre 1571. Une intervention malheureuse causa sa cécité, suite à la maladie de la variole contractée à l’âge de trois ans. Aussi « on lui fit apprendre la musique et le jeu des instruments en perfection, spécialement celui de l'orgue, qu'il touchait fort adroitement dès l'âge de douze ans. Il fit quelques années cet office en l'église de saint Dominique de Sens et était toujours appelé aux concerts de musique qui se faisaient aux solemnités extraordinaires 251. » 

Quittant Sens pour Paris, en 1593 ou 1594, il alla demeu­rer chez son frère marié Jean Baptiste pendant quatre ou cinq ans, près de Saint Eustache. Mais après la mort de ses proches vint la misère : « Le serviteur de Dieu demeurait cependant dans une église toujours à genoux, et en oraison devant le très Saint sacrement de l'autel, et souffrait beaucoup de faim, de soif et autres incommodités 252 ». On dispose d’une abondance de faits très vivants illustrant la dureté de la vie de l’infirme, que nous ne pouvons rapporter ici 253.

L’église de Saint Eustache était attachée au grand couvent des Carmes de la place Maubert : un certain jour, en la fête de Sainte Agnès de l’année 1604, Jean demanda la permission au jeune frère Mathieu Pinault « de tou­cher l’orgue » à la grand’messe. Cette rencontre fut le début d’une amitié profonde et durable.

« Depuis je le conviais de venir à l’orgue avec moi toutes les fois que je jouais de l’orgue. En devisant avec moi il me demandait si j’avais des livres spirituels, et lui ayant dit qu’entre autres j’avais les oeuvres de Nervèze, il me persuada de les quitter et m’en rendit d’autres comme Arias, Grenade 254, et me pria de lui donner quelque temps pour lui lire des livres qu’il m’apportait comme les divines institutions de Thaulere, la Théologie mystique de Harphius, Rubroche, la Perle évangélique, le Jardin spirituel des contemplatifs de Mr. Deschamps 255. »



La lecture journalière était devenue très vite une rencontre de prière et de méditation et un cercle spirituel se constitua au couvent de la place Maubert. Jean « exhorta lors pareillement le père Philippe Thibault religieux de la même province à se mettre de la partie [en vue d’établir la réforme] ; l'assurant qu'il y pouvait beaucoup [...] Il lui dit ces paroles avec tant d'énergie et d'efficace, qu'elles frappèrent au coeur du père Thibault comme un coup de foudre, et y demeurèrent désormais très profondément gravées, comme il a depuis souvent avisé au père Mathieu [Pinault]256. »

Finalement, en 1606, alors que Jean parlait avec Mathieu Pinault des desseins de celui ci, il lui dit au dépourvu : « Dieu m’appelle efficacement pour être religieux en votre convent de Dol. 257 » Le jeune frère Mathieu n’y voyait que toutes sortes de difficultés, mais ce couvent l’accepta quoique âgé de trente-cinq ans et malgré sa cécité, mais dans la situation la plus humble de frère lai.

Les épreuves furent abondantes dans la vie du nouveau carme. Jean était souvent malade. Le bâtiment était fort misérable et délabré, il n’y avait pas d’infirmerie, les cloisons des cellules du dortoir n’étaient faites que « d’ais fort mal assemblez, où les vents entraient de toutes parts. » Jean préférait la solitude et le recueillement de la prière : « dans l’hiver on l’a vu souvent à l’abri de quelque muraille, et aux rayons du Soleil, trembler sa fièvre assis sur un buis du jardin. » Jean de Saint Samson avait appris une prière pour guérir les fiévreux. Cette pratique le mit en relation avec l’évêque de Dol qui, après une enquête, fut acquis à la cause du frère et le fréquenta régulièrement jusqu’à la fin de sa vie 258. Un événement nous révèle la pleine grandeur du frère :

« La ville de Dol et le couvent des Carmes furent atteints de la peste. Un carme mourut en peu de jours et un novice fut atteint par la contagion. Pris de panique, la communauté entière et le prieur s’enfuirent hors du couvent. Le soin du malade fut confié au jeune frère Olivier et à un séculier. Jean de Saint­-Samson s’était déterminé à tenir ferme et à s’engager pour si peu que cela lui serait possible. Malgré son infirmité et son peu d’expérience, il se mit à leur service pour soigner le malade. Un jour, celui ci fut atteint d’un accès de folie furieuse et voulut se précipiter par la fenêtre du dortoir. Alerté par un pressentiment, ou par une lumière divine selon l’interprétation du Père Dona­tien, Jean «  sort à même temps de sa chambre, va directement vers ce frénétique au lieu du précipice, le saisit, et l’empêche de se jeter. Le tenant, il appelle les deux autres, qui pour la crainte du mal s’écartaient au bas du jardin, fit remettre ce pauvre malade en son lit, et demeura toujours auprès de lui, sans aucune appréhension de la maladie, priant Dieu qu’il lui rendit son bon sens, afin de pouvoir mourir dans les dispositions de sa grâce. Notre Seigneur octroya 1’un et l’autre à ses prières. Car au même instant l’usage de la raison lui revint […] » Jean de Saint Samson finit par contracter lui même la maladie à laquelle il s’était exposé volontairement pour l’amour de ses frères malades et agonisants. Les conséquences en demeurèrent limitées, quoiqu’il ait été transféré pendant quelque temps « au champ saint Jammes, lieu destiné pour la retraite et pour le défairement des pestiférés. » Jean y continuait sans relâche ses oeuvres charitables. Ces expériences péni­bles face à un mal impitoyable, à la défaillance totale de la médecine et à la peur obsédante de la contagion, l’amenèrent à un dépouillement entier de son intérêt propre et à une disponibilité sans réserve 259. »



Jean de Saint Samson fit profession, âgé de plus de trente-cinq ans, le 26 juin 1607. Philippe Thibault et Mathieu Pinault, les deux réformateurs, dès leur arrivée définitive à Rennes en novembre 1608, essayèrent d’obtenir du Père Provincial le transfert du frère Jean à leur couvent, mais il leur fallut attendre quatre années, la communauté de Dol s’y opposant. Puis :

« Les supérieurs de Rennes 260 s’efforcèrent d’inventer de rudes épreuves pour mesurer la trempe de son âme et découvrir le fond de son coeur. […] Jean ne pouvait littéralement plus suivre les prescriptions de la méditation méthodique […] Philippe l’invita à exposer par écrit son exercice d’entière élévation d’esprit. […] Etant donné que le contenu de ces quelques pages, de l’avis de tous, était bon et admirable, les chefs de file de la réforme n’hésitèrent plus à destiner le simple frère au rôle important de maître spirituel de plusieurs générations de jeunes carmes […] Mathieu Pinault, le maître des novices […] prit l’initiative quelque peu curieuse d’envoyer chez lui les jeunes gens les plus doués pour une courte visite 261. »



Il donnait probablement un « enseignement » par la prière (comme il en avait été de même par exemple pour les proches d’un Philippe de Néri). De la sorte, Jean devenait le maître spirituel de la réforme, sans méditation méthodique. Jean demeura ainsi à Rennes jusqu’à sa mort, qui arriva à un âge assez avancé, à près de soixante-cinq ans 262 :

« Pendant ces longues années, il n’aimait guère franchir le seuil du couvent, à moins que ce ne fût pour rendre visite à une personne malade ou agonisante. […] A la fin de sa vie, il demanda même son transfert […] pour y être en solitude totale. Il tenait pourtant sa fenêtre grande ouverte pour les oiseaux qui passaient la nuit dans sa chambre. [...] Il ne voulut jamais admettre que sa paillasse soit remplacée par un matelas […] Il mourut le dimanche 14 septembre [1636], en la fête de l’Exaltation de la Croix. Ce jour était l’anniversaire de la mort de Catherine de Gênes, la mystique italienne fort estimée de Jean de Saint Samson à cause de la ressem­blance de leur expérience mystique 263. »

Le sentier de l’amour divin.


On comparera le trésor mystique à un joyau unique se manifestant à travers diverses facettes. Elles correspondent à des thèmes qui ne sont isolés que pour la commodité d’une exposition composée à partir de « dits » de Jean de Saint-Samson. Le but recherché étant d’inciter le lecteur à la lecture directe de l’œuvre, nous leur laissons la plus grande place, en évitant la paraphrase.

Il faut en premier lieu aller à la recherche du joyau. Le titre d’une œuvre qui influa sur Jean de Saint-Samson 264 souligne le caractère imprévisible et contraignant du chemin mystique dont le parcours dure de nombreuses années, la vie étant donnée pour cela. Trouver l’entrée du sentier puis le suivre, suppose en premier lieu de perdre ses certitudes pour se laisser conduire. Mais :

« L’homme […] ne se sert de sa raison que pour les choses sensibles [...] S’il monte plus haut que les sens, il ne veut concevoir les choses divines que par voie d’entendement, et croit que toute sa sainteté doit consister en la forte élévation et dans le lustre de son entendement illuminé de Dieu pour le connaître et le goûter. […] Il ne veut point aller là où il ne sait pas, ni s’exposer à se perdre et s’abandonner à la conduite de Dieu 265. »


Le chemin est pénible parce qu’il doit se conformer à la hiérarchie profonde propre à notre nature, en la remontant couche après couche, selon un chemin inverse à celui des émanations divines du modèle dionysien : « Si on lui ôte un objet sensible, elle [la nature] a recours à un objet de l’esprit. Si on lui ôte ceux de l’esprit, elle cherchera sa propre satisfaction en Dieu même… 266 »

Tour à tour sont éprouvés amour divin  :

« Combien de fois, ô mon amour, ai-je eu sujet dans l'abondance de vos communications divines, de vous prier de vous enfuir hâtivement de moi si vous ne vouliez me voir mourir de joie et d'amour, présentement à vos yeux ? 267 »

ou cheminement obscur :

« Notre Seigneur lui voulant faire goûter l'amertume de Sa croix, le priva de toutes ces grâces sensibles. Et afin d'éprouver, épurer et affermir sa vertu et sa fidélité, le mit en un état très nu, très délaissé, très obscur et très misérable selon le sens, qui lui dura même plusieurs années sans autre consolation. De sorte qu'il lui semblait pendant tout ce temps-là être abandonné et réprouvé de Dieu 268. »


Ces états sont éprouvés tout à tour et cassent le rigide amour propre. Enfin « nos voies doivent être si perdues que personne n’en voient ni trace ni sentier 269 » et seul reste nécessaire l’élan de tout l’être pour atteindre un état d’union simple :

« [Il n’avait souvent rien autre chose à dire en confession, sinon] « qu’il n’avait pas tendu à Dieu à l’infini et de toutes ses forces en son attention [...] [donnant pour précision] « l’infini [...] c’est l’arrêt et fermeté de toutes les puissances recueillies, fondues, réduites et entièrement perdues en l’unité divine, par dessus tout esprit et fond 270. »

L’action divine à travers l’homme peut alors prendre place : « Aimer sans amour, aimer au-dessus de l’amour [sensible] 271. » Avant cela, par une continuelle et attentive mort de lui-même, les mystiques doivent plonger de plus en plus en leur fond, « sans grand effort du sens », seulement du plus profond du cœur et du plus intime de l’esprit 272. Qu’ils ne se satisfassent point d’un désir de posséder Dieu plus pour eux que pour lui-même ! En fait, plus le sujet « s’abîme et se perd au total de son infinie vastité 273, tant moins il s’aperçoit de cette opération simple et cachée 274. » Il ne lui reste qu’à :

« …s’armer de force de patience et de constance pour ne varier jamais ni à droite ni à gauche [...] se sentir toute vide et destituée de lui et totalement insipide en ses sentiments. C’est en ceci que consiste la fidélité [...] et non dans les grandes connaissances [...] visions et ravissements de l’entendement humain. [...] Cela n’arrive qu’afin que les âmes ne se satisfassent point elles-mêmes d’un désir glouton et affamé de posséder Dieu plus pour elles que pour Lui-même 275. »


Voilà comment on monte l’escalier d’amour divin, car « celui qui a tout reçu doit toujours tout, à chaque moment 276. » Ses voies sont la solitude, être totalement impuissant à sa délivrance, mais aussi satisfaire pleinement à Dieu avec joie, en abhorrant la tristesse.

« Tout cela est aisé à dire, malaisé à faire, difficile à endurer, très difficile à surmonter. Car il faut demeurer stable, ferme et immobile au dedans de l’esprit, en simple repos, par dessus l’action et l’intention [...] et cela éternellement, parce que l’on croit ne devoir jamais vivre autrement et que cet aimable époux ne doit jamais retourner [...] C’est ici que l’industrie humaine est épuisée 277. »

Pour un abandon véritable nous devons être « totalement reçus et fondus278 » :

« Etre entièrement enseveli comme mort, c’est encore un tout autre état, et puis être pourri et corrompu, et de la pourriture être rédigé en cendre, ce sont encore d’autres états plus proches du rien. Mais le même rien n’est rien. Il faut que le Mystique avise soigneusement lequel de tous ces états lui convient, afin que sans s’arrêter, il tende toujours à plus, non selon la pure spéculation, ce qui serait tôt fait, mais en véritable pratique dans les occasions, qui ne lui manqueront jamais, et avec ordre et discrétion. C’est un œuvre d’un siècle, à dire la vérité 279.

Soyons « circonspects à ne se point chercher finement, en faisant sa proie de la mort du sens. [L’âme] doit vivre là toute perdue à elle-même, sans science ni vue de ce que nous sommes 280. » Cependant la « subtile et perdue théorie et pratique des mystiques est inconnue à tout autre qu’à eux-mêmes et cependant ils voient tout, du fond de leur abîme »281 :

« Pour arriver heureusement à cette transfusion en Dieu, il faut que toute la créature soit perdue à son vivre, à son sentir, à son savoir, à son pouvoir, et à son mourir […] il n'y a plus en cet état d'acte de réflexion, et l'âme est hors de puissance de le faire. Toutefois le franc arbitre demeure en sa pleine et entière vigueur. En ceci il y a infiniment de quoi s'émerveiller et admirer la force de l'amoureuse activité de Dieu à fondre et convertir totalement en soi, ceux qui lui ont voulu, sans réserve, répondre de tout soi, tant en la vie qu'en la mort 282. »

« Au reste dans cet abîme on ne voit ni fond ni déité : tout y est englouti sans ressource et il ravit incessamment tout l’homme sans distinction ni différence. C’est ici qu’il n’y a ni amour, ni vertu, ni charité. Et toutefois c’est d’ici que la charité, l’amour et les vertus sortent à leurs effets quand et autant qu’il le faut, sans perception ni distinction. Ce qui n’est point ne peut avoir de nom ; non par privation d’être, mais parce qu’on est englouti dans l’unique et suréminent être qui va remplissant tout être du sien 283. »



Les vertus ne doivent jamais être distinguées ni séparées de l’amour, sinon dans leur action qui sort et paraît aux hommes. Il s’agit de parvenir au feu de l’amour divin, lequel les dévorera et les engloutira, pour les transformer en soi :

« L’amour et l’humilité leur ôtent [aux mystiques] toute réflexion, les occupant et les perdant toujours de plus en plus en Dieu, où ils sont et vivent sans distinction ni discernement de ce qu’ils font ou ne font pas. Ainsi ils vaquent incessamment au devoir de l’amour réciproque, sans croire ni penser qu’ils y satisfassent, sinon de fort loin et chétivement 284. »

« Le divin soleil de justice ne manque point de produire les effets de Son amour dans les hommes, aux uns plus tard et aux autres plus tôt et en un différent degré, selon qu’Il trouve la terre de leur cœur diversement disposé à cela par la grâce ; la saveur et l’expérience que nous avons de cette vérité, nous est très délicieuse ; en cette manière nous pénétrons tous les effets de cet amour produit dans les hommes, leur découvrant sa beauté et ses vives splendeurs afin de les rendre parfaitement amoureux de Lui-même 285.

« Là où il y a de la raison pour aimer, l’amour n’est point : d’autant que l’amour est suffisant de soi-même pour tirer et ravir en unité d’esprit tout le sujet qu’il anime 286. »



La place réduite ne nous permet pas de multiplier des citations en les respectant exactement. Aussi nous proposons d’associer à quelques citations longues certains fragments tirés de Jean de Saint-Samson, légèrement modifiés, en une mosaïque :


Vous voyez votre petitesse dans la grandeur divine qui vous inonde, et dans Son tout votre rien 287 ; cet exercice d’amour unit souverainement et de plus en plus à l’objet très simple et infini ; éclairant ceux avec qui elles [les âmes] ont à traiter, agissant, pâtissant et se comportant comme un flambeau lumineux enfermé en un corps transparent pour l’illumination d’autrui. 288 Il s’agit de tenir ce cœur ardemment et continuellement brûlant au feu du même amour, afin que là dessus tous les manquements et défauts, qui sont de pure infirmité, soient en un moment consommés et réduits à rien. Ainsi le seul amour demeurera maître de la place. 289

« Cet état consiste en une élévation d’esprit par dessus tout objet sensible et créé ; par laquelle on est fixement arrêté au dedans de soi, regardant stablement Dieu, qui tire l’âme en simple unité et nudité d’esprit [...] La constitution de celui qui est en cet état, est simple, nue, obscure et sans science de Dieu même [...] Car là, tout ce qui est sensible, spécifique, et créé est fondu en unité d’esprit, ou plutôt en simplicité [...] Alors les puissances sont fixement arrêtées au dedans, toutes attentives à fixement regarder Dieu [...] Et plus cela est ignoré du patient, tant mieux pour la profondeur et l’excellence de cet état. [...] ni créé ni créature, ni science ni ignorance, ni tout ni rien, ni terme ni nom [...] ni différence de temps [...] tout cela est perdu et fondu en cet obscur brouillard, lequel Dieu fait lui-même, se complaisant ainsi dans les âmes [...] Là elle doit continuellement être attentive à ne se point laisser occuper des objets naturels et spirituels, qui sourdent presque continuellement, quoique très simplement, de la puissance raisonnable : et à n’écouter point la nature, qui la sollicite continuellement à connaître et à sentir son état et à réfléchir sur ce qu’elle voit et ce qu’elle est. Car la nature veut toujours secrètement avoir quelque objet à quoi elle s’attache […] qu’elle réponde uniquement et toujours […] par la simple et totale attention, en l’essence abyssale de Dieu 290. »


Plus que Dieu, au delà de Dieu etc. paraissent des expressions rudes. Mais parce qu’on ne voit ni terme, ni nom pour répondre à ce dont on se sent et on se voit tout embrasé, on se réduit et on s’exprime comme on peut. 291 Celui qui à force de mourir et fluer continuellement en Dieu est devenu simple, demeure comme impuissant à réfléchir. Il demeure stable et arrêté en son repos, ne désirant sortir de là sinon lorsque Dieu l’en tire. Et lors il sort sans sortir, pratiquant ce qu’il doit faire, libre et sans empêchement, afin de rentrer selon son total au plus profond de son désert solitaire.  Ces personnes sont vues comme fleuve regorgeant d’amour, de lumière, de saveur et de délices ineffables. 292 Les formes et le vocable même d’amour s’anéantissent. Car alors le sujet se trouve heureusement transformé au feu de Dieu. 293 Rien de ceci ne rejaillit plus dans les sens ; et il est de nécessité que l’âme soit établie et confirmée en une très grande et très simple force d’esprit, qui l’arrête et constitue fermement et « immobilement » en son objet ; afin que Dieu vive en elle comme sans elle 294.

« Alors l’amour n’a plus d’être, de vie, ni d’opération comme pour elle, mais désormais son infini objet qui est Dieu, vit, agit, et pâtit en elle en tout sens et manière, et en tous événements. L’âme dis-je, en cet état ne vit que de la vie, et en la propre vie de Dieu. Elle a atteint sa similitude avec Dieu par dessus la même similitude ; elle a atteint son image et son exemplaire en son propre fond originaire, et elle est entièrement transfuse en son immense amplitude, par dessus toute démonstration possible. […] Pour donc faire vivre Dieu en nous, il faut que nous mourions totalement ; et comme cela ne doit et ne peut être naturellement devant le temps de notre dissolution, il faut que nous mourions en la foi et la créance du rien de toutes choses, et de nous-mêmes au respect de Dieu. 295 […] Celui donc qui affecte seulement les formes et intelligences du haut et du profond, si mystique qu’il puisse être, n’est pas capable de notre présent flux et écoulement et ne sait ce que nous disons. 296 »



Nous achevons cet aperçu de l’œuvre par un extrait qui rend compte du style d’un important manuscrit inédit 297. Il donne un aperçu du flux habituel aux dictées de Jean :

« …le flux de la créature en Dieu procède de son industrie pure plus ou moins vivement touchée de Dieu, pour pouvoir appréhender Dieu petit à petit et le connaître en ses effets, tant en la créature que dehors d’elle aux autres. […] …la créature se sent outrée et ponctuée des vifs attraits de Dieu, à la suite desquels elle sort par divers degrés et par diverse succession d’ordre et de temps d’elle-même et des choses créées et entre par amour et dépouillement de soi plus ou moins avant en Dieu. […] Mais il est tout au contraire de ceux qui tirent Dieu à eux à la manière des écoliers, lesquels par efforts de spéculation naturelle l’accommodent à leurs sens et leurs goûts, duquel se sentant sensiblement et naturellement délectés, il leur semble par cela s’approcher grandement de Lui, et avoir sous grande connaissance et grand goût de Lui, ce qui n’est qu’affection et sentiment purement naturel. Lesquels se trouvant doctes par la science acquise, ils étendent le discours et leurs voies en cela le plus largement et le plus loin qu’ils peuvent, de sorte que leur ponctuation n’est que pure théologie d’école, étudiée [f°2v°] plus ou moins facilement digérée par spéculation, purement humaine. Et comme ils ont lu quelques mystiques, ils en mêlent quelquefois des mots en leur digestion ; si qu’à cette occasion on peut dire que leurs discours en délivre plus ou moins appuyé, mélangée et ornée de quelques petits filets d’or, ou si on veut, frotté d’un peu de miel. [...]

[Au contraire] la sapience est infuse de Dieu dans les cœurs simples qui s’occupent simplement en des sujets affectueux, laquelle les unit et les recueille en vérité par dessus toutes multiplicités de recherches d’école, les pénétrant d’une saveur divine qui ne convient qu’à Dieu qui la verse expressément pour rendre semblables [les] âmes amoureuses de lui par l’infusion de ses lumières et de ses goûts. A quoi l’âme étant fidèle, elle continue de poursuivre Dieu par son attrayant rayon délicieux par dessus tout ce qui se peut penser, quoique cela se fasse par diversités de voies en toutes lesquelles Dieu tient nécessairement cet ordre. [f. 3] Ce que se continuant ainsi, les âmes font progrès en la connaissance de Dieu, d’elles-mêmes, […] elles en deviennent doctes en l’art de la science d’aimer Dieu, auquel le très saint Esprit les instruit d’une ineffable manière pour étendre, pour pénétrer et pour surpasser toutes choses créées en elles-mêmes. Tels sont les vrais et solides effets de la divine sapience abondamment infuse aux âmes assez saintes. C’est pourquoi toutes leurs études et leurs soins, n’est que de se rendre de plus en plus simples et uniques en leur occupation continuelle autour de Dieu. »

« Là le vide est tout plein. 298 »



Où lire Jean de Saint-Samson ?

1. Sources :

Manuscrits aux Archives d’Ille-et-Vilaine à Rennes, liasses 9H39 à 9H44 [Deux mille folios dont le quart bénéficie d’éditions récentes.].

La Vie, les Maximes et partie des oeuvres du très excellent contemplatif, le vénérable Fr. Ian de S.Samson..., par le R.P. Donatien de S. Nicolas, Paris, 1651.

Œuvres spirituelles et mystiques du divin contemplatif f. Iean de S.Samson […] avec un abrégé de sa vie, recueilly et composé par le P. Donatien de S.Nicolas, Pierre Coupard, Rennes, 1658-1659. [Les textes ont été rendus plus aisés au prix d’une recomposition par Donatien ; cette édition reste incontournable.].


2. Editions modernes :

Jean de Saint-Samson, Œuvres mystiques, texte établi et présenté par H. Blommestijn et M. Huot de Longchamp, Paris, O.E.I.L., 1984.

H. Blommestijn, Jean de Saint-Samson. L’éguillon, les flammes, les flèches et le miroir de l’amour de Dieu, propres pour enamourer l’âme de Dieu en Dieu même, édition du manuscrit de Rennes, Introduction et commentaire, Doctorat, Pontificiae Universitatis Gregorianae, Rome, 1987. [accompagnée de la meilleure étude sur Jean : l’introduction couvre les deux-tiers du volume.].

Jean de Saint-Samson, La pratique essentielle de l’amour, Coll. « Sagesses chrétiennes », Cerf, 1989. [L’introduction la plus recommandable comportant cinq de ses courts traités. L’accès est aidée par les introductions des éditeurs H. Blommestijn et M. Huot de Longchamp comme par la modernisation des textes.].

Jean de Saint-Samson, Œuvres complètes 1, L’aiguillon, FAC, 1992 [reprise de L’éguillon…], Œuvres complètes 2 Méditations et soliloques 1, FAC, 1993, Œuvres complètes 3 Méditations et soliloques 2, FAC, 2000 [éd. exacte d’une partie des ms. de Rennes].

François Trémolières, Donner à lire Mme GUYON



XVIIe siècle, n°248, Juillet-septembre 2010, 62e année, n°3, 547-554.



Il faut saluer la publication du présent recueil, qui couronne dix ans d’un tra-

vail considérable au service de Mme Guyon (1648-1717). Dominique Tronc,

ingénieur de profession, a consacré sa deuxième vie à faire connaître d’abord l’au-

tobiographie de son héroïne (La Vie par elle-même et autres écrits bibliogra-

phiques, publiée dans la même collection en 2001), puis ses lettres, à travers trois

gros volumes publiés chez le même éditeur dans la collection « Correspon-

dances » (I. Directions spirituelles, 2003 ; II. Années de combat, 2004 ; III. Che-

mins mystiques, 2005). Il a également publié, chez d’autres éditeurs, un choix des

Discours chrétiens (De la vie intérieure, Phénix / La Procure, 2000 ; Écrits de la

vie intérieure, Artfuyen, 2005) et des Explications de la Bible (Phénix, 2005).

Enfin il s’est fait l’éditeur, dans la collection « Sources mystiques » du Carmel de

Toulouse, de ceux qu’il considère comme les maîtres de Mme Guyon : Jacques

Bertot (2000) et Maur de l’Enfant-Jésus (2007).

Ce volume des Œuvres mystiques offre un choix des Lettres (p. 419-530), des

Explications (p. 293-382), des Justifications (p. 383-418 — les pièces produites

contre l’accusation de quiétisme, rédigées en partie avec Fénelon, très précieuses

pour l’historien de la mystique notamment par l’aperçu qu’elles donnent des

« autorités » en la matière), et surtout des Discours (p. 531-762). S’y ajoute une

présentation des Poèmes (p. 763-778). Il offre également l’édition complète du

Moyen Court (l’édition Poiret de 1720 et non l’originale de 1685, publiée par

Marie-Thérèse Gondal chez Jérôme Millon et reprise au Mercure de France), des

Torrents (déjà publié par Claude Moreli chez Millon d’après une copie manus-

crite, alors que là encore D. Tronc préfère l’édition de 1720) suivie du Petit

abrégé de la voie et de la réunion de l’âme à Dieu. Plus des « éléments biogra-

phiques » et « index des thèmes » (dont une précieuse table analytique).

Il s’agit de produire non pas une édition savante (ainsi D. Tronc préfère aux

appareils de variantes ajouter en notes ou en annexes des compléments pris dans

d’autres textes, ou d’autres endroits du même ouvrage ; ou par exemple signaler

les « gauchissements » opérés par les censeurs dans leur réduction en propositions

des Torrents), mais simplement un texte sûr, pour un ensemble à valeur surtout

didactique et pédagogique — voire initiatique.

Chaque section est précédée d’une « présentation » et caractéristique du point

de vue de l’éditeur nous paraît celle des Explications. « Le parti pris » de l’auteur,

écrit D. Tronc p. 297, « est rigoureux et absolu : Mme Guyon fait correspondre

COMPTES RENDUS ET NOTES DE LECTURES

441Page 6


les événements rapportés par la Bible à des expériences mystiques des temps

anciens, dont elle explicite les images et l’actualité toujours vivante ». Actualité

paradoxale, puisque la démarche guyonienne marque en réalité un terme, celui

d’« une précieuse tradition d’interprétations allégoriques » (p. 298) qui s’éteint

avec le crépuscule des mystiques ; mais elle « peut alimenter la vie spirituelle de

nos contemporains », car par l’accent mis sur l’expérience, c’est-à-dire l’intime et

l’intérieur, elle transcende l’historicité des textes, aussi bien que leur interprétation

purement littérale. D. Tronc fait un pas de plus lorsqu’il affirme (p. 299) que

Mme Guyon « s’approche probablement mieux de l’intention de l’écrivain sacré

que ne le font des commentateurs modernes, souvent anachroniques par leur

orientation historicisante ». (Les commentateurs mais aussi les traducteurs : à

preuve la traduction de Luc XVII, 21 dans la

TOB

par « le règne de Dieu est parmi vous », là où Mme Guyon écrit : « le royaume de Dieu est en nous ».) Il en conclut (p. 300) qu’« expliquer les écrits sacrés comme des expressions d’une même vérité humaine d’expérience intérieure est peut-être devenu la seule approche

acceptable par notre époque : l’explication se soumet à ce qui apparaît comme rai-

sonnable et l’autorité de l’expérience subordonne les croyances au vécu ».

Ce choix, on le voit, ne privilégie pas l’inédit — ainsi le commentaire au

Cantique des cantiques, qui forme l’essentiel de la section Explications, a déjà été

publié par C. Morali à la suite de son édition des Torrents. Mais il va bien au-delà

du florilège, comme celui qu’avait proposé M.-Th. Gondal sous le titre Madame

Guyon : la passion de croire aux éditions Nouvelle Cité, en 1990. L’éditeur a

construit une somme, sorte de tout-en-un rassemblant l’essentiel à ses yeux de

l’œuvre guyonienne, sans en omettre aucun aspect — y compris la relative médio-

crité des poèmes (p. 763), ce pourquoi la section qui leur est consacrée est parti-

culièrement brève — les écrits biographiques exceptés. Les Discours sont privi-

légiés parce qu’ils sont, malgré leur relative incohérence, « le chef-d’œuvre de

Mme Guyon » (p. 534) : l’œuvre de la maturité spirituelle. L’accent est mis, dans

la correspondance, sur « la description des états intimes, d’intérêt permanent ».

Des Explications est d’abord retenue, on l’a déjà noté, la valeur de témoignage des

« contacts vécus (…) avec Dieu et son médiateur Jésus-Christ ».

L’étude introductive du P. Max Huot de Longchamp vise à persuader que ces

écrits constituent « une présentation claire et complète de la vision chrétienne de

la vie mystique, au point que l’on pourrait recommander la lecture de ces pages

comme celle d’un excellent manuel en la matière, et (…) qu’il serait difficile de

prendre en défaut de foi catholique ». Il nous paraît douteux que ce volume, ne

serait-ce que par son prix (130 euros), mais aussi par son ampleur, s’adresse

d’abord aux « consciences délicates » soucieuses d’oraison (et d’appartenance

confessionnelle). D. Tronc n’en fait pas moins regretter l’absence de l’intégralité

des seize Discours spirituels publiés en 1718 à la suite des Lettres chrétiennes, en

les présentant (p. 534) comme « un condensé simple, abordable mais complet de

toute la voie mystique ». Tributaire de l’édition Phénix, cette présentation n’est

d’ailleurs pas tout à fait claire : renvoient à ce petit ensemble posthume les numé-

ros 3.x, au lieu que 1.x et 2.x renvoient aux deux tomes de l’édition Poiret de

1716, les derniers écrits publiés du vivant de Mme Guyon. On en donnera le goût

par une citation, p. 755 : « Il ne faut pas croire que Dieu endurcisse le cœur de

l’homme autrement que le soleil endurcit la glace : c’est par son absence. Plus les

pays sont éloignés du soleil, plus tout y est glacé. L’homme (…) plus il approche

de ce Soleil, plus il se fond peu à peu, en sorte que si, après tant de misères, il

s’approchait assez près de Dieu, il se fondrait et se liquéfierait entièrement. Ce qui

empêche sa liquéfaction parfaite, c’est la propriété, qui congèle toujours plusieurs

endroits de notre âme, laquelle, dès que sa glace est entièrement fondue et rendue

REVUE D’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

442Page 7

toute fluide, s’écoule nécessairement dans son état original, où tous les obstacles

sont ôtés. C’est le feu de l’amour pur qui le fait en cette vie, et ce sera le feu du

Purgatoire qui le fera en l’autre ». FRANÇOIS TRÉMOLIÈRES

INFLUENCE MYSTIQUE ET POSTÉRITÉ DE MARIE DES VALLÉES

Journée du 1er juin 2013 à Coutances


Vie Eudiste” Une fidélité créatrice, Marie des Vallées Colloque du 1° Juin 2013, Hors-série” [Actes du colloque […] réunis par le P. Daniel Doré, cjm],, 39-48.


L’influence de Marie des Vallées (1590-1656) [M des V] s’exerça directement par les conseils qu’elle donna à ses visiteurs dont saint Jean Eudes, Jean de Bernières et d’autres spirituels de l’Ermitage de Caen fondé par ce dernier.

La postérité d’une telle influence fut assurée à la génération suivante puis plus récemment grâce aux « dits » rapportés. Ils sont livrés dans La Vie admirable rédigée par saint Jean Eudes et dans les Conseils édités en collaboration avec Joseph Racapé299.

§

Regrettons que l’état de santé du Père Racapé ne lui ait pas permis d’assurer un aller-retour entre Paris et Coutances. M’intéressant à madame Guyon et à sa lignée spirituelle dont monsieur de Bernières300, je suis venu aux Archives eudistes consulter les dossiers assemblés par le P. Du Chesnay en vue d’une grande thèse inachevée sur le fondateur de l’Ermitage. Leur conservateur m’a fait découvrir le manuscrit dit de Québec et devint un ami. Il a repris avec grand soin ma transcription et éclaire la lecture d’un texte imprégné par la pratique religieuse traditionnelle. Il a ajouté l’Abrégé. Le volume s’achève par un texte méconnu, les Conseils d’une grande servante de Dieu attachés au Directeur mystique publié en milieu protestant à Amsterdam en 1726. Nous touchons ici à des influences qui s’exercèrent au sein de milieux les plus divers.

§

Influence directe par des conseils aux visiteurs. Les membres de l’Ermitage de Caen faisaient annuellement un séjour auprès de « sœur Marie ». Nous en trouvons des traces écrites dans La Vie ou les Conseils (leurs références figurent en notes dans notre contribution rédigée). Voici un passage assez long mais révélateur :

L’an 1653, au mois de juin, quelques personnes de piété étant venues voir la sœur Marie pour la consulter sur plusieurs difficultés qu’elles avaient touchant la voie par laquelle Dieu les faisait marcher, qui était une voie de contemplation, elles demeurèrent quinze jours à Coutances, la voyant tous les jours et conférant avec elle sur ce sujet, deux, trois, quatre, et quelquefois cinq heures par jour.

Il est à remarquer qu’elle n’est pas maintenant dans cette voie, étant dans une autre incomparablement au-dessus de celle-là par laquelle elle a passé autrefois, mais il y a si longtemps qu’elle ne s’en souvient plus. C’est pourquoi, lorsqu’elles lui parlaient de cela, au commencement elle leur disait que ce n’était pas là sa voie et qu’elle n’y entendait rien. Mais peu après Dieu lui donna une grande lumière pour répondre à toutes leurs questions, pour éclaircir leurs doutes, pour lever leurs difficultés, pour parler pertinemment sur l’oraison passive, pour en découvrir l’origine, les qualités et les effets, pour faire voir les périls qui s’y rencontrent, pour donner les moyens de les éviter et pour discerner la vraie dévotion d’avec la fausse.

« Cette voie est fort bonne en soi, leur dit-elle, et c’est la voie que Dieu vous a donnée pour aller à lui, mais elle est rare : il y a peu de personnes qui y passent, c’est pourquoi il est facile de s’y égarer.

« Ce n’est pas à nous de choisir cette voie et nous ne devons pas y entrer de nous-mêmes et par notre mouvement. C’est à Dieu de la choisir pour nous et nous y faire entrer. On n’en doit parler à personne pour la leur enseigner, car si on y fait rentrer des personnes qui n’y soient pas attirées de Dieu, on les met en danger et grand péril de s’égarer et de se perdre. Si quelques-uns en parlent, il faut les écouter. Si on reconnaît à leur langage qu’ils marchent en ce chemin, alors on peut s’en entretenir avec eux. Cette voie est pleine de périls, il y faut craindre la vanité, l’amour-propre, la propre excellence, l’oisiveté et perte de temps.

« Il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y ait que ce chemin qui conduise à l’anéantissement de nous-mêmes et à la perfection. Tous chemins vont en ville. Il y a une infinité de voies qui vont à la perfection : les uns y vont par la contemplation, les autres par l’action, les autres par les croix, les autres par d’autres chemins. Chaque âme a sa voie particulière. Il ne faut pas penser que la voie de la contemplation soit la plus excellente 301 


Les conférences mystiques n’excluaient pas de bons moments. Mais ils restent contrôlés :

Dans un voyage que M. de Bernières fit à Coutances, pendant qu’il y fut il alla souvent prendre son repas chez M. Potier où était la sœur Marie. Or l’un et l’autre firent dessein d’envoyer quérir du sucre et quelque autre petite délicatesse, afin de le mieux traiter, mais lorsqu’il était présent, ils ne s’en souvenaient point du tout ; et quand il était parti, ils étaient fâchés d’y avoir manqué, mais pourtant ils oublièrent encore par après, excepté un soir qu’ils l’attendaient et qu’ils se souvinrent bien, mais cette fois il ne vint point. Ensuite de cela, comme la sœur Marie se plaignait de leur peu de mémoire, Notre Seigneur lui dit : « C’est ma divine volonté qui en a ainsi disposé. Elle veut que vous lui aidiez à marcher dans le chemin de la perfection. Toutes ces choses ne sont que des retardements, excepté quand on en use par infirmité ou par quelque autre bonne raison. »]302

Le grand respect de tous les pèlerins mystiques envers celle qu’ils nommaient notre « sœur Marie » demeura gravé dans le bronze ce dont témoigne la cloche du séminaire de Coutances : « +1655 iai este nommee Marie par Marie des Vallers et par Mre Jean de Berniere ». Et sœur Marie fut inhumée dans la chapelle du séminaire de Coutances, le 4 novembre 1656303.

Elle était donc bien « considérée comme une sainte femme, et une conseillère spirituelle avisée, par beaucoup de personnes notables. On peut citer entre autres : Gaston de Renty (1611-1649) ; Jean de Bernières (1602-1659) ; la mère Mechtilde du Saint-Sacrement (Catherine de Bar) (1614-1698), fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement ; Catherine de Saint-Augustin ; Simone de Longprey (1632-1668 à Québec), moniale hospitalière de la Miséricorde, béatifiée le 23 avril 1989 ; Mgr François de Montmorency-Laval (1623-1708), premier évêque de Québec, béatifié le 22 juin 1980 ; Mgr Pierre Lambert de la Motte (1624-1679), vicaire apostolique de Cochinchine, etc. » 304.

Jean Eudes prit courageusement sa défense dans son Abrégé que nous publions à la suite de la Vie : il ne pouvait abandonner sa dirigée et en même temps inspiratrice ; il précède ainsi l’archevêque de Cambrai Fénelon prenant la défense de madame Guyon.

Comprenons bien la source toute intérieure, clef du respect de tous ces proches, livrée dans les Conseils. Que se passait-il autour d’elle ? On perçoit trois niveaux :

1.Elle répond aux questions et ses réponses seront notées probablement le jour même par ses interlocuteurs dont saint Jean Eudes,

2.Elle raconte ce qui lui arrivait dont ses « songes » ou rêves, pour instruire,

3.Une communication de cœur à cœur en silence se produit dans une prière commune mystique.En témoigne probablement Bernières dans les Conseils d’une grande servante de Dieu rapportés dans le Directeur mystique :


27. Je dis à la sœur Marie que je conversais avec elle en Dieu, sans que je pense y converser de paroles. Elle m’a dit qu’il y a un langage intérieur, et que cela était vrai. Je suis venu peu à peu à ne plus parler avec elle, mais à demeurer auprès d’elle en Dieu […] J’ai bien connu que c’était imperfection à moi de lui parler, n’étant pas la manière que Dieu voulait sur moi. Il me semblait que mon âme était introduite dans un cabinet seule avec elle, où les autres ne pouvaient empêcher la conversation, non pas elle-même : c’est un pur don que Dieu seul peut faire305.

33. En l’année 1655, notre voyage pour voir la sœur Marie ne fut pas à dessein d’avoir quelque réponse ou quelque don particulier, mais afin d’obtenir par ses prières, l’établissement de la réelle présence de Dieu dans le fond de notre âme. Nous avions eu quelques mois auparavant plusieurs lumières qu’il y a dans l’essence de l’âme une capacité comme infinie de recevoir cette réelle présence ou plutôt d’être abîmée en Dieu même ; nous étions dégoûtés de nous servir d’aucuns moyens, cette communication essentielle de Dieu ne se pouvant faire qu’en Dieu et par Dieu même, ce que notre âme expérimente par un instinct secret.

34. Elle ne laissa pas de nous dire des histoires, ou des visions ou lumières qu’elle avait eues de l’état de déification, qui faisaient connaître le bonheur d’une âme qui entre en cet heureux état. Nous lui témoignâmes de le désirer, et que nous ne pouvions plus goûter aucun don, mais Dieu seul, et qu’elle priât pour nous obtenir cette grande miséricorde : nous trouvions notre intérieur changé, comme étant établi dans une région plus indépendante de moyens, et où il y a plus de liberté, de pureté et de simplicité, où l’anéantissement et la mort de soi-même sont expérimentés d’une manière tout autre que par le passé.306

Puis l’influence devenue moins directe se poursuit cependant sur la génération suivante par la diffusion de ses paroles :

-Soit perçue négativement par des jansénistes (nous ne traitons pas les épisodes compliqués de la collision entre mystiques et anti-mystiques),

-Soit perçue positivement - cela nous intéresse - par d’autres spirituels. D’abord par l’intermédiaire de Mgr de Laval qui emporta en Nouvelle-France notre manuscrit. C’est un indice de vénération profonde car on ne transportait pas de bibliothèques dans les traversées aventureuses de l’époque ! Le manuscrit « de Québec » traversa d’ailleurs deux fois l’océan…

L’influence atteindra à la fin du siècle madame Guyon – elle se rattache au même réseau mystique par monsieur Bertot passeur de Caen à Montmartre– réseau qui s’étendit ainsi à Paris et pénétra la Cour peu après le milieu du siècle. Madame Guyon écrit en 1693 au duc de Chevreuse :

... pour Sœur Marie des Vallées, les miracles qu’elle a faits depuis sa mort et qu’elle fait encore en faveur des personnes qui l’ont persécutée, la justifient assez. C’est une grande sainte et qui s’était livrée en sacrifice pour le salut de bien des gens. Elle était très innocente, l’on ne l’a jamais crue dans le désordre, mais bien obsédée et même possédée, mais cela ne fait rien à la chose307.

L’influence se prolonge encore au XVIIIe siècle par les Conseils édités près d’Amsterdam en 1726 par le groupe du pasteur Poiret, influent éditeur de trésors mystiques308.

Puis la personnalité de M des V parvint à émouvoir des chercheurs spirituels au XXe siècle :

Emile Dermenghem, reconnu par la suite pour ses belles études sur le soufisme, la fait heureusement revivre même s’il insiste sur les possessions et autres étrangetés 309.

Julien Green témoignera dans son Journal :

La Vie de Marie des Vallées est vraiment un livre extraordinaire […] : « Je vous crucifierais, dit-elle au Seigneur, je frapperais à grands coups de marteau sur les clous, je vous mettrais même en Enfer, si la Divine Volonté me l’ordonnait ». Voilà qui est parler, et que nous sommes loin des timides façons du christianisme ordinaire ! […] Que cette sainte me plaît. Elle parle à Dieu presque d’égal à égal, et elle a l’air d’avoir perdu la tête au moment où son bon sens de paysanne est le plus fort. 310 .311.

§

Quel intérêt nous pousse à lire M des V aujourd’hui ?

Selon deux champs distincts :


Le champ historique / sociologique : Le témoiognage éclaire les conditions difficiles auxquelles eurent à faire face des mystiques au début du XVIIe siècle. Leurs vies présentent des phases semblables : épreuves, déréliction, parfois troubles proches de la folie, résurrection intérieure. Même Benoît de Canfield ou François de Sales en sa jeunesse se croient un moment au moins perdus !

La comparaison de deux grandes figures qui sortirent de leur enfer héroïquement par le haut reste à faire : je pense au proche cadet Jean-Joseph Surin (1600-1665) [Marie des Vallées : 1590-1656].

Comme lui, l’« innocente » servante, obsédée par la crainte voire la conviction d’être possédée, à une période où l’on brûle les sorcières par milliers, s’est jetée sans réserve à Dieu. Elle s’est aussi dangereusement « livrée en sacrifice » pour le rachat de ses persécuteurs. Ce don a renforcé des épreuves. On apprécie mieux aujourd’hui le risque d’une telle offrande à porter le mal d’autrui. Jean-Joseph Surin arrive à Loudun en 1634, l’année où Marie émerge du « mal de douze ans » et il va entreprendre à son tour un étrange voyage intérieur.

Dans ses précieuses notices à l’édition de la correspondance de Surin312, Michel de Certeau décrit comment le jésuite tente une approche humaine au milieu du théâtre fou de Loudun – et ce qui s’ensuivit313.


Le champ spirituel et mystique :

Il s’agit de quitter ce qui attire notre curiosité et de tenter une approche plus intérieure.

M des V montre comment l’on peut surmonter ses handicaps naturels par le haut, comme le fera Surin (et d’autres). Ces handicaps furent probablement renforcés par ce que nous pensons avoir été des épreuves troubles vécues dans sa jeunesse -peut-être même peut-on supposer quelque viol dont on imagine les effets sur bien des années.

De tels témoignages mis à jour et situés dans leur contexte soulignent comment peut s’opérer une progressive emprise de Dieu. Cette emprise permet de passer au-delà du plan psychologique et d’atteindre le plan spirituel, ce dont témoigne une grande paix et sagesse durant les dix dernières années. Selon une voie certes étrange et dépendante de l’époque. En témoignent des rêves et des « dits » de toute beauté.

Il faut ici souligner ce qui constitue à nos yeux le bon « mode d’emploi » de La Vie : commencer la lecture au Livre quatrième sinon même par les Conseils à la fin du volume! Ce que j’ai vérifié la semaine dernière lors d’une relecture de l’ensemble du volume : à une rupture de la copie par introduction de feuillets vierges et par un changement de main du copiste (indiqué note 121, page 151) correspond un changement très profond d’atmosphère où les beaux et profonds passages prennent place en remplaçant bien des diableries. S’agirait-il de deux rédactions distinctes d’époques dirfférentes?

§

Laissons-lui la parole. Je vous convie à achever cette matinée sur quelques extraits d’un volume de 693 pages :

Le deuxième jour de décembre [1644], Notre Seigneur lui proposa une forme d’abbaye dont l’abbesse était la divine Volonté. […]

Les âmes qui sont en ce noviciat ne font profession que quand elles sont entièrement dépouillées d’elles-mêmes. Lorsqu’elles font profession, elles sont au pied de la montagne de perfection sur laquelle s’acheminant, elles commencent de se déifier peu à peu, et en cet état elles ont à pratiquer les excès de l’amour divin qui contient sept articles :

Le premier est d’allumer le feu dans l’eau.

Le second de marcher sur les eaux à pied sec. […]

Le cinquième de faire la guerre à Dieu et Le vaincre. […]

Voici l’explication que Notre Seigneur lui a donnée de ces choses : allumer le feu dans les eaux, c’est conserver l’amour divin dans les souffrances. Plus les souffrances s’augmentent, plus l’amour divin s’augmente et s’embrase.

Marcher sur les eaux à pied sec, c’est mépriser et fouler aux pieds les plaisirs licites et illicites sans y toucher. Les plaisirs sont signifiés par les eaux parce qu’ils s’écoulent comme l’eau et n’ont point d’arrêt. […]

Faire la guerre à Dieu et le vaincre, c’est s’opposer à Dieu fortement quand Il veut châtier les pécheurs et le fléchir à miséricorde[…]

Toutes ces choses surpassent la nature, dit la sœur Marie. Il n’y a que Dieu seul qui les puisse opérer dans l’âme. 314

§

Un jour Notre Seigneur dit à la sœur Marie : « Les aveugles se sont assemblés pour faire le procès au soleil. Ils disent pour leur raison qu’il a perdu sa lumière et qu’il faut le chasser du ciel parce qu’il occupe inutilement la place qu’il y a.

Je vous prie, ayez pitié d’eux, car ils ne savent ce qu’ils disent, et leur donnez un arrêt favorable.

Oui, dit Notre Seigneur. Je m’en vais terminer ce procès et lui donnerais arrêt en l’excès de mon amour. »

Et en même temps Il prononça l’arrêt en cette sorte : « Je condamne le soleil de donner des yeux aux aveugles pour le connaître et pour voir sa lumière. »315

[…]

Qu’est-ce que ces yeux et qu’est-ce que cette lumière du soleil ?

Ces yeux, répliqua Notre Seigneur, c’est Ma divine grâce que Je donnerai à tous, et la lumière du soleil, c’est la foi.316

§

Elle aime Dieu purement :

L’an 1653, le 29 juillet, la sœur Marie, étant animée extraordinairement, parla en cette sorte : « C’est une chose très certaine que mon esprit s’en est allé au néant et qu’il a épousé la divine Volonté. Ce n’est point une rêverie ni une imagination.317

§

Dans la même inspiration :

Il lui dit : « Vous êtes comme un luth qui ne dit mot si on ne le touche, et qui ne dit que ce qu’on lui fait dire ; c’est la divine volonté qui vous anime, qui vous fait parler et qui vous fait dire ces choses318. »

§

Ses visions sont d’une grande beauté mais parfois obscures elles demandent attention et interprétation. Ce sont des analogies mystiques :

Un jour la Sainte Vierge dit à la sœur Marie : « Allons, ma grande basse [servante], travailler au bois. » La Sainte Vierge avait une faucille, une hache et une échelle dont les échelons étaient de corde, et une petite bêche. Elle la mena à l’entrée du bois où ce n’était qu’épines et broussailles. Elle lui bailla la faucille et lui commanda d’essarter [débroussailler] toutes ces épines. Elle le fait et voyant ses mains ensanglantées, elle dit à la Sainte Vierge : « Ma mère, j’ai mes mains tout ensanglantées. » La Sainte Vierge répartit : « Mon Fils ne m’a jamais demandé de mitaines. » Elle continue, fait la même plainte plusieurs fois et entend la même réponse. En essartant, elle arrive à un bel arbre touffu qui jetait de belles branches de tous côtés. La Sainte Vierge lui dit : « Frappe, ma grande basse, frappe sur ces branches ». Elle frappe, il en sort du sang.

Elle en a frayeur et se veut retirer. La Sainte Vierge lui dit plusieurs fois avec colère : « Frappe, il occupe la terre. » Elle coupa ses branches tout autour, c’est-à-dire celles du bas. Elle lui commanda d’essarter comme devant avec les mêmes plaintes et les mêmes réponses, et elle disait ce verset : Sequar quocumque ierit. Et elles arrivèrent à un bel arbre tout émondé auquel il ne restait qu’une petite branche en haut pour soutenir une colombe. Elle y monta jusqu’en haut par le moyen des estocs qui y étaient restés après avoir été émondés, et ne trouvant rien pour s’appuyer, elle fut saisie de frayeur, mais elle fut changée en colombe et devint aveugle et bien effrayée, ayant peine à s’appuyer et ne sachant [273v] où voler ailleurs, à cause qu’elle était aveugle.319

§

Son exigence :

Eh bien ! Que demandez-vous ? Voulez-vous que je vous donne la méditation ?

Nenni, dit-elle, ce n’est pas cela que je veux.

Voulez-vous la contemplation ?

Non.

Quoi donc ?

Je demande la connaissance de la vérité ! 320

§

Son plus profond désir est de sauver les âmes :

« Mais quand je serais arrivée à la porte du paradis, après que toutes les âmes y seraient entrées jusqu’à la dernière, si on me fermait la porte, que dirais-je ? Je dirais à Dieu sans regret, puisque toutes les âmes sont sauvées : « Je suis en repos, je suis contente qu’on m’envoie au néant »321

§

Sa grande prudence dans la conduite d’autrui due à une longue expérience :

Ce n’est pas à nous de choisir cette voie et nous ne devons pas y entrer de nous-mêmes et par notre mouvement. C’est à Dieu de la choisir pour nous et nous y faire entrer. On n’en doit parler à personne pour la leur enseigner, car si on y fait rentrer des personnes qui n’y soient pas attirées de Dieu, on les met en danger et grand péril de s’égarer et de se perdre. Si quelques-uns en parlent, il faut les écouter. Si on reconnaît à leur langage qu’ils marchent en ce chemin, alors on peut s’en entretenir avec eux. Cette voie est pleine de périls, il y faut craindre la vanité, l’amour-propre, la propre excellence, l’oisiveté et perte de temps.

Il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y ait que ce chemin qui conduise à l’anéantissement de nous-mêmes et à la perfection. Tous chemins vont en ville. Il y a une infinité de voies qui vont à la perfection : les uns y vont par la contemplation, les autres par l’action, les autres par les croix, les autres par d’autres chemins. Chaque âme a sa voie particulière. Il ne faut pas penser que la voie de la contemplation soit la plus excellente.322

§

Sa manière ordinaire de connaître la vérité des choses qui lui sont proposées par diverses personnes n’est pas par intelligence ni par lumière, mais par un goût expérimental qui lui ouvre le fond du cœur dans lequel elle entre…323

§

Sa modestie empreinte de réalisme :

En une autre occasion, Il lui dit encore : « Voulez-vous savoir ce que vous faites et de quoi vous servez à Mon œuvre ? Vous y servez autant qu’un petit enfant de deux ou trois ans qui voyant charger un tonneau dans une charrette, va pousser au bout avec une petite buchette, puis il dit qu’il a mis le tonneau dans la charrette et cependant il a bien plus apporté d’obstacle qu’il n’a servi, incommodant et retardant ceux qui chargeaient le tonneau, parce qu’ils avaient crainte de le blesser. 324

§

Terminons par ce beau passage qui fait songer à Ruusbroec :

L’an 1647, la sœur Marie entendit une voix qui criait en elle : « Audience, audience, ô grande mer d’amour. C’est une petite goutte de rosée qui demande d’être absorbée dans vos ondes, afin de s’y perdre et de ne se retrouver jamais. » Cette voix cria ainsi presque trois jours durant continuellement.

La sœur Marie demanda : « Qu’elle est cette voix ?

C’est la voix, dit Notre Seigneur, d’une âme qui est arrivée à la perfection, laquelle est dépouillée d’elle-même et de tout ce qui n’est point Dieu, et qui est revêtue et embrasée d’amour et de charité, et qui crie par les grands désirs qu’elle a d’être tout à fait transformée et déifiée 325. Mais je la laisse dans ce divin feu afin de la purifier encore davantage.







MADAME GUYON AU CENTRE D’UNE FILIATION MYSTIQUE

Dominique Tronc

Contribution à «Madame Guyon, Mystique et politique à la Cour de Versailles, à l’occasion du troisième centenaire de sa mort», Université de Genève, 23-25 novembre 2017.



J’aborde la notion de filiation mystique vécue chez des spirituels qui se rassemblèrent autour de Monsieur Bertot puis de Madame Guyon (et avant eux autour du P. Chrysostome puis de Monsieur de Bernières). Mon but n’est pas de débattre des idées qui animèrent les adeptes de la quiétude, mais de cerner une expérience singulière en s’appuyant sur leurs témoignages.

La mystique se vit en partageant l’expérience et la vie d’une personne qui montre comment y accéder. Monsieur Bertot et Madame Guyon ne sont pas des génies solitaires, mais ils ont été formés par des mystiques qui les précédaient326 dans une tradition d’origine franciscaine327.

Chaque génération a un père ou une mère auquel tous se réfèrent. Ce sont indifféremment des laïques ou des clercs, des hommes ou des femmes. C’est l’accomplissement mystique qui compte. Pas de passation de pouvoir au sens humain du terme : on n’est pas dans un ordre monastique où l’on élit un prieur. Pas de vote ni de discussion : on est dans le domaine de l’évidence informelle. Le meilleur forme ses amis ; quand il meurt, le plus accompli lui succède, reconnu depuis des années.

Ces passages d’autorité ont eu lieu sans interruption pendant un siècle sur quatre générations.

Je vais citer quelques traces écrites qui relient les figures mystiques centrales avant d’aborder de ce qui se passait entre elles et leurs associé(e)s.

La première figure fut celle du franciscain Chrysostome de Saint-Lô (1594 – 1646) du Tiers ordre Régulier [TOR] directeur du laïc Jean de Bernières (1601 – 1659). Le Père Chrysostome lança l’idée de construire un lieu d’accueil pour y réunir leurs amis et chercher l’oraison. Jean de Bernières le réalisa. Il résume ainsi l’esprit qui animait les visiteurs de l’Ermitage de Caen :

Nous vivons ici en grand repos, liberté, gaieté et obscurité, étant inconnus du monde, et ne nous connaissant pas nous-mêmes. Nous allons vers Dieu sans réflexion, et quelque temps qu’il fasse, bon ou mauvais, nous tâchons de ne nous pas arrêter.328

Bernières et Mère Mectilde (1614-1698), fondatrice des bénédictines du Saint-Sacrement, éditent des écrits de leur « Père » Chrysostome329 difficilement récupérés par cette dernière. S’en détachent leurs propres demandes et les réponses de leur directeur.

Puis Bernières prend la suite en 1646 dans la direction des proches, dont son amie Mectilde. Il dirige, parmi d’autres, Mgr de Laval, futur évêque de Québec, et Jacques Bertot (1620 – 1671).

Le confesseur et « directeur mystique » Bertot porte la tradition normande de l’Ermitage au couvent de Montmartre. Il impressionne l’Abbesse330 et attire des gens de la Cour331.

Plusieurs ouvrages dévoilent les liens qui unissent entre eux Chrysostome, Bernières, Mectilde, Bertot332. Mectilde écrit à Bernières :

De l’Hermitage du Saint Sacrement, le 30 juillet 1645.

Monsieur,

Notre bon Monsieur Bertot nous a quittés avec joie pour satisfaire à vos ordres et nous l’avons laissé aller avec douleur. Son absence nous a touchées, et je crois que notre Seigneur veut bien que nous en ayons du sentiment, puisqu’Il nous a donné à toutes tant de grâce par son moyen, et que nous pouvons dire dans la vérité qu’il a renouvelé tout ce pauvre petit monastère et fait renaître la grâce de ferveur dans les esprits et le désir de la sainte perfection. Je ne vous puis dire le bien qu’il a fait et la nécessité où nous étions toutes de son secours […], mais je dois vous donner avis qu’il s’est fort fatigué et qu’il a besoin de repos et de rafraîchissement. Il a été fort travaillé céans, parlant [sans] cesse, fait plusieurs courses à Paris en carrosse dans les ardeurs d’un chaud très grand. Il ne songe point à se conserver. Mais maintenant, il ne vit plus pour lui. Dieu le fait vivre pour nous et pour beaucoup d’autres. Il nous est donc permis de nous intéresser de sa santé et de vous supplier de le bien faire reposer. […]

Parmi les fidèles, une jeune veuve de Montargis, Madame Guyon, fait le récit de sa première rencontre :

... Je dirai que la petite vérole m’avait si fort gâté un œil que je craignais de le perdre tout à fait, je demandai d’aller à Paris pour m’en faire traiter, bien moins cependant pour cela que pour voir M. B[ertot] que la M[ère] G[ranger] m’avait depuis peu donné pour directeur et qui était un homme d’une profonde lumière. Il faut que je rapporte par quelle providence je le connus la première fois. Il était venu pour la M[ère] G[ranger]. Elle souhaitait fort que je le visse ; sitôt qu’il fut arrivé, elle me le fit savoir, mais comme j’étais à la campagne, je ne trouvais nul moyen d’y aller. Tout à coup mon mari me dit d’aller coucher à la ville pour quérir quelque chose et donner quelque ordre. Il devait m’envoyer quérir le lendemain, mais ces effroyables vents de la St Matthieu vinrent cette nuit-là [tempête attestée du 21 septembre 1671] de sorte que le dommage qu’ils causèrent m’empêcha de retourner de trois jours. Comme j’entendis la nuit l’impétuosité de ce vent, je jugeai qu’il me serait impossible d’aller aux Bénédictines ce jour-là et que je ne verrais point M. Bertot. Lorsqu’il fut temps d’aller, le vent s’apaisa tout à coup, et il m’arriva encore une providence qui me le fit voir une seconde fois.333

Mais sa direction fut rude et resta un temps incomprise. Plus tard « sa fille spirituelle » rassemblera ses écrits. Le directeur Mistique ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guion [...] paraîtra en 1726. Un bref résumé de sa vie ainsi qu’un témoignage sur la fidélité de disciples figurent dans l’Avertissement :

« Monsieur Bertot... natif de Coutances... grand ami de... Jean [5] de Bernières... s’appliqua à diriger les âmes dans plusieurs communautés de Religieuses... [à diriger] plusieurs personnes... engagées dans des charges importantes tant à la Cour qu’à la guerre... Il continua cet exercice jusqu’au temps que la providence l’attacha à la direction des Religieuses Bénédictines de l’abbaye de Montmartre proche [de] Paris, où il est resté dans cet emploi environ douze ans [6] jusqu’à sa mort... [au] commencement de mars 1681 après une longue maladie de langueur.... [7] [Il fut] enterré dans l’Eglise de Montmartre au côté droit en entrant. Les personnes... ont toujours conservé un si grand respect [qu’elles] allaient souvent à son tombeau pour y offrir leurs prières.334

Madame Guyon se référera à son autorité jusqu’à la fin de sa vie :

« Je vous envoie une lettre d’un grand serviteur de Dieu qui est mort il y a plusieurs années. Il était ami de Monsieur de Bernières, et il a été mon Directeur dans ma jeunesse. »335

Par ailleurs elle avait fait des vœux secrets typiquement franciscains :

« J’avais fait cinq vœux en ce pays-là [à Gex]. Le premier de chasteté que j’avais déjà fait sitôt que je fus veuve, celui de pauvreté, c’est pourquoi je me suis dépouillée de tous mes biens, je n’ai jamais confié ceci à qui que ce soit. Le troisième d’une obéissance aveugle à l’extérieur à toutes les providences ou à ce qui me serait marqué par mes supérieurs ou directeurs, et au-dedans d’une totale dépendance de la grâce. Le quatrième d’un attachement inviolable à la sainte Église. Le cinquième était un culte particulier à l’enfance de Jésus-Christ plus intérieur qu’extérieur. »336

J’achève ici cet aperçu de liens entre Chrysostome, Bernières, Bertot, Guyon. Les indices écrits qui nous sont parvenus sont rares puisqu’il n’y a aucune élection humaine. Les mystiques répugnent à attester dans leurs écrits, sinon incidemment, d’une autorité de direction qui se doit d’être intérieure.

De plus l’environnement « externe » est hostile aux mystiques tout au long du siècle337 en commençant par les « objections » faites par des docteurs parisiens à Rouen lisant la troisième partie de la Reigle parue en 1609 du mystique franciscain capucin Canfield338. Mectilde eut de nombreuses difficultés pour récupérer les écrits de Chrysostome des mains de ses confrères du Tiers Ordre Régulier.

« Je tente toutes les fortunes et voies possibles pour tirer quelque chose de si dignes écrits, mais c’est temps perdu que d’y faire effort. Le Père provincial et les autres ont arrêté et protesté que jamais ils ne laisseront sortir d’entre leurs mains ces écrits sans être corrigés d’un esprit conforme à leurs sentiments et disent qu’ils sont tout pleins d’erreurs...339

« J’ai bien de l’appréhension qu’on ne les brûle, car ils sont entre les mains de ses persécuteurs. »340

Elle livre un aperçu sur la faible considération dont le P. Chrysostome jouissait auprès de ses « responsables » :

« La sainte abjection l’a accompagné à la vie et à la mort et même après la mort, il est demeuré abject dans l’esprit de quelques-uns de l’ordre. Frère Jean [Aumont] m’a mandé ceci et dit qu’il ne faut point réveiller sa mémoire dans leur maison pour le respect de quatre ou cinq [...]  

Plus tard, en l’année fatidique 1694 qui amorce la descente aux enfers de Madame Guyon, le P. Paulin, responsable du même Tiers Ordre Régulier, fera une déposition « mitigée » sur Madame Guyon341.

La notion de filiation reste vivante au XVIIIe siècle. Une demoiselle suisse demande qui succède à Madame Guyon :

« M. de Marçais m’a conté qu’une demoiselle en Suisse qui était intérieure, et dont j’ai oublié le nom, avait écrit en France pour s’informer si Madame Guyon n’avait point laissé de successeur dans l’état apostolique qui assistât d’autres personnes intérieures. Sur quoi après avoir écrit en bien des endroits, elle avait enfin reçu avis qu’il existait effectivement une personne pareille, savoir la duchesse de Grammont ; mais qu’elle se tenait fort cachée quant à son extérieur, à cause du grand nombre d’ennemis qui persécutaient la vie intérieure. »342

Une pièce atteste de la filiation Bernières-Bertot-Guyon perçue à la fin du siècle des Lumières. Elle concerne Jean-Philippe Dutoit (1721-1793). Ce pasteur de Morges près de Lausanne, deuxième éditeur de l’œuvre de Mme Guyon après Pierre Poiret, eut un certain rayonnement. Il se lia au comte Frédéric de Fleischbein (1700-1774) dont la femme Pétronille d’Echweiler (1682-1740) fréquenta brièvement Blois, lieu de retraite de Madame Guyon343.

Il s’agit du procès-verbal de saisie opérée par les calvinistes de Berne par l’intermédiaire de leur représentant à Lausanne344 :

« 6e janvier 1769. Nous David Jenner, ci-devant colonel en Hollande, actuellement baillif de Lausanne, au nom et de la part de Leurs Excellences nos Souverains Seigneurs de la ville et république de Berne, savoir faisons qu’en conséquence des ordres que nous aurions reçus de L.L. E.E[xcellenc]es du Sénat, en date du 5e du courant, pour enlever à Monsieur le Ministre Dutoit de Moudon, tous ses papiers, écrits et livres, faire inventaire des dits et en procurer ensuite l’expédition [...]

Lequel Mr Dutoit ayant ouï la notification des ordres reçus, aurait d’abord manifesté qu’il est bien dans l’intention de s’y conformer en toute soumission et sincérité, ainsi que le porte l’inventaire suivant :

La Bible de Madame Guyon et plusieurs de ses ouvrages, mais non pas tous.

Monsieur de Bernières soit le Chrétien intérieur.

La Théologie du Cœur [de Poiret].

Le Directeur mystique de Monsieur Bertot.

La liste se termine sur trois “classiques”, Teresa, Luther, l’Imitation.

Je viens d’établir quelques liens internes à la filiation et de suggérer un contexte externe délicat. La (re)découverte345 d’une filiation dont la colonne vertébrale passe du franciscain Chrysostome de Saint-Lô à monsieur de Bernières, puis à Monsieur Bertot, enfin à Madame Guyon. Les amis de l’Ermitage de Caen précèdent et donnent naissance au cercle quiétiste parisien animé par monsieur Bertot et repris par madame Guyon et Fénelon. Hommes et femmes qui bénéficient d’une lignée procédant des aînés aux cadets s’assemblent à leurs contemporains mystiques de même génération. La filiation devient un arbre touffu, voire lié à des arbres voisins346.

§

Approchons leur vécu. Chaque père ou mère spirituelle est l’objet d’une vénération et d’une fidélité absolue. C’est évident pour Madame Guyon que ses proches avaient pourtant tout intérêt à abandonner. Pendant qu’elle affronte le pouvoir et les prisons, Fénelon saborde sa carrière à la Cour tandis que les grandes familles des Beauvilliers et des Chevreuse la défendent discrètement.

Seul un rayonnement extraordinaire permet d’expliquer l’attirance puis la fidélité des visiteurs et des amis sur vingt ans (1694 procès d’Issy – 1712/1714 décès des ducs). C’est ce que ressent Madame Guyon quand elle affirme qu’il y a passage de la grâce à travers sa personne vers celui qui vient la voir. Ce groupe a donc une spécificité plus étonnante que son organisation sociale autour d’un maître spirituel. Laquelle ?

Le phénomène se reproduit à chaque génération. Voici ce que ressentaient les auditeurs de Chrysostome parlant de Dieu :

Quand il en parlait [du Sauveur], c’était avec des ardeurs qui mettaient le feu divin de tous côtés ; particulièrement quand il faisait des conférences de l’anéantissement d’un Dieu dans le mystère de l’Incarnation, il paraissait comme tout accablé sous les grandes lumières qu’il recevait, et qu’il communiquait [notre soulignement] avec des effets extraordinaires de grâce347.

Aussi la fidélité de Bernières à son père spirituel fut indéfectible comme le montre l’émotion traduite dans une lettre à Mère Mectilde :

Ce me serait grande consolation que […] nous puissions parler de ce que nous avons ouï dire à notre bon Père […] puisque Dieu nous a si étroitement unis que de nous faire enfants d’un même Père […] Savez-vous bien que son seul souvenir remet mon âme dans la présence de Dieu ?348.

Ils ont commencé à prendre conscience d’un partage de la grâce chez Bernières quand ses amis priaient ensemble à l’Ermitage :

Adieu, ma très chère sœur, Messieurs de Bernières et de Rocquelay vous saluent ; ils font des merveilles dans leur ermitage : ils sont quelquefois plus de quinze ermites ; ils demandent souvent de vos nouvelles. Si notre bonne mère Prieure voulait écrire de ses dispositions à Monsieur de Bernières, elle en aurait consolation, car Dieu lui donne des lumières prodigieuses sur l’état du saint et parfait anéantissement.349

Bernières constate combien la grâce est active parmi eux. Il utilise le verbe « communiquer » :

Je connais clairement que l’établissement de l’Ermitage est par l’ordre de Dieu, et notre bon Père ne l’a pas fait bâtir par hasard. La grâce d’oraison s’y communique facilement à ceux qui y demeurent, et on ne peut dire comment cela se fait, sinon que Dieu le fait.350

Boudon (1624-1702) témoigne :

Non seulement il était consulté par les laïques, mais par les ecclésiastiques et les religieux. Grand nombre de ces derniers ont fait des retraites dans sa maison avec la permission de leur supérieur […] C’était une chose admirable de voir le changement que l’on remarquait dans les personnes qui avaient des liaisons spéciales avec lui.351

Bernières attend l’inspiration de l’Esprit pour parler :

Ses paroles étaient pleines d’une force divine, et gagnaient les cœurs à Dieu. L’ayant un jour averti de quelques manquements d’une personne qui dépendait de lui, je remarquai qu’il fut assez longtemps sans lui en rien dire ; et j’admirais après cela, que lui ayant fait voir ses défauts en très peu de paroles, et pour ainsi parler, sans presque lui rien dire, cette personne demeura tout à coup comme terrassée sous le poids du peu de paroles qu’il lui avait dites, et apporta le remède à ces manquements. Je vis bien qu’il avait tardé à l’avertir, non pas par aucune négligence, mais attendant le mouvement de l’esprit de Dieu qui agissait en lui. S’il lui eût parlé plus tôt, il l’eût fait en homme, et ses avis n’eussent pas eu les effets qui arrivèrent. 352

Avec Bertot on passe à un deuxième degré dans la diffusion de la grâce puisqu’il a la hardiesse d’affirmer que sa prière pouvait faire partager aux autres ses états mystiques pendant qu’il officiait à la messe. Il ne fait pas que rayonner : il porte autrui dans sa prière et fait partager ses états mystiques.

« Demeurons ainsi, j’y veux demeurer avec vous et je vais commencer aujourd’hui à la sainte messe. Je suis sûr que si je suis une fois élevé à l’autel, c’est-à-dire que si j’entre dans cette unité divine [249], je vous attirerai353, vous et bien d’autres qui ne font qu’attendre. Et tous ensemble, n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu seul, unis à Son Unité, ou plutôt n’étant qu’une unité en Lui seul, par Lui et pour Lui. Adieu en Dieu. » 354

Il offrit à Mme Guyon de transformer leur relation en moments de silence où il pourrait lui communiquer la grâce de cœur à cœur et lui apprend comment s’y prêter :

[240] « Puisque vous voulez bien que je vous nomme ma Fille, que vous l’êtes en effet devant Dieu qui l’a ainsi disposé, vous souffrirez que je vous traite en cette qualité, vous donnant ce que j’estime le plus, qui est un profond silence. Ainsi lorsque vous avez peut-être pensé que je vous oublierais, c’était pour lorsque je pensais le plus à votre perfection. Mais je vous parlerai toujours très peu : je crois que le temps de vous parler est passé, et que celui de vous entretenir en paix et en silence est arrivé.355

Après sa mort arrivée tôt en 1681, Madame Guyon va faire ses propres découvertes et va analyser ce qui se passe pendant ses transmissions. Ces écrits sont uniques à notre connaissance, car si ce charisme est bien connu hors du christianisme, chez les soufis, en Inde, dans l’orthodoxie (saint Seraphim de Sarov), il est moins connu dans le monde catholique centré autour de Jésus seul médiateur, la grâce passant par lui et les sacrements suppléant à son absence physique.

Peut-être Madame Guyon avait-elle expérimenté la transmission chez l’évêque Ripa, proche du Cardinal Petrucci, car elle était probablement pratiquée chez Molinos par des quiétistes italiens.

Rentrée en France, elle accueille une foule de visiteurs à Grenoble. C’est à ce moment que les autorités ecclésiastiques commencent à trouver qu’elle empiète sur leur domaine et qu’il faut s’en débarrasser.

A Paris elle reprend le cercle de Bertot et noue des amitiés qui résisteront à tout : ducs et duchesses de Chevreuse et Beauvilliers, Fénelon, etc. Pour eux la transmission de la grâce par Madame Guyon est une évidence. Une fois éprouvée, cette expérience ne peut être reniée. Si quelqu’un vient voir Madame Guyon, et s’assoit auprès d’elle en silence, c’est pour ressentir la présence divine : elle transmet l’expérience mystique aux autres sans qu’il y ait d’ascétisme ou d’effort.

Tout se passait avec simplicité, parfois en plaisantant entre « michelins » — saint Michel n’était-il particulièrement apprécié de François d’Assise ?

La petite Cécile sera intendante des bouquets de la chapelle des Michelins, elle doit abattre l’oreille droite de Baraquin [le Diable]. Le chien doit lui mordre la gauche, la sœur Ursule lui écraser le bout de la queue. Tous les autres enfants ensemble lui écraseront le corps. S B [Fénelon], un autre et moi lui écraserons la tête. [...] Voyez d’un autre côté une petite d[uchesse] étourdie qui voulait sauter sur lui à pieds joints ; elle aurait fait une belle culbute si notre patron [saint Michel] ne l’avait soutenue par-derrière. Allons, courage, montez peu à peu !356

Nous avons le récit de ce qui se passait plus tard à Blois vingt ans après. Outre une ouverture d’esprit œcuménique, la « dame directrice » avait atteint l’ultime simplicité :

Elle vivait avec ces Anglais [des Écossais] comme une mère avec ses enfants. […] Souvent ils se disputaient [à propos de politique : le premier soulèvement écossais des jacobites eut lieu en 1715], se brouillaient ; dans ces occasions elle les ramenait par sa douceur et les engageait à céder [...] Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans que, laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d’elle.

Quand on lui apportait le Saint Sacrement, ils se tenaient rassemblés dans son appartement, et à l’arrivée du prêtre, cachés derrière le rideau du lit, qu’on avait soin de fermer, pour qu’ils ne fussent pas vus parce qu’ils étaient protestants, ils s’agenouillaient [43] et étaient dans un délectable et profond recueillement, chacun selon le degré de son avancement, souvent aussi dans des souffrances assorties à leur état. 357

C’est cette expérience qui est centrale, elle est le fondement du lien entre Madame Guyon et ses disciples : ils sont attachés à une personne qui répand la grâce. C’est le cas envers elle, mais nous l’avons vu chez Chrysostome, puis Bernières, puis Bertot : autrement dit, à chaque génération, un saint se manifeste, à travers lequel on ressent la présence divine. C’est là-dessus que se joue la succession à chaque génération. C’est ce qui explique la vénération et la fidélité de l’entourage.

Il y a une condition pour que la transmission ait lieu : il faut que le mystique soit dans l’état « apostolique » (dans un état identique à celui des premiers Apôtres), il faut être tellement vide que l’on devient un passage pour la grâce : pas de pouvoir personnel, Dieu fait ce qu’il veut. Ce n’est pas la réussite d’une personne humaine, mais une fonction dans laquelle on ne se met pas volontairement soi-même :

C’est un abus dans la vie spirituelle, et qui s’y glisse même dès son commencement, que de vouloir travailler pour les autres à contretemps. [...] Il ne se faut point porter à aider le prochain tant qu’on le désire et que l’on n’a pas l’expérience des choses divines et la vocation. Il faut être établi auparavant dans la vie intérieure.358

Il faut être missionné par le père ou la mère spirituels. Madame Guyon écrit à Fénelon qu’elle a reçu de Bertot son « esprit directeur » :

Il m’est venu dans l’esprit ce matin que M. B[ertot] a, en mourant, m’ayant laissé son esprit directeur pour ses enfants, ceux qui se sont égarés aussi bien que ceux qui sont restés fidèles n’auront la communication de cet esprit que par moi, mais dans votre union. [...] Le père en Christ ne se sert pas seulement de la force de la parole, mais de la substance de son âme qui n’est autre que cette communication centrale du Verbe que le seul Père des esprits peut communiquer à Ses enfants, et comme cette communication du Verbe dans l’âme est l’opération de la paternité divine et la marque de l’adoption des enfants, c’est aussi la preuve de la paternité spirituelle qui communique à tous en substance ce qui leur est nécessaire sans savoir comme cela se fait. [...] Cette communication se reçoit de tous, quoiqu’elle ne se sente pas également de tous359.

Fénelon était son disciple le plus cher, et un jour où elle était malade et croyait mourir, elle lui écrivit pour lui léguer la direction de leur groupe spirituel et la possibilité de transmettre la grâce :

« Je vous laisse l’esprit directeur que Dieu m’a donné. »360

Il faisait des réunions avec ses amis mystiques à Cambrai et rapporte qu’il y ressent la présence de Madame Guyon. Autrement dit, en union avec Madame Guyon. Fénelon partage son état mystique avec son visiteur :

Je sens un très grand goût à me taire et à causer avec Ma.361 Il me semble que son âme entre dans la mienne et que nous ne sommes tous deux qu’un avec vous en Dieu. Nous sommes assez souvent le soir comme de petits enfants ensemble, et vous y êtes aussi [f ° 19v °] quoique vous soyez loin de nous.362

Il confirme l’explication qu’en avait donnée Madame Guyon à propos de Mathieu 18, 20 :

« Ils se parlent plus du cœur que de la bouche ; et l’éloignement des lieux n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement deux ou trois personnes de cette sorte dans une si grande unité, qu’elles se trouvent perdues en Dieu jusqu’à ne pouvoir plus se distinguer […]

Ces unions ont encore une autre qualité, qui est qu’elles n’embarrassent ni n’occupent point, l’esprit demeurant aussi dégagé et aussi vide d’image que s’il n’y en avait point363. […]

Dieu fait aussi des unions de filiations, liant certaines âmes à d’autres comme à leurs parents de grâce [...] »364

Madame Guyon se percevait comme un canal qui donne passage à la grâce en l’absence de toute volonté propre, sans intentionnalité personnelle, dans la « passiveté » totale, dans l’extrême soumission à Dieu :

« Quand l’âme a perdu et tout pouvoir propre et toute répugnance à être mue et agie selon la volonté du Seigneur, alors Il la fait agir comme Il veut […] Quand Dieu la meut vers un cœur, à moins que ce cœur ne refusât lui-même la grâce que Dieu veut lui communiquer, ou qu’il ne fût mal disposé par trop d’activité, il reçoit immanquablement une paix profonde […] Quelquefois plusieurs personnes reçoivent dans le même temps l’écoulement de ces eaux de grâce 365. »

Elle insiste sur le fait qu’il n’y a aucun pouvoir personnel, que seule une âme anéantie peut laisser passer la grâce :

Vous m’avez demandé comment se faisait l’union du cœur ? Je vous dirai que l’âme étant entièrement affranchie de tout penchant, de toute inclination et de toute amitié naturelle, Dieu remue le cœur comme il Lui plaît ; et saisissant l’âme par un plus fort recueillement, Il fait pencher le cœur vers une personne. Si cette personne est disposée, elle doit aussi éprouver au-dedans d’elle-même une espèce de recueillement et quelque chose qui incline son cœur [...] Cela ne dépend point de notre volonté : mais Dieu seul l’opère dans l’âme, quand et comme il Lui plaît, et souvent lorsqu’on y pense le moins. Tous nos efforts ne pourraient nous donner cette disposition ; au contraire notre activité ne servirait qu’à l’empêcher.366

On a les témoignages directs de Madame Guyon qui est la première à avoir analysé ce qui se passe dans cette transmission. Elle n’a lieu que si la personne a atteint l’état apostolique :

Dieu la pousse quelquefois fortement à désirer le salut et la perfection de certaines âmes, en sorte qu’elle donnerait sa vie pour les faire correspondre à Dieu dans toute l’étendue de Ses desseins sur elles - mais sans soin ni souci, sans y mettre rien du sien, servant de pur instrument en la main de Dieu, qui donne telle pente et telle activité qu’il Lui plaît, mais activité dans un parfait repos, sans sortir de Lui-même, sans nulle pente propre, quoique la pente soit quelquefois infinie : car l’âme parvenue à l’entière désappropriation et propre à s’écouler en Dieu, y étant abîmée, est comme une eau fluide qui ne peut être fixée, mais qui s’écoule sans cesse suivant la pente qui lui est donnée.

Elle comprend qu’elle participe à la qualité communicable de Dieu et qu’elle ne vit et ne subsiste que pour se répandre. Plus elle s’écoule, plus elle est pleine sans nulle plénitude propre, mais de la plénitude de Dieu en Lui qui se communique à tous les êtres et qui entraîne avec Lui ceux qu’Il a abîmés en Lui. C’est Lui qui leur donne toute pente. Cependant cela se fait sans s’en occuper, sans y penser, sans se soucier du succès : tout périrait et se renverserait que l’âme n’en soit point touchée, ce qui n’empêche pas qu’elle ne souffre les biens ou les maux des âmes qui lui sont unies pour recevoir ses communications367.

Si elle voulait se communiquer ou d’un autre côté que Dieu ne le fait ou dans un temps qu’Il ne la meut pas, cela serait entièrement inutile et dessécherait plutôt le cœur que de lui communiquer la vie. Mais quand Dieu la meut vers un cœur, à moins que ce cœur ne refusât lui-même la grâce que Dieu veut lui communiquer ou qu’il ne fût mal disposé par trop d’activité, il reçoit immanquablement une paix profonde et même quelquefois savoureuse, qui est la plus forte marque de la communication. [...]

Mais, dira-t-on, comment est-ce que cette âme peut discerner quand et à qui Dieu veut qu’elle se communique ? Cela se discerne parce que l’âme sent un surcroît de plénitude qu’elle sent bien n’être pas pour elle. [...] L’âme ne peut non plus ignorer pour qui Dieu la remplit de la sorte, parce qu’il penche son cœur du côté qu’il veut qu’elle se communique, comme on met un tuyau dans un jardin pour faire arroser l’endroit que l’on veut arroser et cet endroit-là seulement demeure arrosé. Quelquefois plusieurs personnes reçoivent dans le même temps l’écoulement de ces eaux de grâce, et cela à proportion que leur capacité est plus ou moins étendue, leur activité moindre et leur passiveté plus grande.368

Madame Guyon se livre le plus directement dans ses commentaires aux « Autorités » mystiques qu’elle invoque dans les Justifications assemblées avec Fénelon en 1694. Ses comparaisons sont très directes :

Comme on voit un fer touché de l’aimant attirer d’autres fers, aussi une âme en qui Dieu habite de la sorte, attire les autres âmes par une vertu secrète ; de sorte qu’il suffit de l’approcher pour être mis en oraison et en recueillement. C’est ce qui fait que sitôt qu’on s’approche d’elle, on a plus envie de se taire que de parler, et Dieu se sert de ce moyen pour se communiquer aux âmes : marque de la pureté de ces unions et affection.369

Comme elle est vide de soi, elle ne se communique plus elle-même, ni rien d’elle, mais l’image et la grâce son divin époux. D’où vient que le souvenir de ces personnes, bien loin d’imprimer leur image impure, porte d’abord à Dieu et recueille en lui [...] Il faut remarquer de plus que ce n’est par aucun signe extérieur qu’elle recueille les autres, mais comme elle est arrivée dans le Centre, l’impression se fait par le dedans, comme si c’était Dieu même, sans qu’il en paraisse rien au-dehors ; par ce que cette âme en sortant d’elle-même a outrepassé son propre fonds pour se perdre en Dieu au-delà d’elle-même : elle ne laisse donc aucune trace ni cette idée d’elle, mais de Dieu, son amour et sa vie.370

Elle ne se livre pas à des effusions mystiques personnelles, mais éclaire une communication qui s’élargit progressivement:

Dieu Se communique à toutes les créatures, mais il ne Se communique avec autant d’abondances que de délectation sinon dans les âmes bien anéanties, parce qu’elles ne résistent plus et que, Dieu étant Lui-même leur fond, Il Se reçoit Lui-même en Lui-même. De là vient que la communication que nous recevons de Dieu même au-dedans est d’autant plus sensible qu’elle est plus resserrée ; et par la même raison, elle est d’autant plus insensible qu’elle est plus immense, car Dieu ne Se communique point autrement par Lui-même que par le néant, puisque c’est la même chose. [...]

Comme cette communication demeure mystérieuse pour nous tous, elle s’en remet aux exemples attestés dans l’écrit sacré:

Un exemple de ceci est en saint Jean Baptiste : les premières communications se firent par voie d’approche ; et ce fut la raison pourquoi la Sainte Vierge demeura trois mois chez Sainte Élisabeth, après quoi Saint Jean n’eut plus besoin de s’approcher de Jésus-Christ dès qu’il fut fort. Aussi n’eut-il point d’empressement pour Le voir, quoique, lorsqu’ils s’approchèrent, il y eut encore un renouvellement de grâce.371

Le modèle primordial est le Christ lui-même qui crie « si quelqu’un a soif, qu’il vienne, et des fleuves de paix couleront dans ses entrailles » (Jean 7,37 – 38). Madame Guyon et ses proches pensent revivre l’expérience des Apôtres qui recevait directement la grâce du Christ et l’ont retransmise à leurs disciples. Elle affirme donc que la grâce peut passer par une personne humaine. Pour Bossuet et les juges, affirmer cela est impossible à tolérer et interprété comme une affirmation de soi. En réalité pour elle, il ne s’agit en rien de la passation de pouvoir, de la réussite d’une personne, mais d’une fonction imposée par le divin. Les mauvais traitements et la violence verbale des interrogatoires vont lui donner un moment de doute sur elle-même : elle se demande s’il ne faut pas obéir à l’autorité de l’Eglise incarnée par Bossuet. Puis c’est le tournant, elle se rend compte qu’elle ne peut pas nier sa propre expérience. Elle prend la décision de défendre son expérience. Bossuet va dès lors se heurter à un mur.

Une lettre adressée à Marie-Anne de Mortemart372 raconte comment elle est passée du règne du dogme à l’affirmation de l’expérience :

[...] Qu’un médecin veuille persuader à un malade qu’il ne souffre pas une certaine douleur dont il est fort travaillé, parce que lui, médecin, et d’autres ne la sentent pas, le malade qui sent toujours la même douleur, n’en est pas plus persuadé [...] Tout ce que je puis faire donc, est de croire que je m’en exprime mal, qu’elles ne sont pas d’un tel ordre de certaines maladies, que je donne à ces douleurs des noms qu’elles ne doivent pas avoir ; mais de me convaincre que je ne les sens pas, cela est impossible : elles se font trop sentir. [...]

Je ne dirai donc pas, si vous voulez, que tels et tels sont intérieurs, je ne dirai pas que je le sois moi-même, mais je sais bien que j’ai fait un chemin où j’ai trouvé bons ces passages. Je ne dispute ni du nom des villes que j’ai trouvées en mon chemin, ni de leur situation, ni même de leur structure, mais il est certain que j’y ai passé. J’ai éprouvé telles et telles douleurs, telles et telles syncopes, je ne dispute ni de leur nom ni de leur origine, mais je sais que je les ai souffertes et n’en puis douter. Il me semble qu’on ne peut pas se dispenser, pour savoir la vérité, de soutenir la vérité de l’expérience intérieure, qui est réelle. Pour les noms, les termes, les dogmes qu’ils veulent introduire, plions et soumettons, mais dans le fait de l’expérience de bonnes et de saintes âmes, peut-on dire, avec vérité ni même avec honneur le contraire ? Et quand nous serions assez lâches pour le faire, l’expérience de tant de saintes âmes qui ont précédé, qui sont à présent et qui viendront après nous, ne rendrait-elle pas témoignage contre nous ? Tout passe, la force, les préjugés, etc., mais la vérité demeure.] Il me paraît de conséquence de séparer ici le dogme, je ne sais si je dis bien, du fait de l’expérience.

Voilà délivré un texte fondamental à la modernité étonnante après lequel Madame Guyon ne retournera plus en arrière.

À sa mort, si nous ne savons pas qui lui a succédé, notons que « la petite duchesse », destinataire du texte précédent, reçut la permission d’être en silence auprès des gens :

« … Cependant, lorsqu’elle veut être en silence avec vous, faites-le par petitesse et ne vous prévenez pas contre. Dieu pourrait accorder à votre petitesse ce qu’Il ne donnerait pas pour la personne. Lorsque Dieu s’est servi autrefois de moi pour ces sortes de choses, j’ai toujours cru qu’Il l’accordait à l’humilité et à la petitesse des autres plutôt qu’à moi… »373

Marie-Anne de Mortemart pouvait donc transmettre la grâce dans un cœur à cœur374. Par contre, c’est Madame de Grammont qui est nommée par des Écossais375 (et la même en réponse à la demande précédemment citée d’une demoiselle suisse). Nous avons donc le choix entre deux dames qui vécurent jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Coopéraient-elles et furent-elles aidées376 ? L’étude des filiations en France, écossaise, hollandaise, suisse et germanique (Fleischbein, Dutoit, etc.) ne fournit pas de figure mystiquement comparable à Guyon ou Fénelon 377. Peut-être le secret obligé fut-il trop bien gardé.

§

Dans un siècle où la liberté n’est pas une norme, vivre sa vérité au milieu des pouvoirs, mais sans revendiquer de pouvoir, mène à des conflits avec les tenants de l’autorité. Son vécu mystique et sa fonction de transmission de la grâce ont amené Madame Guyon à accomplir trois « exploits » :

1) résister au pouvoir royal : Guyon a l’occasion d’introduire l’oraison à Saint-Cyr ; elle a de l’influence sur les Grands et surtout sur Fénelon. Madame de Maintenon ne peut tolérer son intrusion à Saint-Cyr et déclenche la colère du roi. Prétexte : les idées quiétistes. Le roi s’inquiète, car à l’époque il n’y a pas de liberté de conscience et il a la mainmise sur les idées.

Il faut dire que Madame Guyon a amené la mystique dans un lieu inapproprié : la Cour de Louis XIV. Elle s’est trouvée mêlée à des problèmes de pouvoir de par son ascendant sur les Ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, sur Fénelon devenu précepteur du Dauphin, donnant ainsi beaucoup d’espoir au parti dévot. Cette entreprise était naïve puisqu’il s’agissait de vivre les valeurs de l’amour chrétien au milieu de la Cour, mais elle portait un espoir immense : mettre sur le trône du « Roi Très Chrétien378 » un dauphin qui aurait gouverné en incarnant ses valeurs.

2) résister au pouvoir religieux : les clercs se dissimulent derrière un débat d’idées à propos de l’oraison passive. En réalité, ils ne supportent pas d’être éliminés de la relation avec Dieu : la transmission directe de la grâce leur enlève leur statut d’intermédiaires entre Dieu et les chrétiens.

3) résister au pouvoir masculin : cette femme ose affirmer son expérience alors qu’elle est sous tutelle d’hommes qui savent mieux qu’elle ce qu’elle doit ressentir ou penser. Elle se bat en particulier pour avoir un confesseur qui la respecte.

En conclusion, son vécu mystique et sa fonction de transmission de la grâce ont amené Madame Guyon à accomplir trois choix évidents à notre époque, mais inacceptables au XVIIe siècle :

1) En tant que femme, elle a refusé le pouvoir masculin.

2) En tant qu’individu, elle a refusé le principe d’autorité en restant ferme dans sa liberté de conscience.

3) En tant que mystique, elle a établi le primat à l’expérience sur le dogme.

Voilà trois révolutions accomplies par une petite femme qui ne voulait qu’être plongée en Dieu.



L’École du cœur, madame Guyon au centre d’une Filiation mystique


Franciscains du Tiers Ordre Régulier

|

Chrysost. de Saint-Lô Marie des Vallées Marie de l’Incarn.

1594-1646 1590-1656 1599-1672

||

Jean de Bernières 1602-1659 & Jourdaine 1596-1670

|| | |

Jacques Bertot Mère Mectilde du StSt Mgr de Laval

1620-1671 1614-1698 -1708

||

Madame Guyon 1647-1717 & François de Fénelon 1651-1715

Cis || Trans

France Écosse Angleterre Hollande Suisse

Amérique Allemagne

| | | |

Chevreuse/s J & G Garden Poiret Pétron.d’E.

-1712 & -1732 -1699 & -1733 1646-1719 1682-1740

Beauvillier/s Ramsay Metternich Fleischbein

-1714 & -1733 1686-1743 -1731 1700-1774

Dupuy Forbes 16th Tersteegen Klinckow.

- >1737 1689-1761 1697-1769 -1774

Marquis de F. Deskford Dutoit

1688-1746 1690-1764 1721-1793

Mortemart Wesley Fabr. de Zelle

1665-1750 1703-1791 -1793

Upham Pétillet

1799-1872 Langalerie

Quakers B. Constant

Methodists



Trois branches d’un « delta spirituel » se constituent à partir d’un premier « nœud » animé par Jean de Bernières sous la direction de « notre bon père Chrysostome » :

-- Un second Ermitage est fondé à Québec par Mgr de Laval.

-- Les Bénédictines du Saint-Sacrement sont ‘filles’ de Mère Mectilde.

-- Le Cercle de la Quiétude créé par Monsieur Bertot à Montmartre est repris par Madame Guyon.

L’influence devient européenne379. Disciples « cis » et « trans » sont distribués verticalement suivant leur chronologie, horizontalement selon quatre zones géographiques. Les relations croisées sont omises. Pour des couples ou des frères, les dates de décès sont séparées par ‘&’.

Madame Guyon at the centre of a mystical transmission

Dominique Tronc

Contribution by Dominique Tronc to 'Madame Guyon, Mystique et politique à la Cour de Versailles, (Madame Guyon, Mysticism and Politics at the Court of Versailles, to mark the three hundredth anniversary of her death University of Geneva, 23-25 November 2017



I examine here the notion that a mystical transmission was experienced by those living a devout life who gathered round M. Bertot and then Madame Guyon (and before them, round Fr. Chrysostome and then M. de Bernières). I do not aim to discuss the ideas which inspired the adepts of quietude, but to identify their particular experience on the basis of some of the texts available.

At the centre of a Transmission? A mystic does not live by relying on books, but by sharing the experience and the life of a human being who has already walked such a path. Madame Guyon embodied a mystical function and showed how to achieve it. This is particularly evident in the groups evoked here.

M. Bertot and Madame Guyon were not solitary geniuses. They were not formed in isolation, but by accomplished mystics of previous generations.380 They formed part of a tradition of Franciscan origin.381 Each generation acknowledged the authority of a spiritual father (or mother). The spiritual father (or mother) was always formed by his or her predecessor. They could be either clergy or lay, men or women. It was their mystical accomplishment which mattered. Power was not transmitted in the human sense of the term: this was not a monastic order which elected a prior(ess). No voting or discussion: this was a case of informal evidence. The best person formed his friends; on his death his successor, recognised as such for years, was the most accomplished person.

These transmissions of authority took place uninterruptedly during a century, through four generations. Below I cite some written traces linking the central mystical figures, before examining what took place between them and their associates.

The first of these figures was the Franciscan Chrysostome de Saint-Lô (1594 – 1646) of the Regular Third Order, director of the layman Jean de Bernières (1601 – 1659). Fr. Chrysostome launched the idea of establishing a meeting place where their friends could gather and seek to practise inner prayer. Jean de Bernières realised this idea. He described the state of mind which inspired visitors to the Hermitage at Caen as follows:

We live here in great repose, liberty, gaiety and obscurity, being unknown to the world and not knowing ourselves either. We go towards God without reflecting, and whether conditions are good or bad we try not to stop.382

Bernières and Mother Mectilde (1614-1698) who founded the Benedictines of the Blessed Sacrament published some of their "Father" Chrysostome's writings, which Mother Mectilde had obtained with great difficulty. They feature their questions and their director's replies.

Then in 1646 Bernières assumed the direction of his associates, including his friend Mectilde. Among others, he directed Mgr de Laval, the future bishop of Quebec, and Jacques Bertot (1620 – 1671).

The confessor and "mystical director" Bertot took the Norman tradition of the Hermitage to the convent of Montmartre. He impressed the Abbess383 and attracted members of the Court.384.

Several works reveal the ties which united Chrysostome, Bernières, Mectilde and Bertot.385 Mectilde wrote to Bernières:386

From the Hermitage of the Blessed Sacrament, 30 July 1645.

Sir,

Our good M. Bertot has left us joyfully to satisfy your orders, and we have let him go with pain. His absence has affected us, and I believe that Our Lord wishes us to be affected, since he has given us all so many graces by his means, and we can truthfully say that he has renewed all this poor little monastery and revived the grace of fervour and the desire of holy perfection in our minds. I cannot tell you the good he has done and how much we all needed his aid […], but I must warn you that he is very tired and needs rest and refreshment. He had to work hard here, speaking constantly, and made several journeys to Paris by coach in extremely hot weather. He never thinks of taking care of himself. But now he no longer lives for himself. God makes him live for us and for many others. So we are allowed to be concerned about his health, and to beg you to make him have a good rest. […]

One of the faithful, a young widow from Montargis, Madame Guyon, described her first meeting with M. Bertot :

... I should say that the smallpox had so greatly damaged an eye that I was afraid I would lose it altogether, I asked to go to Paris to have it treated, although much less for that reason than to see M. B [ertot], whom M[other] G [ranger] had recently given me as director, and who was a man filled with light. I must recount how I had the good fortune to meet him for the first time. He had come for M [other] G [ranger]. She very much wanted me to see him; as soon as he arrived she let me know, but as I was in the country I could not find any means of going there. Suddenly my husband told me to go and stay overnight in town to seek something and give some orders. He should have sent me to seek it the next day, but those frightful St Matthew's winds came that night [storm recorded on 21 September 1671], so that the damage they caused prevented me from returning for three days. When I heard the force of that wind at night, I judged that it would be impossible for me to go to the Benedictines that day, and so I would not see M. Bertot. When it was time to go the wind suddenly calmed, and I received more good fortune which enabled me to see him a second time.387

But his direction was severe and for a while was not understood. Later, his "spiritual daughter" gathered his writings. Le directeur Mistique ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guion [...] was published in 1726.388 Its Foreword gives a brief summary of his life and testimony to the fidelity of his disciples:

« Monsieur Bertot... born in Coutances... a great friend of... Jean [5] de Bernières... acted as a director of souls in several communities of Nuns... [and directed] several persons... occupying important positions both at Court and in the war. He continued this practice until providence appointed him to direct the Benedictine Nuns of the Abbey of Montmartre near Paris, in which employment he remained for about twelve years [6] until his death... at the beginning of March 1681 after a long wasting disease.... [7] [He was] buried in the Church of Montmartre, at the right side on entering. Some persons... have always preserved such great respect [that they] often went to his tomb to offer their prayers.389

Madame Guyon referred to his authority until the end of her life:

« I am sending you a letter from a great servant of God who died several years ago. He was a friend of Monsieur de Bernières, and he was my Director in my youth. »390

Moreover, she had made typically Franciscan secret vows:

« In that place [at Gex] I made five vows. The first, of chastity, which I had already made as soon as I became a widow, that of poverty, which is why I gave up all my possessions, I have never confided that to anyone. The third, to blindly obey all external events or what my superiors or directors indicated for me, and within, to depend totally on grace. The fourth, inviolable attachment to holy Church. The fifth was a special cult, more inner than external of the childhood of Jesus Christ. »391

This concludes my glimpse of the links between Chrysostome, Bernières, Bertot and Guyon. Only rare written indications have reached us because no human choice was involved. In their writings mystics are reluctant, except in passing, to refer to the authority of a direction which must be inner.

Moreover, the "external' environment throughout the century was hostile to mystics,392 starting with the "objections" raised by Parisian academics at Rouen on reading the third party of the Reigle by the Franciscan Capuchin mystic Canfield which appeared in 1609.393

As for Mectilde, she had much difficulty in recovering Chrysostome's writings from his brethren in the Regular Third Order.

« I try every chance and means to obtain some of those so worthy writings, but the effort is a waste of time. The Provincial and the others have decreed and protested that they will never let those writings out of their hands unless they are corrected in a way which matches their opinions, and they say they are completely full of errors...394

« I am much afraid they may be burned, for they are in the hands of his persecutors. »395

She gave a glimpse of the low regard in which Fr. Chrysostome was held by those "responsible" for him » :

« Holy abjection accompanied him in life and death, and even after death he has remained abject in the opinions of some members of the order. Brother Jean [Aumont] told me this and says that to respect four or five of them, his memory must not be evoked in their house [...]  

Later, in the fatal year 1694 when Madame Guyon's descent into hell began, Fr. Paulin, leader of that same Regular Third Order, made a "lukewarm" statement on Madame Guyon.396

It is not surprising that the quietists learned to become prudent. That is why we do not know who succeeded their leader after 1717. Nevertheless, the notion of transmission remained alive in the eighteenth century. If mystical intensity often seemed to disappear, people influenced by Madame Guyon retained the idea of a possible succession and the importance of having a spiritual director. A young Swiss lady asked who had succeeded Madame Guyon :

« M. de Marçais told me that a lady living a devout life in Switzerland, whose name I have forgotten, written to France to enquire whether Madame Guyon had left [93] a successor in the apostolic state who might assist other persons living a devout life. After writing to a number of places, she was finally informed that there was indeed such a person, that is, the Duchess of Grammont ; but that externally she stayed well hidden, owing to the great number of enemies who persecuted the inner life. This was why she was only known to other persons following a devout life. The letters were written several years after 1720. »397

A document bears witness to the Bernières-Bertot-Guyon transmission as perceived at the end of the Age of Enlightenment. It concerns Jean-Philippe Dutoit (1721-1793). This pastor from Morges near Lausanne, the second publisher of Madame Guyon's works after Pierre Poiret, had a certain influence. He had links with Count Frédéric de Fleischbein (1700-1774), whose wife Pétronille of Echweiler (1682-1740) spent a short time in Blois, Madame Guyon's retreat after her release from the Bastille.398 The document is the report of a seizure carried out for the Calvinists of Berne by their representative in Lausanne:399 :

« 6 January 1769. We David Jenner, formerly colonel in Holland, currently bailiff of Lausanne, in the name and on behalf of Their Excellencies our Sovereign Lords of the city and republic of Berne, make known that as a result of the orders which we received from Their Excellencies of the Senate, to take away from the Rev. Dutoit de Moudon all his papers, writings and books, make an inventory of them and then arrange for their despatch [...]

After being informed of the orders received, the Rev. Dutoit first indicated that it was his firm intention to obey them in full submission and sincerity, as shown by the following inventory :

Madame Guyon's Bible and several of her works, but not all.

Monsieur de Bernières, i.e. the Chrétien Intérieur.

La Théologie du Cœur [by Poiret].

The Mystical Director by Monsieur Bertot.

The list ended with three "classics", Teresa, Luther and the Imitation;400  with Dutoit... Declaring in good faith that he knows of no other mystical or ascetic book here. »

I have now established some internal links and suggested a delicate outside situation. The (re)discovery401 of a transmission whose backbone passed from the Franciscan Chrysostome de Saint-Lô to M. de Bernières, then M. Bertot, and finally Madame Guyon, is confirmed by the late evidence quoted above.

There were two main links: the friends of the Hermitage at Caen preceded and gave birth to the Parisian quietist circle led by M. Bertot and taken over by Madame Guyon and Fénelon. In addition to confirming a transmission, I understood quite quickly that its axis must be situated in a network of friends and the branches of the tree re-discovered. For some I have drawn up dossiers of sources.402 Men and women benefiting from a lineage leading from older to younger gathered with their mystical contemporaries from the same generation.

For nearly two centuries, about a hundred mystical figures managed through some precious « chemical reaction » to exert an influence and share their energy. The transmission became a tree with thick foliage, and even links to neighbouring trees.403 In the Annex the «List of relations: Norman, then Parisian and finally European networks» gives a «transversal view » absent from the «longitudinal» chronological presentation. Two diagrams with comments follow, showing the transmission visually with support from the sources.

§

We now come to the actual experience. Every spiritual father or mother is an object of veneration and absolute fidelity. In Madame Guyon's case this is clear, although it would have been in the interests of those close to her to abandon her. While she had to face power and prison, Fénelon scuppered his career at the Court, and the great Beauvilliers and Chevreuse families discreetly defended her. Only an extraordinary influence makes it possible to explain the attraction and then the fidelity of her friends during twenty years (from the Issy trial in 1694 to the death of the Dukes in 1712/1714). It is what Madame Guyon experienced when she affirmed that grace passed through her person to someone who came to see her. So this group had a specific quality more exceptional than a social organisation around a spiritual leader. What was it ? The phenomenon was reproduced in each generation. This is what those who heard Chrysostome speak of God experienced:

When he spoke [of the Saviour], it was with ardours which lit the divine fire on all sides; particularly when he gave conferences on the annihilation of a God in the mystery of the Incarnation, he seemed as if completely overcome beneath the great lights which he received, and which he communicated [emphasis added] with extraordinary effects of grace […]404

Bernières' fidelity to his spiritual father was also unshakeable, as shown by the emotion expressed in a letter to Mother Mectilde:

« It would be a great consolation for me if […] we could speak of what we have heard our good Father say […] since God has united us so closely as to make us children of the same Father […]Do you know that just his memory places my soul in the presence of God? »405

They began to become aware of the sharing of grace by Bernières when his friends prayed together at the Hermitage :

Farewell, my very dear sister, MM de Bernières and de Rocquelay greet you ; they are doing wonders in their hermitage: sometimes there are more than fifteen hermits; they often ask for news of you. If our good Mother Prioress wished to write to M. de Bernières about her states of mind, she would be consoled for them, for God gives him prodigious light on the state of blessed and perfect annihilation.406

Bernières noted how active grace was among them. He used the verb « communicate » :

I clearly know that the Hermitage is established by order from God, and our good Father did not have it built by change. The grace of inner prayer is communicated easily there to those who dwell there, and one cannot say how this is done, except that God does it.407

Boudon (1624-1702) testified:

He was consulted not only by laymen, but by the clergy and monastics. A great number of the latter have made retreats in his house with the permission of their superior […] It was admirable to see the change observed in persons who had special relations with him.408

Bernières waited for inspiration from the Spirit before speaking :

His words were full of a divine force and won hearts to God. After informing him one day about some faults committed by a person in his employment, I noticed that for quite some time he said nothing about it to him; and after that I admired him because although he used very few words to make that person see his faults, saying almost nothing to him, so to speak, that person was as if suddenly struck down by the weight of the few words [Bernières] had said to him, and corrected those faults. I saw clearly that it was not through any negligence, but for a movement of the spirit of God acting in him, that he had waited to warn him. If he had spoken earlier he would have done so as a man, and his advice would not have the effects which resulted. 409

Bertot marks the passage to a second degree in the diffusion of grace, as he boldly stated that his prayer could make others share his mystical states while he said Mass. He did not merely influence; he carried others in his prayer and shared his mystical states with them.

« Let us remain thus, I wish to remain there with you and I will begin today in the holy mass. I am sure that if I am once raised up at the altar, that is to say if I enter into that divine unity [249], I will draw you to it,410 you and many others who are merely waiting. And all together, being one in feeling, in thought, in love, in conduct and in mood, we will fall happily into God alone, united with His Unity, or rather being one sole unity in Him alone, by Him and for Him. Farewell in God. » 411

He invited Mme Guyon to transform their relationship into moments of silence when he could communicate grace from heart to heart, and taught her how to favour this:

[240] « Since you wish me to call you my Daughter, which you are indeed before God who has so decided, you will allow me to treat you as such by giving you what I value most, which is a profound silence. Thus, when perhaps you think I might have forgotten you, it will be so that I can think most about your perfection. But I will always speak very little to you; I believe that the time to speak to you is over, and the time to converse with you in peace and silence has arrived.412

After his death early in 1681, Madame Guyon made her own discoveries and began to analyse what took place during her transmissions. So far as we know these writings are unique, for while this charisma is well-known outside [Western] Christianity, among the Sufis, in India and in Orthodoxy (Saint Seraphim of Sarov), it is less well-known in the Catholic world centred around Jesus as the sole mediator, grace being transmitted by him and with the sacraments compensating for his physical absence.

Perhaps Madame Guyon had experienced transmission with Bishop Ripa, who was close to Cardinal Petrucci, as some Italian quietists probably practised it with Molinos.

On her return to France she received a crowd of visitors at Grenoble. This was when the ecclesiastical authorities began to find that she was trespassing on their territory, and that they needed to get rid of her. This was her first brush with power. To oppose her the authorities used the pretext of a conflict over ideas (on passive inner prayer).

She returned to Paris, where she alternated between successes and ordeals. She took over Bertot's circle and developed friendships which withstood everything, with the Dukes and Duchesses of Chevreuse and Beauvilliers, Fénelon, etc. For them, it was evident that Madame Guyon transmitted grace. Once felt, that experience could not be denied. If someone went to see Madame Guyon and sat beside her in silence, it was to experience the divine presence; she transmitted the mystical experience to others without any asceticism or effort. It all happened simply, sometimes with joking between "Michaelites" -- did not St. Francis of Assisi particularly appreciate St. Michael?

My good father [of Béthune-Charost], have a seal made for me with Saint Michael trampling on the dragon — this is necessary and mysterious — otherwise you will lose your post. Little Cecile will be in charge of the bouquets for the Michaelites' chapel, she must cut off the Baraquin's [the Devil's] right ear. The dog must bite his left ear and Sister Ursula crush the end of his tail. All the other children together will crush his body. S B [Fénelon], another and I will crush his head. Do you not see P [ut] [Dupuy] who wants to step on his paw, but is afraid of hurting him and only touches a nail? [...] Do you not see Dom Al [leaume] who has lost his collar in the struggle, the good marquis who is cutting off one of his rear paws with his sword? The Good [Beauvillier] solemnly holds one of his horns,but he does not want to be disturbed, he holds himself very stiffly.. The Tut [or] [Chevreuse] holds the middle horn and covers his eyes as best he can. See the senior d [uchess] who is trembling with fear, but she still puts one foot on his hindquarters. See from the other side a scatterbrained little d [uchess] who wanted to jump on him with both feet joined; she would have had a fine fall if our patron [St Michael] had not supported her from behind. Come on, courage, go up little by little!413

We have the account of what happened afterwards at Blois, twenty years later. Together with fully ecumenical open-mindedness, the « lady directress » had reached ultimate simplicity:

She lived with those English [Scots] like a mother with her children. […] They often argued [over politics: the first Scottish Jacobite rising took place in 1715], and quarrelled; on those occasions she brought them round with her gentleness and urged them to give way ; she did not forbid them any lawful amusement, and when they amused themselves in her presence and asked her opinion, she answered: « Yes, my children, as you wish ». Then they amused themselves with their games, and during that time this great saint remained plunged and lost in God. Soon these games became insipid to them, and they felt such an inner attraction that they left everything and remained inwardly recollected with her in the presence of God.

When the Blessed Sacrament was brought to her, they remained gathered in her apartment, and when the priest arrived, hidden behind the bed curtain, which was carefully closed so they would not be seen because they were Protestants, they knelt down [43] and were in a deep and delectable state of recollection, each according to the degree of his progress, often also in sufferings relating to their state. 414

This was the central experience which was the foundation of the link between Madame Guyon and her disciples : they were attached to someone who gave out grace. This was so in her case, but we have seen it with Chrysostome, then Bernières, then Bertot: in other words, in each generation there appeared a saint through whom the divine presence was experienced. This is what decided the succession in each generation. This is what explains the veneration and fidelity of their followers.

There was one condition for the transmission to take place: the mystic must be in the "apostolic" state (in a state identical to that of the first Apostles), i.e. so empty that one became a passage for grace: no personal power, God did as he wished. It was not an achievement by a human being, but a function which someone did not assume voluntarily:

It is an abuse in the spiritual life, and which slips in even from its start, to want to work for others at the wrong time. And only a false fervour makes one set out to use one's own power to aid them before having received the mission to do so. Some people believe they are capable of leading on the path of the saints when they have not started on it properly themselves, and by wishing to share with others graces they have been given only for themselves, they lose the fruit themselves and cannot aid others with them. One must not seek to aid one's neighbour, no matter how much one wishes to do so, if one does not have experience of divine matters and a vocation. One must first be established in the inner life.415

One must also be appointed by the spiritual mother or father. Madame Guyon wrote to Fénelon that she had received her "spirit of direction" from Bertot» :

It came to my mind this morning that as M. B [ertot], when dying, left me his spirit of direction for his children, neither those who have strayed nor those who have stayed faithful will have that spirit communicated to them except by me, but in union with you. For God makes me be one and indivisible with you, and when all the reservations from you to me have been removed, you will discover a union of divine unity which will charm you. There are several teachers, but there is only one father in Christ,416 and the father in Christ uses [137 r °] not only the force of his speech, but the substance of his soul, which is no other than that central communication of the Word which the Father of spirits alone can communicate to His children, and as that communication by the Word in the soul is the operation of the divine paternity and the mark of adoption of his children, it is also the proof of the spiritual paternity which communicates to all in substance what they need, without knowing how this is done.

There are some persons who, because of their imperfect state, feel [137 v °] this communication better, because it is always in accordance with the subject who receives it, and not with the one who communicates it. It is the same with all the gifts of the Lord : they are [all the more] sensitive or spiritual when the recipient is more sensitive or spiritual. All receive this communication, although all do not feel it equally. [...]417

She associated herself with Fénelon, whom she regarded as her successor in that function. Fénelon was her dearest disciple, and one day when she was ill and thought she was dying, she wrote to him to bequeath to him the direction of their spiritual group and the possibility of transmitting grace :

« I leave you the spirit of direction which God has given me. »418

This succession never took place, as Fénelon died in January 1715, before her (June 1717).

Fénelon held meetings with his mystic friends at Cambrai. He reported that he sensed Madame Guyon's presence at them. In other words, in union with Madame Guyon. Fénelon shared his mystical state with his visitor:

I feel a very great desire to be silent and to speak with Ma.419 It seems to me that her soul enters mine and that we two are just one with you in God. Quite often in the evening we are together like little children, and you are there too [f ° 19v °] although you are far away from us.420

He confirmed the explanation given by Madame Guyon concerning Matthew 18, 20:

« They speak more from the heart than from the mouth; and the distance between them in no way prevents that inner conversation. God ordinarily unites two or three persons of that sort in so great a unity that they find themselves lost in God until they can no longer distinguish between them […]

These unions have yet another quality, which is that they in no way cause embarrassment or take control, the mind remaining as free and as empty of images as if they did not exist.421 […]

God also makes unions of relationships, binding certain souls to others as if to their parents in grace [...] »422

Madame Guyon saw herself as a channel acting as a passage for grace, with no will of her own, without any personal intention, in total « passiveness », in extreme submission to God:

« When the soul has lost both all her own power and all reluctance to be moved and acted upon according to the Lord's will, then He makes her act as He wishes […] When God moves her towards a heart, unless that heart itself refuses the grace which God wishes to communicate to it, or is ill prepared through too much activity, it unfailingly receives a profound peace […] Sometimes several persons receive the outpouring of these waters of grace at the same time. 423 »

She insisted on the fact that there was no personal power [involved], that only an annihilated soul could allow the passage of grace:

You have asked me how the union of the heart takes place. I will tell you that when the soul is entirely freed from all penchants, all inclinations and all natural friendship, God moves the heart as He pleases; and seizing the soul through a stronger contemplation, He makes the heart incline towards someone. If that person is prepared, he or she too must experience a sort of inner contemplation, and something which influences the heart [...] This in no way depends on our will: but God alone operates it in the soul, as and when He pleases, and often when it is least in one's thoughts. All our efforts could not give us that state of mind; on the contrary, our activity would only serve to prevent it.424

We have direct testimony from Madame Guyon, who was the first to analyse what happens during that transmission. It only takes place if the person has attained the apostolic state:

Her own salvation does not visibly concern her, and neither does that of others. Nevertheless, she is engaged in it and working for it through Providence. Sometimes God impels her to strongly desire the salvation and perfection of certain souls, so that she would give her life to make them comply with the full extent of God's intentions for them - but without care or anxiety, without contributing anything of her own, serving purely as an instrument in the hands of God, who gives whatever inclination and activity He pleases, but an activity in perfect repose, without parting from Him, without any personal inclination, although sometimes the inclination may be infinite: for the soul which has arrived at complete detachment and is fit to be poured out into God, being plunged there, is like flowing water which cannot be fixed but flows ceaselessly according to the slope given to it.

She understands that she participates in God's communicable quality, and that she lives and subsists solely to pour it out. The more it flows, the fuller she is, not with her own fullness, but with the fullness of God in Him which is communicated to all beings and draws along with it those He has plunged into Himself. It is He who gives her all her inclinations. However, this is done without paying attention to them, thinking of them or worrying about whether they will succeed: everything could perish and be overthrown without affecting her soul, though this does not prevent her from sharing the good or bad fortune of the souls who are united with her to receive her communications. It is like a river which flows pleasantly when it is given passage, but rises effortfully against itself when its passage is blocked. [...] One no longer knows who or what are relatives, friends, possessions, children, interests, honour, health, life, salvation, glory, eternity: none of that exists any longer for such a soul, although from the outside she seems quite ordinary, acting and doing like others. 425

***When the soul has lost both all her own power and all reluctance to be moved and acted upon according to the Lord's will, then He makes her act as He wishes without choosing her methods. He communicates through her without the slightest inclination on her part.[…] He communicates with whoever He pleases, as and when he pleases. If she wished to communicate herself, or communicate in a direction not chosen by God, at a time when God did not so move her, this would be entirely useless and would dry up the heart rather than transmitting life to it. But When God moves her towards a heart, unless that heart itself refuses the grace which God wishes to communicate to it, or is ill prepared through too much activity, it unfailingly receives a profound and sometimes even delectable, which is the strongest sign of communication.

[...]

But one may say, how can that soul discern when and to whom God wishes her to communicate? It is discerned because the soul feels an excess of fullness and clearly senses that it is not for her — for with regard to herself God almost always keeps her in emptiness and complete equilibrium, and this makes her fitter for what God wishes —, as I said, she feels a very strong fullness which would even overwhelm her if she found no one. But God whose goodness is infinite only gives her that fullness when there are subjects more or less prepared to receive it. Nor can the soul be unaware for whom God fills her in this way, because He inclines her heart in the direction where He wants her to communicate, as we place a hosepipe in a garden to water the spot we wish to water, and only that spot is watered. Sometimes several persons receive the outpouring of these waters of grace at the same time, in proportion to their greater or lesser capacity and whether they are less active and more passive.426

Madame Guyon expressed herself most directly in her commentaries on the mystical "Authorities" she evoked in the Justifications collected with Fénelon in 1694. Her comparisons were very direct:

As iron touched by a magnet is seen to attract iron, so a soul in whom God dwells in this way attracts other souls by a secret virtue; so that it is sufficient to approach her in order to be placed in inner prayer and recollection. This is why as soon as one approaches her, one desires to be silent rather than to speak, and God makes use of that means to communicate with souls: a sign of the purity of these unions and affections.427

Just as soiled and shameless souls communicate that corrupted air to those who approach them: similarly, by a contrary effect a pure soul communicates purity; and as she is full of grace and anointed with the divine ointment, she communicates that grace and that ointment to those who approach her. And as she is full only of God, she can only communicate God. As she is empty of herself, she no longer communicates herself or anything of hers, but the image and the grace of her divine spouse. This is why remembering these persons, far from calling up their impure image, turns first to God and contemplates in Him; this is the surest sign that the soul has left herself to pass into God, that she herself has disappeared, that she herself no longer lives, but her God lives in her; since she no longer gives anything but what affects herself.

It should also be noted that she does not draw others by any external sign, but as she has arrived at the Centre, the impression is made from within, as if it were God himself, without anything appearing externally; as by leaving herself behind, that soul has gone beyond her own being to lose herself in God beyond herself: so she leaves behind no trace or idea of herself, but only of God, His love and His life. 428

She did not express personal mystical effusions, but clarified a communication which progressively grew:

God communicates Himself to all creatures, but He does not communicate Himself with as much abundance and delectation except in fully annihilated souls, because they no longer resist, and as God himself is their basis, He receives Himself in Himself. This is why the communication we receive from God, even within, is felt more easily when it is narrower; and for the same reason, it is less easy to sense when it is more immense, for God does not communicate Himself by Himself except through nothingness, since that is the same thing. [...]

As this communication remains mysterious for all of us, she turned to examples recorded in the scriptures:429 

For souls who are not annihilated communication takes place through an approach, but for those who are it is by a simple look or thought. St John the Baptist is an example of this: the first communications took place by means of an approach: and this was why the Blessed Virgin remained three months with Saint Elizabeth, after which St. John no longer needed to approach Jesus Christ once he was strong. Thus he was not in a hurry to see Him, though when they met there was again a renewal of grace.430

He thirsts: and for what, O Divine Saviour? To communicate the gift of God. Oh, if you knew the gift of God, and who He is who asks you for a drink, you would have asked Him, and he would have given you living water to drink.431 Oh, it is Himself! Driven as He is by that same thirst, does He not cry: If someone is thirsty, let him come, and rivers of peace will flow within him,432 but rivers which mount up to eternal life, that is to say that they produce the effect of placing the soul in eternal life so that she may receive the immense communications of God Himself.433

The primordial model is Christ himself, who cries « if someone is thirsty, let him come, and rivers of peace will flow within him» (John 7,37 – 38). Madame Guyon and those close to her thought they were re-living the experience of the Apostles, who received the grace of Christ directly and re-transmitted it to their disciples. She therefore affirmed that grace can pass through a human being. For Bossuet and her judges it was impossible to tolerate that affirmation, which they interpreted as self-affirmation!

In fact, for her this had nothing to do with the transmitting of a person's power or personal success, but with the transmitting of a divinely imposed function. Everyone mocked her claims, all the more so because she was a woman. Ill-treatment and the verbal violence of her interrogations led her to doubt herself for a moment; she asked herself whether she should not obey the authority of the Church embodied in Bossuet. Then came the turning-point; she realised she could not deny her own experience. From then on Bossuet was up against a wall.

A letter addressed to Marie-Anne de Mortemart434 described how she had passed from the realm of dogma to the affirmation of experience:

[...] If a doctor wishes to persuade a sick person that he does not suffer from a certain pain which greatly troubles him, because he, the doctor, and others do not feel it, the sick person, who still feels the same pain, still remains unconvinced; after much arguing he is convinced only that either the doctor does not understand him or that he does not know how to explain his illness in terms which can be understood. It is the same with inner experiences. I imprison and submit my mind in order to believe that what I suffer or experience is neither such a good nor such an evil, and belongs in the sphere of reason and faith; but I am not the master of my pains and cannot persuade myself by either reason or faith that I do not feel them, for I truly do feel them. So all I can do is believe that I express them badly, that they are not of the order of certain illnesses, that I give these [f ° 192v °] pains names they ought not to have; but to convince myself that I do not feel them is impossible; they make themselves felt all too much. I know neither their cause nor their definitions, but I know I endure them. I am told that some have pretended to have them, that others have imagined they had them, etc., that after all few souls have these pains and consequently I do not have them. I believe all that, but I cannot believe the resulting conclusion, which is that I do not feel them, because what one feels and suffers forms part of experience, remains real and cannot be matter for my faith. I will believe that some imagine them, others pretend to have them, others exaggerate their ills, that others misuse them; I will also believe that my fondness for myself makes me exaggerate my ills, makes me give them a name they do not have ; but when I feel them in me with such violence I will not believe that they are imaginary, since I suffer from them.

If you wish, I will not say that certain persons live a devout life, I will not say that I do myself, but I know well that I have followed a way on which I found these passages good. I do not argue about the names of the towns I met on my way, their location or even their structure, but it is certain that I passed through them. I have experienced certain pains or fainting fits, I dispute neither their name nor their origin, but I know I suffered them and cannot doubt that. It seems to me that to know the truth, one cannot avoid maintaining the truth of the inner experience, which is real. For the names, the terms, the dogmas they want to introduce,we may give way and submit, but regarding the factual experience of good and holy souls,435 can one say the contrary with truth or even honour? And if we were so cowardly as to do so, would not the experience of so many holy souls who have preceded us, are alive now and will come after us give testimony against us? Everything passes, force, prejudices, etc., but the truth remains. [f ° 193] It seems important to me to separate the dogma, I do not know if that is how to put it, from the fact of experience.

Here Madame Guyon produces a fundamental and astonishingly modern text, after which she no longer backed down.

Although we do not know who succeeded her after her death,436 we may note that the « little duchess », the recipient of the above text, received permission to be silent when with other people:

« … However, when she wishes to be in silence with you, do it through your littleness and do not prevent it. God could grant to your littleness what He would not give for the person. When God made use of me in the past for this sort of thing, I always believed He granted it to the humility and littleness of others rather than to me… »437

So Marie-Anne de Mortemart could transmit grace from heart to heart.438 On the other hand, it was Madame de Grammont who was named by the Scots439 (and also in reply to the request from a young Swiss lady referred to above). Thus we have a choice between two ladies who lived until the middle of the eighteenth century. Did they cooperate, and were they assisted?440 The study of Scottish, Dutch, Swiss and Germanic transmissions in France (Fleischbein, Dutoit, etc.) does not reveal a figure mystically comparable to Guyon or Fénelon.441 Perhaps the obligatory secret was too well kept.

§

I will end by noting the consequences of Madame Guyon's behaviour:

In a century where freedom was not the norm, living one's personal truth in the midst of the authorities, but without claiming authority, led to conflicts with the holders of authority. Madame Guyon's mystical experience and function of transmitting grace led her to perform three « exploits » :

1) resisting the royal power: Guyon had the opportunity to introduce inner prayer to Saint-Cyr ; she influenced leading aristocrats and, above all, Fénelon. Madame de Maintenon could not tolerate her intrusion in Saint-Cyr, and provoked the king's anger. Pretext: quietist ideas. This worried the king, since at that time freedom of conscience did not exist and he had a stranglehold on ideas.

It must be said that Madame Guyon had taken mysticism into an inappropriate place: the Court of Louis XIV. She found herself involved in problems of power through her influence over the Dukes of Chevreuse and Beauvilliers and over Fénelon who had become the Dauphin's tutor, thus giving the devout party much hope. This undertaking was naive, as it meant practising the values of Christian love in the midst of the Court, but it carried the immense hope of placing on the throne of the 'most Christian King"442  a dauphin whose rule would have embodied its values.

2) resisting the power of official religion: the clergy hid behind a debate of ideas concerning passive inner prayer. In fact they did not accept being eliminated from relations with God: the direct transmission of grace deprived them of their status as intermediaries between God and Christians.

3) resisting the authority of men: this woman dared to affirm her experience, although she was under the sway of men who knew better than her what she should feel or think. She fought especially to have a confessor who respected her.

In conclusion, her mystical experience and her function of transmitting grace led Madame Guyon to accomplish three choices which seem obvious nowadays, but were unacceptable in the seventeenth century :

1) As a woman, she refused masculine authority.

2) As an individual, she refused the principle of authority by staying firm in her freedom of conscience.

3) As a mystic, she established the primacy of experience over dogma.

Three revolutions achieved by a little woman who wanted only to be plunged in God.

List of contacts: Norman, then Parisian and finally European networks:443 



FIRST GROUP of those close to the Hermitage of Caen :



Marie des Vallées (1590-1656), the «saint of Coutances»

Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646) member of the Regular Third Order, «our good Father»

Jourdaine de Bernières (1596-1645), who published her brother's writings

Marie de l’Incarnation (1599-1672), apostle of Canada

Jean Eudes (1601-1680), canonised and founder of the Eudists

Jean de Bernières (1602-1659), member of the Secular Third Order, creator of the Hermitage

Jean Aumont (1608-1689), «the winegrower of Montmorency» member of the Third Order

Gaston de Renty (1611-1649), friend of Bernières

Catherine de Bar (1614-1698), Annonciade then « Mother of the Blessed Sacrament», founder of a Benedictine order.

Louis-François d’Argentan (1615-1680), Capuchin, publisher and co-editor of the Chrétien Intérieur.

Jacques Bertot (1620-1681) priest, confidant of Bernières, discreet «mystical transmitter» from Caen to Montmartre, Madame Guyon's spiritual father.

François de Montmorency Laval (1623-1708), canonised, first bishop of Quebec, founder of a seminary and a new Hermitage.

Henri Boudon (1624-1702), of the Secular Third O (?), a prolific author

Archange Enguerrand (1631-1699), Recollect, the " good Franciscan" met by the young Madame Guyon.



SECOND GROUP of those close to Mme Guyon and Fénelon, and their disciples :



Initiators (men and women) :

Mother Geneviève Granger 1600-1674

Jacques Bertot 1620-1671

Archange Enguerrand 1631-1699

François Lacombe 1640-1715

Duchess of Béthune-Charost [née Marie Fouquet] 1641?-1716

Jeanne-Marie Guyon 1647-1717



Disciple friends «at home» :

François de Fénelon 1651-1715

Paul de Beauvillier 1648-1714 x Duchess de Beauvillier 1655-1733 [née Colbert]

Charles-Honoré de Chevreuse 1656-1712 x Duchess de Chevreuse, -1732 [née Colbert]

Marie-Anne de Mortemart 1665-1750 [née Colbert]

Isaac Dupuy after.1737

Marquis de Fénelon 1688-1746

Marie-Christine de Noailles «the dove» 1672-1748 x A. de Gramont, Count of Guiche



Disciple friends «abroad» :

Pierre Poiret 1646-1719

Chevalier Ramsay (Scottish) 1686-1743

James 16th Lord Forbes 1689-1761 and Lord Deskford 1690-1764

Friedrich von Fleischbein, Baron of Pyrmont, Pietist 1700-1774

Jean-Philippe Dutoit-Mambrini, pastor at Morges 1721-1793





Madame Guyon at the centre of a mystical transmission (diagrams with comments and sources)

Madame Guyon


Influences of Madame Guyon and Fénelon

Madame Guyon 1647-1717 & Fénelon 1651-1715

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« This side » « Trans » « Trans » « Trans »

France Scotland Holland Switzerland

Germany

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Chevreuse/s J & G Garden Poiret |

Pé.d’Echweiler

-1712 & -1732 -1699 & -1733 1646-1719 1682-1740

Beauvillier/s Ramsay Metternich Fleischbein

-1714 & -1733 1686-1743 -1731 1700-1774

Dupuy Forbes 16th Tersteegen Klinckow.

- >1737 1689-1761 1697-1769 -1774

Marquis of F. Deskford Dutoit

1688-1746 1690-1764 1721-1793

Mortemart Fabr. de Zelle

1665-1750 -1793

Pétillet

Langalerie

B. Constant

-1837







Commentaries and Sources :





Commentary :

The first diagram shows the founding figures around whom numerous devotees gathered in "Schools of the Heart". Three branches of a "spiritual delta" formed, starting from a first "group" led by Jean de Bernières under the direction of « our good Father Chrysostome » :

--A second Hermitage was founded in Quebec by Mgr de Laval.

-- The Circle of Quietude created by M. Bertot at Montmartre was taken over by Madame Guyon.

-- The Benedictines of the Blessed Sacrament were the 'daughters’ of Mother Mectilde.

Madame Guyon took over the Circle of Quietude.

The second diagram shows the European influence in four columns.444 Disciples « at home » et « abroad » [in other countries] are laid out vertically by date and horizontally according to four geographical regions. Cross-relations are omitted. For couples or brothers, the dates of death are separated by ‘&’.



I realised that it was necessary to locate this transmission and support it by possible recourse to the mystical texts produced by devotees in these networks of friends. Texts in relation with the writings of Madame Guyon are available in two collections: «Sources mystiques» (published by the «Centre Jean-de-la-Croix») and «Chemins mystiques» (online Internet purchase via the printer http://lulu.com, search key  Dominique Tronc). Consult the site http://www.cheminsmystiques.com and the references in the communication, including in chronological order :

Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646), of the Third Order of Saint Francis of Assisi, Founder of the School of Pure love

Jean de Bernières, Œuvres mystiques I Chrétiens [Sources mystiques] & II Correspondence [forthcoming]

The Friends of the Hermitages of Caen & Quebec [v. DT]

The Mystical Friendships of Mother Mectilde of the Blessed Sacrament 1614-1698

Jacques Bertot mystical director [for available examples, v. DT]

Archange Enguerrand (1631-1699), Franciscan Recollect director and 'Good monastic' according to Madame Guyon

François Lacombe (1640-1715), Life, Works, Ordeals of Madame Guyon's Father Confessor

Memoirs de Saint-Simon concerning Fénelon, Madame Guyon and their associates

Marie-Anne de Mortemart (1665-1750) The "little duchess" [...]

Schools of the Heart in the Age of Enlightenment, Disciples of Madame Guyon & Influences

Expériences mystiques en Occident IV. Une École du Cœur [forthcoming]

Etc.



CONTEMPLATION ET VIE ORDINAIRE CHEZ M. BERTOT ET MME GUYON

Dominique et Murielle Tronc, 21 mars 2019.

Contribution au Colloque des vingt ans du CRESC « Centre de recherches et d’études de spiritualité cartusienne : Du monde au désert, l’aspiration à la solitude au XVIIe siècle. »


La plupart des mystiques, du moins au 17e siècle, estiment nécessaire de partir à l'écart du monde pour chercher l'expérience intérieure. Ils vivent en général dans des bâtiments prévus à cet effet et embrassent la vie monastique pour ne pas être distraits de leur contemplation. Ils pensent que la nature humaine est trop faible pour résister sans un cadre fort. Parce qu’ils vivent ensemble, ils peuvent échanger oralement des conseils spirituels.

Ceux dont je vais parler ne disposent ni de bâtiments ni de règles. Ils ne sont guère encouragés à délivrer quelque enseignement, mais ils échangent entre eux des lettres qui nous sont parvenues et même en très grand nombre. Cette époque inquisitoriale oblige à l’autocensure pour pouvoir communiquer des textes à des collectivités religieuses ; le seul espace de liberté est souvent réduit aux correspondances et les lettres s’échangent discrètement entre les rares mystiques vivant au sein d’une majorité de dévots.

En général les dialogues entre mystiques  ne nous sont parvenus  que très exceptionnellement parce que les lettres d’un saint reconnu, souvent fondateur d’Ordre, sont privilégiées au détriment de correspondant(e)s jugés moins intéressants. L’assymétrie due à la disparition des correspondances « passives » n’existe pas dans un groupe qui privilégie la transmission spirituelle en dehors de règles et de pratiques.

Dans la filiation de la quiétude à laquelle s’intéresse cette contribution, de nombreux dialogues se sont répétés, liant « aînés » à « cadets » (pris au sens spirituel), mystiques accomplis à pèlerins en marche sur quatre générations : du Père Chysostome de Saint-Lô (1594-1646) du Tiers-Ordre Régulier franciscain au laïc Jean de Bernières (1601-1659) ainsi qu’à Mère Mectilde (1614-1698) la fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement dont la longue vie lui fit rencontrer Madame Guyon et Fénelon ; de Monsieur de Bernières au prêtre Jacques Bertot (1620-1681) ; de Monsieur Bertot à Madame Guyon (1648-1717), qui dirigera Fénelon (1651-1715), la duchesse de Mortemart (1665-1750), le pasteur Poiret (1646-1719) et bien d’autres445.

Parmi ces figures, nous avons choisi le dialogue épistolaire entre M. Bertot et sa dirigée Mme Guyon car ils se sont posé le problème de la solitude.

Jeanne de la Motte-Guyon (1648-1717) a d'abord été une jeune fille de la riche bourgeoisie provinciale. Éduquée chez les bénédictines, elle eut la chance de rencontrer la Mère Geneviève Granger (1600-1674) dont la profondeur et le rayonnement l'attirèrent très jeune vers la vie contemplative. Elle menait donc de front la pratique de l’oraison et la vie traditionnelle d’une jeune fille  : elle consacrait plusieurs heures par jour à la prière et faisait des retraites. Mais elle fut arrachée à ce cadre idéal quand on la maria au riche et vieux M. Guyon qui voulait qu'elle lui consacre tout son temps ! Sa belle-mère la surveillait et l'empêchait de prier. Ces contraintes la rendaient malade, engendraient chez elle une immense souffrance et un désir de solitude impossible à satisfaire.

Par bonheur, la Mère Geneviève Granger, qui se sentait vieillir, l'envoya à l'un des plus grands mystiques de son temps, le père Jacques Bertot (1620-1681), qui avait apporté à l’abbaye de Montmartre la spiritualité de l’Ermitage fondé à Caen par Jean de Bernières (1602-1659).

Leur rencontre eut lieu le 21 septembre 1671. C’est une date essentielle pour elle. Aussi elle en rapporte précisément les circonstances assez inhabituelles446 :

Il faut que je rapporte par quelle providence je le connus la première fois. Il était venu pour la Mère Granger [supérieure des bénédictines de Montargis]. Elle souhaitait fort que je le visse ; sitôt qu’il fut arrivé, elle me le fit savoir, mais comme j'étais à la campagne, je ne trouvais nul moyen d'y aller. Tout à coup mon mari me dit d'aller coucher à la ville pour quérir quelque chose et donner quelque ordre. Il devait m'envoyer quérir le lendemain, mais ces effroyables vents de la saint Matthieu vinrent cette nuit-là de sorte que le dommage qu'ils causèrent m'empêcha de retourner de trois jours. Comme j'entendis la nuit l'impétuosité de ce vent, je jugeai qu'il me serait impossible d'aller aux Bénédictines ce jour-là et que je ne verrais point M. Bertot. Lorsqu'il fut temps d'aller, le vent s'apaisa tout à coup, et il m'arriva encore une providence qui me le fit voir une seconde fois...

Mme Guyon se plaça sous son autorité, ce qui nous vaut maintenant de lire leur échange de correspondance. Elle lui confie combien elle souffre dans une belle famille où elle ne peut pas se consacrer à la recherche de Dieu

M. Bertot connaissait bien lui-même cette attirance vers la solitude où l’on pense trouver Dieu plus facilement. Voici la jolie lettre envoyée à Mme Guyon en 1674 où il avoue sa nostalgie447   :

« L’air du monde non seulement est infecté en plusieurs manières mais encore il n’a nul agrément, comparé à celui de la solitude où l’on goûte en vérité le printemps et une sérénité qui contient le goût de Dieu. Dieu seul est le printemps de la solitude et c’est là qu’on le goûte.

« Il est vrai qu’avant que cela soit et que l’âme ait le calme, le désembarrassement et le reste que Dieu communique en solitude, il faut peiner et travailler, la nature se vidant d’un million de choses qui empêchent l’âme de goûter à loisir cet air doux et agréable d’une solitude calme et tranquille qui, à la suite, lui est vraiment Dieu : car qui fait cette solitude si belle, si sereine, si douce et si agréable, sinon Dieu, qui, se donnant à l’âme et l’âme l’ayant trouvé, elle le goûte et en jouit comme nous jouissons de l’air agréable du printemps, de la beauté des fleurs, de leur odeur plaisante et de tout le reste.

« En vérité, les créatures, et le soi-même encore plus, sont un vrai hiver à l’âme qui y habite, et quand l’âme trouve Dieu, elle trouve le printemps en toute manière par la solitude et l’éloignement du créé, en repos et cessation de tout. Je vous avoue qu’un je ne sais quoi me fait soupirer, avec patience et sans désir, après l’entier dégagement de la manière que Dieu le voudra. »

Et pourtant, Bertot refusa toujours de céder à ce désir, considérant qu'il fallait pratiquer l'oraison là où, selon son expression, « l’ordre de Dieu » l’avait placé. Jamais il n’encouragea Mme Guyon à fuir son environnement, mais au contraire il lui ordonna une pratique qui se révélera plus profonde car elle transcende les contraires : l’oraison au milieu des contraintes domestiques. Leur échange de lettres montre une jeune femme qui obéit comme elle peut aux instructions de Bertot. Petit à petit, on la voit passer du dégoût d'avoir à veiller un vieux mari et du regret de ne pouvoir prier tranquillement dans sa chambre, à une acceptation paisible. Elle part d'un état où elle croit que toute occupation humaine est une perte de temps en comparaison de la vie en Dieu : ce serait tellement mieux si elle était ailleurs. Or, à sa grande surprise, elle va expérimenter tout le contraire :

« Il m’est arrivé une fois ou deux, parce que je m'y trouvais fort recueillie, de me retirer pour m'en aller faire oraison, croyant aller faire merveilles, et j'expérimentais tout le contraire : c'était une inquiétude et une dissipation qui me peinai[en]t beaucoup et je ne pouvais pas être là en repos, voyant que ce n’était pas l’ordre de Dieu 448. »

C'est donc dans la médiocrité du réel que se trouve la perfection car là, à cet instant, Dieu se manifeste. Bertot approuve cette nouvelle expérience :

« […] dire que la soumission et la subordination à un mari et tout le reste d’une condition soit à une âme éclairée divinement un ordre si divin, il faut l'expérience pour le croire ; cependant cela est vrai. C'est pourquoi vous trouverez toujours, lorsque l'ordre divin demandera quelque chose de vous, que vous trouverez plus Dieu en son exécution qu'à faire oraison ou à vous employer dans les plus divins exercices car l'un vous est Dieu et l'autre ne vous peut être tout au plus qu'une sainte et vertueuse pratique449. »

Quand l’état de son mari empire, elle sait maintenant rester bien centrée au coeur de la grâce et ne désire plus rien d’autre que ce qu’elle est en train de vivre :

« Depuis dix ou douze jours M. N. [M. Guyon] a eu la goutte. J’ai cru qu'il était de l'ordre de Dieu de ne le pas quitter et de lui rendre tous les petits services que je pourrais. J'y suis demeurée, mais avec une telle paix et satisfaction que je n'en ai expérimentées de même. Quoique tous ces ajustements me soient insupportables, je ne puis désirer autre chose et j'y suis tellement contente que je ne me trouve pas ailleurs de même . Car quand je le quitte pour des moments pour faire quelques lectures ou prières, c’est avec inquiétude de ce que je n’y vois pas l’ordre de Dieu450. »

En acceptant les difficultés comme étant d’origine divine, elle commence donc à ressentir la vie de la grâce, et Bertot en est tout heureux :

« Je ne puis vous exprimer ma joie [en] remarquant que vous commencez de goûter les effets de cette eau vive et que, comme vous dites fort bien, ce qui vous aurait donné la mort et qui vous aurait été insupportable vous est présentement délicieux et que non seulement vous y trouvez la vie mais une souveraine consolation451. »

Bertot et Mme Guyon à sa suite vivent donc l'intériorité au milieu des tracas de la vie ordinaire et des circonstances où la Providence divine les met. On ne cherche pas à y échapper, on n’en change pas volontairement, car ce serait affirmer une volonté propre :

« La vraie dévotion, écrit Bertot, est de mourir à sa volonté et conduite propre par l’état que la divine Providence nous a choisi, nous laissant entre les mains de la divine Providence comme un morceau de bois en celle d’un sculpteur pour être taillé et sculpté selon son bon plaisir. Il faut bien savoir que cela s’exécute assurément par l’état de votre vocation : les ouvriers qui doivent travailler à faire cette statue sont monsieur votre mari, votre mère, vos enfants, votre ménage452. »

Ce que Bertot pratique et enseigne là, a été énoncé bien avant lui par Ruusbroec (1293-1381) sous le nom de « vie commune ». Chez lui, le mystique n’est pas accompli tant qu’il n’est pas capable de vivre en même temps sur les deux plans, accueillant les mouvements de la grâce divine tout en agissant sur le plan humain. Voici ce qu’il en dit à la fin de La Pierre brillante :

« […] il est un instrument de Dieu vivant et disponible, avec lequel Dieu opère ce qu’il veut et comme il veut ; et il ne s’attribue pas cela, mais il en donne à Dieu l’honneur ; et voilà pourquoi il reste disponible et prêt pour faire tout ce que Dieu commande, et fort et vaillant pour pâtir et supporter tout ce que Dieu établit sur lui. Et c’est pourquoi il mène une vie commune, parce qu’il est également prêt à contempler et à agir, et il est parfait dans les deux453. »

On vit donc comme tout le monde, on ne se réfugie nulle part. Si la solitude vient, c’est qu’elle est voulue par Dieu. Et elle n’est pas toujours agréable, comme par exemple les années de prison pour Mme Guyon. Toute la personne s’abandonne entre les mains de la grâce. Pour le faire comprendre, Bertot utilise la comparaison suivante

« N’avez-vous jamais pris garde, sur le bord de quelque rivière, comment elle entraîne à son gré par son mouvement propre quelque morceau de bois qui flotte dans l’eau : il ne fait rien et il fait tout car il se laisse aller au gré de l’eau qui le porte insensiblement jusqu’au plus profond de la mer. Voilà l’exemple d’une âme qui correspond en simple abandon au vouloir divin dans le mal, lequel supplée et contient pour lors tout exercice, de telle manière que souvent même on les perd ; mais encore toutes les lumières, tous les goûts, et tout ce que l’on savait des voies de Dieu s’efface, devenant dénué de tout454. »

La métaphore sera développée par Madame Guyon dans les Torrents455 :

« Pour les âmes du troisième degré que dirons-nous sinon que ce sont comme des Torrents qui sortent des hautes montagnes ? Elles sortent de Dieu même, et elles n’ont pas un instant de repos qu’elles ne soient perdues en Lui. Rien ne les arrête. Aussi ne sont-elles chargées de rien. Elles sont toutes nues et vont avec une rapidité qui fait peur aux plus assurées. Ces torrents coulent sans ordre çà et là par tous les endroits qu’ils rencontrent propres à leur faire passage. Ils n’ont ni leurs lits réguliers, comme les autres, ni leur démarche dans l’ordre. [...] ».

De tels textes susciteront l’indignation du clergé car il y verra la permission de faire n’importe quoi. En réalité, même si ces gens vivaient au milieu de la société, ils menaient discrètement une vie très sérieuse. Témoins les vœux secrets de chasteté et de pauvreté que Mme Guyon confia au duc de Chevreuse456 :

« J’avais fait cinq vœux en ce pays-là : le premier de chasteté, que j’avais déjà fait sitôt que je fus veuve ; celui de pauvreté ; c’est pourquoi je me suis dépouillée de tous mes biens. Je n’ai jamais confié ceci à qui que ce soit. Le troisième, d’une obéissance aveugle, à l’extérieur, à toutes les providences ou à ce qui me serait marqué par mes supérieurs ou directeurs, et au-dedans, d’une totale dépendance de la grâce. Le quatrième, d’un attachement inviolable à la sainte Église, ma mère, non seulement dans ses décisions générales, où tout catholique est obligé de se soumettre, mais dans ses inclinations, et de procurer le salut de mes frères dans ce même esprit. Le cinquième était un culte particulier à l’enfance de Jésus-Christ, plus intérieur qu’extérieur. Et quoique mon âme ne fût plus en état d’avoir besoin de ces vœux, Notre Seigneur me les fit faire extérieurement et me donna, en même temps, au-dedans, l’effet réel de ces mêmes vœux.

Depuis ce temps, il n’est pas en mon pouvoir de garder de l’argent : je vis avec une entière pauvreté. J’ai eu une obéissance d’enfant, qui ne me coûte rien parce que je ne trouve pas même en ma volonté un premier mouvement de résistance. Je peux dire le même sur tout le reste. »


Ces vœux secrets la situent dans la mouvance du Tiers-Ordre franciscain. L’influence du Tiers ordre franciscain passe du Père Chrysostome de Saint-Lô au laïc Jean de Bernières, de ce dernier au P. Jacques Bertot ; de Bertot à Madame Guyon. On trouve également de nombreux capucins qui influèrent sur eux dont Benoît de Canfield est la figure de proue, « le bon franciscain » Archange Enguerrand, etc.

Le troisième vœu que nous venons de citer nous intéresse directement :

« […] une obéissance aveugle à l’extérieur à toutes les providences ou à ce qui me serait marqué par mes supérieurs ou directeurs, et au-dedans d’une totale dépendance de la grâce. »

Mme Guyon suit donc exactement la même voie que son père spirituel : un abandon qui nécessite d’instant en instant d’ouvrir sa vie aux impulsions divines. Cette ouverture ne nécessite même pas d’effort : elle n’est pas un acte, mais un état où l’on se perd en Dieu d’instant en instant :

«  […] Remarquez bien que, quand je vous dis que le moment de ce que vous avez à faire ou à souffrir devient Dieu et est Dieu à une telle âme […] j’entends que tout ce qu’elle a à faire ou à laisser, quelque petit ou naturel qu’il soit, comme le travail, la conversation, le boire, le manger, le dormir et le reste d’une vie sagement raisonnable, est Dieu à telle âme et qu’elle doit être et faire ces choses dans les mêmes dispositions sans dispositions, car c’est par état457. »

Le monde entier devient alors signe de Dieu, chaque événement est divin :

« […] il n’y a rien de naturel pour les âmes qui sont assez heureuses de vivre en foi, et qu’encore que les choses arrivent naturellement, tout est divin et conduit par l’infiniment sage Providence. Si bien qu’il ne faut jamais rien regarder naturellement mais divinement, soit les maladies ou le reste qui nous arrive, tout étant pour la perfection de l’état où nous sommes458. »

Si l’on vit dans un monde où le divin est partout, on ne dépend pas d’un lieu pour trouver Dieu. Se retirer dans un lieu particulier n’a pas de sens. Bertot et Guyon ne veulent plus faire des allées et venues entre vie ordinaire et moments de contemplation : ils cherchent la grande unité, la plongée permanente dans le divin, tandis que l’extérieur est soumis aux aléas voulus par la Providence divine. Leur désir est de passer de la dualité extérieur/intérieur, de l’alternance contemplation/vie ordinaire à l’unité en Dieu sans interruption. C'est le but vers lequel Bertot guide la jeune Mme Guyon, là où Dieu disparaît en tant qu'objet à atteindre, pour devenir la Présence au sein de laquelle on vit :

« [...] quand, par dénuement et simplicité, l’âme tombe en Dieu, elle devient sans objet, et ce qu’elle a à faire et à souffrir de moment en moment lui devient Dieu et véritablement lui est Dieu. Heureuse une âme qui est appelée de Sa Majesté pour cette grâce ! Car elle trouve le moyen de jouir de Dieu sans moyen [intermédiaire], par où Dieu peu à peu lui devient toutes choses, et toutes choses lui deviennent Dieu459. »

Cette vie en Dieu a une contrepartie : une solitude toute intérieure, faite de nudité et d’éloignement du créé. C’est une sorte de désert, de mort, car l’on quitte intérieurement ce qui est humain pour vivre dans le divin :

« Cette mort, cette humilité, et cette petitesse ne se trouvent pas dans les écoles et dans les grands traités de Théologie. Ainsi quoique vous voyez quantité de savants vous en trouvez peu divinement éclairés de la Sagesse divine. Elle se trouve en la fuite du monde, en la solitude, en l’oraison et dans les autres petits exercices, qui nous cachent peu à peu à nous-mêmes et aux créatures ; et ainsi insensiblement en nous dérobant de la lumière humaine, nous trouvons la divine, et en nous enterrant en quelque façon tout vivant nous trouvons la mort qui nous perd aux créatures, à nous-mêmes et à l’humain (comme le tombeau nous dérobe nos amis,) pour nous trouver dans la vérité de la foi, qui a et renferme toute vérité ; et de cette manière ces pauvres mourants et morts sont entrés dans les vérités éternelles de Jésus-Christ et des saintes Écritures tout autrement que les savants. Ce n’est pas qu’ils en soient exclus ; au contraire quand ils sont humbles ils ont un secours admirable : car la science est une lumière excellente, étant relevée et divinement éclairée par la foi et ensuite par la lumière divine 460. »

Malgré la sévérité de ce texte, il ne faut pas penser que Bertot est attiré par le grand modèle de l'époque qu'est la Trappe. S'il s'incline devant ces héros de la spiritualité, on sent qu'il a quelques doutes sur leur volontarisme et leur orgueil ascétique. Il préfère la modération et quand il analyse sa propre façon de vivre la solitude, c'est avec modestie et réalisme :

« […] en vérité il faut que cela soit bien modéré puisque, quand il y en a plus qu’il ne faut, cela fait toujours un autre tracas et embarras. Heureuses les âmes qui ont le don de la pauvreté absolue, car par là elles ont l’entière solitude sans aucune crainte. Mais c’est une chose que j’admire de loin, me contentant de ma petite grâce et de ma petite solitude. Car selon ce don de pauvreté, la solitude est grande. Pauvreté de biens, d’amis, de créatures : voilà la grande solitude, à laquelle je ne prends part que selon le don de Dieu à mon âme. »

Il termine en appelant Mme Guyon à prendre conscience que tout est « bruit » en comparaison du grand silence intérieur :

« Je prie Dieu de vous y donner et de vous faire bien entendre le grand bruit des créatures, du soi-même et généralement du créé461. »

Lorsque Mme Guyon a succédé à Bertot et pris la direction spirituelle de son groupe, la continuité a été totale. Contrairement à Fénelon qui tentait de convertir les gens, elle a toujours jugé sans intérêt de changer de lieu, d'état ou de religion, car l'essentiel est intérieur : s'abandonner à la volonté du Seigneur et accueillir sa grâce dans une solitude intérieure de plus en plus profonde.

A cause de son rayonnement intérieur exceptionnel, s'est formé autour d'elle un groupe extrêmement soudé, qui a résisté vaillamment aux attaques des pouvoirs ecclésiastique et royal. Ils n’étaient soumis à aucune règle, ils ne formaient pas un ordre, ils ne se sont pas réfugiés dans un bâtiment spécial et ne sont pas partis dans la montagne pour vivre l'oraison. Chacun reste là où Dieu l'a placé, et il se trouve qu'au début, ce lieu de vie fut paradoxalement la Cour de Versailles puisque Fénelon était précepteur du Dauphin et Chevreuse ministre de Louis XIV. Ils se réunissaient discrètement pour pratiquer l'oraison dans les appartements des uns ou des autres462 : Fénelon vivait à trente mètres des Chevreuse !

Mais leur rêve de convertir la Cour fut détruit par la disgrâce royale : Fénelon perdit son appartement, Mme Guyon fut enfermée à la Bastille pendant des années, supportant une solitude imposée. Fénelon subit les attaques de Bossuet et finit sa vie exilé à Cambrai où il recevait et dirigeait discrètement ses amis mystiques463  :

«  Vous me direz peut-être, ma bonne D[uchesse], que ce silence intérieur est difficile, quand on est dans la sécheresse, dans le vide de D[ieu] et dans l’insensibilité que vous m’avez dépeinte. Vous ajouterez peut-être que vous ne sauriez travailler activement à vous recueillir. Mais je ne vous demande point un recueillement actif, et d’industrie. […] Il suffit de laisser souvent tomber l’activité propre par une simple cessation ou repos qui nous fait rentrer sans aucun effort dans la dépendance de la grâce. » 


Il se forma à Cambrai un cercle spirituel parallèle à celui de Mme Guyon à Blois, en union avec elle. Nous sont parvenus deux témoignages sur la « vie commune » menée par de paisibles convives traités à égalité par l’Archevêque :

« Moins hagiographique mais non moins élogieux que Ramsay, l’abbé Ledieu, secrétaire de Bossuet , en fait également une relation détaillée lorsqu’il passe par Cambrai en septembre 1704 […] Avec simplicité l’archevêque bénit la table et prend sa place tandis que chacun s’installe, Ledieu à la droite du prélat. Il y a là des amis, des collaborateurs, des secrétaires et aumôniers, des gens de la famille, un écuyer : quatorze personnes en tout, placées sans hiérarchie, ce qui provoque l’étonnement et l’admiration de l’hôte habitué à moins de modestie chez M. de Noailles ! […] Les échanges sont libres, affables et même gais. Comme tous les vrais pessimistes, Fénelon goûte les petits détails comiques, il aime les gens joyeux, et il fait partager avec douceur son enjouement... 464»

Mme Guyon fut libérée, mais comme elle était surveillée, la seule solution fut d'être accueillie à Blois près de son fils. Des amis de toutes nationalités, catholiques et protestants, vinrent y visiter « notre Mère ». La spiritualité y était très cachée : en apparence, une vieille dame recevait ses amis … Ils étaient forcés de vivre la quintessence de la mystique sans aucune forme extérieure. Dans la plus grande simplicité, la grâce faisait partie du quotidien, comme le raconte ce texte par lequel je conclurai :

« Plusieurs Anglais et Écossais protestants firent connaissance avec elle durant son exil à Blois. Ils avaient aussi vu M. de Cambrai et M. Poiret. Ils se rendirent chez elle et mangeaient à sa table, […] Elle vivait avec ces Anglais comme une mère avec ses enfants […] Souvent ils se disputaient, se brouillaient ; dans ces occasions elle les ramenait par sa douceur et les engageait à céder ; elle ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s'en occupaient en sa présence, et lui en demandaient son avis, elle leur répondait : « Oui, mes enfants, comme vous voulez. »  Alors ils s'amusaient de leurs jeux, et cette grande sainte restait pendant ce temps-là abîmée et perdue en Dieu. Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans que, laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d'elle.465 »

Voilà donc une expérience de la grâce au beau milieu de la vie ordinaire.

Cette expérience se situe au-delà des contraires, qu’ils soient politiques (Ecossais en lutte contre les Anglais en 1715, récit précédent) ou religieux (règles d’exclusion observées entre catholiques et protestants). Le respect des religions n’empêchent pas la plongée mystique. Les protestants la vivent en compagnie de « notre Mère » en présence du prêtre catholique envoyé par Mgr Berthier, évêque de Blois ami de l’Archevêque Fénelon, moyennant un peu d’ingéniosité :

« Quand on lui apportait le Saint Sacrement, ils se tenaient rassemblés dans son appartement, et à l’arrivée du prêtre, cachés derrière le rideau du lit, qu’on avait soin de fermer, pour qu’ils ne fussent pas vus parce qu’ils étaient protestants, ils s’agenouillaient et étaient dans un délectable et profond recueillement, chacun selon le degré de son avancement, souvent aussi dans des souffrances assorties à leur état. ».

Si ces mystiques mènent une vie retirée, c'est par nécessité face aux menaces extérieures qui les contraignent à se cacher. Le problème n'est pas pour eux de trouver la vie d'oraison grâce à la retraite hors du monde, mais de se soustraire à l'hostilité du monde envers la mystique.


Bibliographie : sources des citations précédentes et de textes parallèles.

Nous venons d’utiliser des extraits pris au sein des échanges qui lièrent mystiquement madame Guyon à son directeur Monsieur Bertot.

La bibliographie466 qui suit donne les sources de nos citations. Elle ouvre également accès à des échanges antérieurs (P. Chrysostome, Bernières, Mère Mectilde) et postérieurs  (Guyon et disciples, puis « chrétiens intérieurs » du Siècle des Lumières. Limpact de ces échanges entre membres de l’école est de même forte intensité si l’on s’intéresse au vécu mystique intime. Leurs expressions s’avèrent souvent « étrangement » semblables (selon un érudit, Guyon « plagia » Bertot). Ces échanges multiples ont surtout permis de maintenir une filiation vivante sur près de deux siècles.

Les références bibliographiques sont attachées en notes par figures précédemment citées. L’ordre chronologique  se trouve respecté et l’on observe comment elles ont tour à tour oeuvré pour éviter la disparition d’une vie mystique commune. Les ‘partages’ eurent successivement lieu aux Ermitages de Caen467 puis de Québec468, au couvent de Montmartre, à Paris, au sein même du château de Versailles, à Blois, à Cambrai, enfin hors du Royaume .

Les écrits du Père Chrysostome de Saint-Lô469 furent préservés par Jean de Bernières qui l’édita à ses frais à Caen470. Ils incluent des échanges entre eux deux471. Mère Mectilde472 obtint difficilement les écrits « de notre bon Père » gardés par des frères du Tiers Ordre Régulier franciscain qui ne l’estimaient guère. Jourdaine de Bernières préserva les lettres de son frère après la réécriture très libre du Chrétien intérieur473 opérée par le co-rédacteur capucin Louis-François d’Argentan . Madame Guyon474 obtint le transfert d’écrits de Bertot475 grâce probablement à l’intervention de la duchesse de Charost ; pendant ses emprisonnements, elle a réussi à faire préserver par des proches ces écrits et les nombreuses lettres reçues directement de son Directeur mystique. L’éditeur Pierre Poiret devenu disciple a rassemblé et publié presque tous les écrits de Madame Guyon476 malgré l’opposition de certains autres disciples (ils se disputèrent sur l’opportunité de publier une Vie par elle-même très véridique donc peu hagiographique – le « récit des prisons » resta manuscrit). Les bénédictines « filles » spirituelles de Mectilde sauveront durant trois siècles ses lettres et ses « dits » par des copies et recopies multiples, incluant au passage quelques lettres de Bernières, une contribution précieuse qui permet d’évaluer la fidélité de ce qui ne nous est parvenu ailleurs qu’imprimé)477. Enfin d’utiles témoignages sur la vie des « chrétiens intérieurs » sont livrés par des disciples au siècle des Lumières (Fleischbein, Dutoit, Klinckjöström...)478 et en particulier en Ecosse479.

Trois vastes recueils épistolaires s’en détachent. Ils se relaient dans une belle continuité : lettres de Bernières de ~1635 à 1659, lettres de Bertot de 1660 à 1681, recueil que nous venons de mettre en valeur, lettres de Guyon de ~1686 à 1717 . On y trouve les traces, les preuves et surtout l’essentiel mystique de l’Ecole du Coeur.




LES SENTENCES PERSANES APPRÉCIÉES PAR POIRET ET PROBABLEMENT CONNUES DE MADAME GUYON


On sait que Madame Guyon accueillait chrétiens protestants comme catholiques à une époque de tension interconfessionnelle. Son éditeur le Pasteur Pierre Poiret semble avoir apprécié un écho de la vie spirituelle rapporté dans le Voyage en Perse de Chardin publié en 1711.


On trouve à la suite d’une édition des Torrents un choix de Sentences persanes suivies de l’Avertissement suivant : « On a joint ici en guise de suplement une petite piece très estimée de feu le celebre Poiret ; et que surement, il tenait de la même precieuse source, dont lui sont venu [sic] tant d’autres immortels écrits publiés successivement par son entre-mise. Du moins devait-il être bien sur, que l’éditeur des Torrens avoit accordé une grande approbation à cette piece. » [accentuation incertaine respectée]


Madame Guyon aurait ainsi apprécié un écho spirituel provenant du pays où régnait le « Grand Soufi 480», en allant au-delà de la curiosité générale provoquée par une ambassade auprès de notre « Grand Roi » ? Elle pouvait les lire ou se les faire lire dans une retraite à Blois qui s’achève en 1717. L’hypothèse reste incertaine – elle n’est pas confirmée dans quelque lettre qui nous soit parvenue. On sait que Poiret, fidèle à « notre Mère » et fort apprécié d’elle sinon de tous les « cis » , n’aurait mis en péril ses disciples par une juxtaposition qui pouvait être scandaleuse pour certains. Que s’est-il passé ?


La recherche opérée sur les éditions conduit à deux textes de même corps et même paginations donc de même imprimeur. On relève quand même un léger décalage de ligne, indiquant une reprise d’impression : Poiret a disparu en 1723 mais ses proches poursuivirent son œuvre, par exemple en éditant Bertot en 1726 soit trois ans après sa mort. Ils auraient réédité les Opuscules spirituels en incluant la « petite pièce très estimée » de leur ami.


La dernière page 272 des « Torrents » diffère en effet en bas de page par « SEN- » (repère d’imprimerie pour « Sentences » qui suivent dans de rares éditions découvertes par Jean Bruno, conservateur à la B.N. : un exemplaire à la B.N. de Versailles, un autre à la Bibliothèque d’Orléans) ou par « TA- » (Pour « Table des chapitres » qui suivent dans l’édition  de 1720 courante : nombreux liens sous Google books). La rareté des exemplaires « SEN- » explique que l’on ignore cette preuve d’un intérêt oecuménique !


Les « Sentences persanes »couvrent les pages 273 à 283 l’avertissement suivant en 285 non paginée.


c’est un choix opéré dans Chardin. Dans (mon) édition de 1723 faite à Rouen, on relève : tome V pages 165 à 189 s’achevant sur un renvoi à des inscriptions relevées au tome précédent III pages 53 à 72… Je n’ai pas fait une comparaison qui serait certainement éclairante.


Extraits (12 sur 42 ) :


« La source du plaisir est dans le sein de l’objet aimable. Pour moi je ne travaille à autre chose qu’à me jeter à corps perdu dans cet abîme.


« Ser vir Dieu par intérêt c’est un service de marchand, par crainte est un service d’esclave ; par amour, c’est un service d’homme libre.


« En cet océan mille navire ont coulé bas dont on n’a pas trouvé une planche sur le rivage. Quel profit de passer les jours et les nuits la tête inclinée sur cet abîme !


« A un de ces oiseaux de Paradis, on couvre les yeux comme à un faucon. Et à celui à qui on laisse les yeux ouverts les ailes sont coupées. Personne n’a trouvé le chemin pour aller à ce trésor, car si quelqu’un l’a trouvé il s’est perdu.


« Une goutte d’eau tomba de la nue dans la mer ; elle demeura toute étourdie en considérant l’immensité de la mer. … Surement où la mer est, je ne suis qu’un vrai rien … elle devint la perle fameuse de la couronne du Roi.


« Rien n’est plus intime à l’homme que Dieu, et rien cependant qui lui soit moins connu ; chose étrange !


« Celui qui s’embarque dans la contemplation de l’Unité de Dieu, après avoir vogué longtemps sur l’océan de la multiplicité des êtres, arrive au port de cette Union, qui rassemblant tous les objets différens n’en fait plus qu’un/


« L’Unité ne se trouve que dans ce qui est nécessaire et éternel…


« L’Amour est proprement une pente et une inclination au seu l et véritable Bien, pour sa souveraine beauté … Lorsque Dieu contemple sa propre esssence dans le miroir de son essence même, sans le milieu d’aucune autre substance, c’est alors qu’il produit de toute Eternité ce premier amour.


« [sur un tombeau d’un Roi de Perse] Tout ce qui n’est pas Dieu n’est rien.


« L’Amant qui se plaint d’être séparé de son objet et voudrait vivre toujours dans l’union et la puissance, n’est pas véritable amant ; puis qu’il ne se résigne pas au bon plaisir de ce qu’il aime.


« Le comble du plaisir est d’être uni à l’objet qu’on aime. Pour moi je ne travaille à autre chose qu’à me jeter à corps perdu dans cet abîme.



UNE PRÉSENTATION DE JEANNE-MARIE GUYON POUR ANTHOLOGIE THÉOLOGIQUE.

Au XVIIe siècle, le « faire croire » est en crise depuis la division des Églises et la prise en compte d’un univers sans limites, dépourvu de centre, autonome dans ses mouvements, pouvant inclure des vides 481. Les rôles fondateurs de l’expérience physique et de la raison qui l’analyse, s’imposent devant celui des autorités. Ne pouvant plus ignorer la variété des systèmes religieux et chassé du monde clos, hiérarchisé et homogène, si bien décrit par Dante, chacun doit trouver sa voie ; elle conduit souvent à l’individualisation de la relation avec Dieu par recours à l’expérience d’un monde tout intérieur. Mais le frein apporté par des structures politiques et religieuses, dont représentations et fonctions sont mises en cause, rejette beaucoup de ceux qui la vivent au sein de minorités quiétistes ou piétistes.

Madame Guyon (1648-1717) est une mystique catholique qui fut ouverte sur le monde protestant, ce qui reste très exceptionnel. Persuadée que seule une expérience intérieure peut enraciner la foi, elle crut devoir prendre le risque de l’expliciter. Elle dirigea à la fin de sa vie des protestants aussi bien que des catholiques et son œuvre fut éditée à deux reprises par des pasteurs 482. Nous proposons deux extraits s’adressant aux uns et aux autres.

Le premier provient du Moyen court, un livret très apprécié de ses contemporains catholiques. Cet « Avertissement destiné aux Pasteurs et prédicateurs 483 » replace ceux-ci devant leur tâche première : « enseigner à faire oraison » non par raisonnement mais par le cœur.

Mais en voulant inverser l’équilibre en faveur du vécu intérieur, en proposant d’instruire de cette sorte « les bergers … les laboureurs », ne risque-t-on pas de faire prévaloir la « foi du charbonnier », voire d’inciter à des « enthousiasmes » sans lien solide avec les bases scripturaires chrétiennes ?

Le second extrait provient des Explications484, œuvre très ample qui exerca une influence en milieu protestant 485. Il commente la première Béatitude, en faisant un usage tout intérieur et mystique du texte. Madame Guyon s’appuie sur une connaissance très approfondie des Écritures comme des mystiques. Elle prend avec maîtrise la suite d’une longue tradition juive et chrétienne d’interprétation symbolique, qui va disparaître pour laisser place aux approches « scientifiques », et décrit la voie mystique qui procède de l’oraison.

Avertissement destiné aux Pasteurs et prédicateurs.

1. Si tous ceux qui travaillent à la conquête des âmes tâchaient de les gagner par le cœur, les mettant d’abord en oraison et en vie intérieure, ils feraient des conversions infinies et durables. Mais tant que l’on ne s’y prend que par le dehors et qu’au lieu d’attirer les âmes à Jésus-Christ, par l’occupation du cœur en Lui, on les charge seulement de mille préceptes pour les exercices extérieurs ; il ne se fait que très peu de fruit et il ne dure pas.

Si les curés de la campagne avaient le zèle d’instruire de cette sorte leurs paroissiens, les bergers, en gardant leurs troupeaux, auraient l’esprit des anciens anachorètes ; et les laboureurs, en conduisant le socle de leurs charrue, s’entretiendraient heureusement avec Dieu. Les manœuvres qui se consument de travail en recueilleraient des fruits éternels. Tous les vices seraient bannis en peu de temps, et tous leurs paroissiens deviendraient spirituels.

2. […] Les hérésies sont entrées dans le monde par la perte de l’intérieur. Si l’intérieur était rétabli, elles seraient bientôt ruinées. L’erreur ne s’empare des âmes que par le manquement de foi et de prière. Si on apprenait à nos frères égarés à croire simplement et à faire oraison, au lieu de disputer beaucoup avec eux, on les ramènerait doucement à Dieu. […]

3. On s’excuse sur ce que l’on dit qu’il y a du danger dans ce chemin, ou que les gens simples sont incapables des choses de l’esprit. L’oracle de la vérité nous assure du contraire : Le Seigneur (dit-il) met son affection en ceux qui marchent simplement. Mais quel danger peut-il y avoir à marcher dans l’unique voie, qui est Jésus-Christ, se donnant à Lui, Le regardant sans cesse, mettant toute sa confiance en Sa grâce et tendant de toutes nos forces à Son plus pur amour ?

4. Loin que les simples soient incapables de cette perfection, ils y sont même plus propres, parce qu’ils sont plus dociles, plus humbles et plus innocents, et que, ne raisonnant pas, ils ne sont pas tant attachés à leurs propres lumières. Étant de plus sans science, ils se laissent mouvoir plus aisément à l’Esprit de Dieu. Au lieu que les autres, qui sont gênés et aveuglés par leur propre suffisance, résistent beaucoup plus à l’inspiration divine.

Aussi Dieu nous déclare que c’est aux petits qu’Il donne l’intelligence de Sa loi. Il nous assure encore qu’Il aime à converser familièrement avec les simples 486. Le Seigneur garde les simples : j’étais réduit à l’extrémité, et Il m’a sauvé 487. Que les pères des âmes prennent garde de ne pas empêcher les petits enfants d’aller à Jésus-Christ. Laissez venir (dit-Il à ses Apôtres) ces petits enfants, car c’est à eux qu’appartient le Royaume des Cieux 488. Jésus-Christ ne dit cela à ses apôtres que parce qu’ils voulaient empêcher les enfants d’aller à Lui.

5. Souvent on applique le remède au corps et le mal est au cœur. La cause pour laquelle on réussit si peu à réformer les hommes, surtout les gens de travail, c’est que l’on s’y prend par le dehors et que tout ce que l’on y peut faire passe aussitôt. Mais si on leur donnait d’abord la clef de l’intérieur, le dehors se réformerait ensuite avec une facilité toute naturelle.

Or cela est très aisé. Leur apprendre à chercher Dieu dans leur cœur, à penser à Lui, à y retourner s’en trouvant distraits, à tout faire et tout souffrir à dessein de Lui plaire, c’est les appliquer à la source de toutes les grâces et leur y faire trouver tout ce qui est nécessaire pour leur sanctification.

6. […] Faites des catéchismes particuliers pour enseigner à faire oraison, non par raisonnement ni par méthode (les gens simples n’en étant pas capables), mais une oraison de cœur et non de tête, une oraison de l’esprit de Dieu et non de l’invention de l’homme.

7. Hélas ! On veut faire des oraisons étudiées ; et pour les vouloir trop ajuster, on les rend impossibles. On a écarté les enfants du meilleur de tous les pères pour avoir voulu leur apprendre un langage trop poli. Allez, pauvres enfants, parler à votre Père céleste avec votre langage naturel : quelque barbare et grossier qu’il soit, il ne l’est point pour Lui. Un père aime mieux un discours que l’amour et le respect met en désordre, parce qu’il voit que cela part du cœur, qu’une harangue sèche, vaine et stérile, quoique bien étudiée. O que de certaines oeillades d’amour le charment et le ravissent ! Elles expriment infiniment plus que tout langage et tout raisonnement.

8. […] L’Esprit de Dieu n’a pas besoin de nos ajustements. Il prend quand il Lui plaît des bergers pour faire des prophètes. Et bien loin de fermer le palais de l’oraison à quelqu’un, comme on se l’imagine, Il en laisse au contraire toutes les portes ouvertes à tous, et la Sagesse a ordre de crier dans les places publiques : Quiconque est simple, vienne à moi et elle a dit aux insensés : Venez, mangez le pain que je vous donne, et buvez le vin que je vous ai préparé 489. Jésus-Christ ne remercie-t-Il pas son Père de ce qu’il a caché ses secrets aux sages, et les a révélé aux petits 490 ?

Explication de la première Béatitude.

Cette première béatitude 491 renferme seule toute la perfection et la consommation de la perfection même. Une vive pénétration de cette sentence de Jésus-Christ a donné lieu aux spirituels et aux mystiques de dire de si belles choses touchant la pauvreté d’esprit à laquelle ils ont donné divers noms, de dépouillement, d’appauvrissement, de nudité, de perte, de mort, d’anéantissement. Tout ce que l’on en dit est bien véritablement fondé sur cette déclaration du Fils de Dieu, et tout ce qui s’en peut dire ne s’approche pas de ce que c’en est dans la vérité ; mais nul ne peut pénétrer le sens de ces profondeurs s’il n’a le courage de se donner à Dieu sans réserve pour les pratiquer.

J’en dirai ici quelque chose selon qu’il plaira au Père des lumières de me l’inspirer. Jésus-Christ met cette béatitude au premier rang et à la tête des autres, comme celle à laquelle elles doivent toutes se rapporter. La pauvreté d’esprit ne s’entend pas seulement du détachement d’affection des richesses comme plusieurs l’expliquent : elle s’étend de plus à un appauvrissement général de toute l’âme, et de tout l’esprit et jusqu’à une désappropriation entière et absolue et une perte de tout propre intérêt. Il faut que cette pauvreté se répande sur les trois puissances de l’âme et qu’elle pénètre même sa substance et son centre pour les dépouiller de tout ce qu’elles possèdent avec attache et les réduire dans une parfaite nudité.

Comme parmi les pauvres de biens extérieurs, il y en a de plus ou moins pauvres, les uns étant dans une extrême indigence et dans la dernière disette, les autres possédant encore quelque chose pour peu que ce soit, de même l’appauvrissement d’esprit est plus ou moins poussé, selon le dessein de Dieu sur les âmes : les uns ne passent que par les premiers dépouillements des sens, quelques-uns vont jusqu’au dépouillement des puissances, mais il en est peu qui vont jusqu’au dépouillement central et à la pauvreté du fond qui est l’entier anéantissement.

Il y a des biens qui sont hors de l’homme, tels que sont les temporels : il y en a d’autres qui sont en lui comme la santé et la beauté. La pauvreté est plus ou moins grande selon qu’elle lui arrache plus des uns ou des autres. L’esprit a de même des biens qui sont hors de lui, comme l’honneur, la réputation, l’estime et l’affection des créatures ; et il y en a qui sont en lui-même, à savoir toutes les richesses des sens intérieurs et des puissances de l’âme, la science, le discernement, la vertu et le reste. Dieu voit que ces biens possédés avec propriété, par une avidité naturelle et impure, au préjudice de la souveraineté de Son amour, empêchent que l’homme puisse posséder le Royaume des cieux, qui n’est autre que Dieu même, le dépouille de tout cela afin qu’il apprenne à donner à Dieu seul la préférence de son estime et de son amour, sans laquelle il est impossible qu’il jouisse de Dieu. Car il est sûr que Dieu ne remplit un cœur de Soi-même qu’autant qu’il est vide et dénué de ce qui pourrait l’attacher, l’amuser ou le partager : tout autre cœur ne serait pas digne de Lui. C’est pourquoi Jésus-Christ déclare que notre béatitude consiste à être pauvres d’esprit, c’est-à-dire que quiconque est parfaitement détaché de tout bien créé est heureux, puisque dès lors le bien souverain, Dieu et tout ce qu’Il est, est à lui.

Dieu commence donc par dépouiller les sens intérieurs, l’imagination et la fantaisie de leurs formes, figures et images et de leurs activités naturelles, et la partie inférieure de l’âme de ses passions. Puis il dépouille l’entendement de ses conceptions, raisonnements et réflexions, de sa subtilité à pénétrer les choses et de la facilité qu’il avait autrefois à exercer ses fonctions ; Il le prive même des dons surnaturels dont Il l’avait gratifié pour un temps, comme des illustrations, extases, visions et révélations. Il dépouille la mémoire de ses idées naturelles ou surnaturelles, des sciences acquises ou infuses, du souvenir des choses passées et de celles qui arrivent de jour en jour, en sorte que toute mémoire semble perdue. Il dépouille la volonté de tout désir, penchant, choix, inclination, affection ou attache à quoi que ce soit : elle croit même perdre toutes les grâces, vertus, dons et biens spirituels sensibles ou aperçus ; enfin toute l’âme est tellement appauvrie qu’elle ne trouve plus rien non seulement qui l’enrichisse, mais même qui la nourrisse et qui la soutienne, en sorte que, se trouvant dans l’impuissance d’agir et de tirer de ses puissances leurs actes ordinaires, elle tombe en défaillance et il lui semble qu’elle a perdu l’esprit et qu’elle n’a plus ni être ni vie. Aussi ce dépouillement s’appelle-t-il une mort : ou la mort des sens, si c’est une privation de leurs plaisirs et inclinations naturelles et de la vivacité avec laquelle ils se portent sur leurs objets ; ou la mort des puissances, l’âme perdant la facilité de s’en servir, en sorte qu’elles semblent être perdues et qu’elles ne se trouvent plus : ou enfin la mort de l’âme, en ce qu’elle se trouve privée de ses fonctions sensibles et aperçues qui faisaient sa propre vie.

Mais cet appauvrissement, quelque extrême qu’il paraisse, ne suffit pas encore. Dieu appauvrit ensuite cette âme de toute propriété centrale, de toute passion secrète et profonde, de toute attache aux choses les plus saintes, de tout amour naturel de ce qui n’est point Dieu, enfin de toute vie et de tout être propre, de sorte qu’elle ne se trouve plus en quoi que ce soit, ni pour quoi que ce puisse être ; c’est comme une cessation d’existence et de subsistance propre pour n’exister et ne subsister plus qu’en Dieu ou, plutôt, tout être propre est ici si fort anéanti quant à sa propriété, opposition et consistance en soi-même qu’il faut nécessairement que, par la perte de tout être propre, l’âme recoule dans le Souverain Être où tous les êtres possibles sont renfermés lorsque Ils n’ont point d’opposition à n’exister qu’en Dieu. Mais lorsque ils ont une opposition foncière, comme celle de la propriété, ils existent bien en Dieu nécessairement, à cause de Son immensité qui renferme toute chose ; mais ils n’y existent pas en unité, ni par l’union d’agrément, qui fait comme un mélange sans distinction de l’être créé avec l’incréé, rien ne l’empêchant plus de se rejoindre à son origine, quoique toujours avec la disproportion essentielle de la créature au créateur, au lieu que les autres créatures propriétaires, ou pécheresses, existent en Dieu par nécessité d’être et de dépendance, mais avec éloignement, ou opposition de cœur. Je ne sais si j’aurai expliqué ceci de manière qu’il puisse être entendu.

Ces pauvres d’esprit par la perte de leur propriété reçoivent en propre le Royaume du ciel, qui est Dieu même. Dieu règne en eux, et ils règnent en Dieu. Dieu les possède, et ils possèdent Dieu. La possession et la récompense sont proportionnées à la pauvreté qui les a méritées, et la pauvreté d’esprit, étant arrivée jusqu’à la perfection que je viens de décrire, ne mérite rien moins que Dieu : non par un mérite de dignité ou de justice, car la pauvreté, le vide et le néant ne méritent rien, quoique l’âme qui aime à s’y voir réduite pour la gloire de Dieu, mérite tout auprès de Lui, mais par un mérite de disposition et de rapport, car le seul Tout peut remplir le vide du néant. […]

FIN

1 La Vie écrite par elle-même et autres textes biographiques, éd. par D. Tronc, Champion, coll. « Sources classiques », Paris-Genève, 2001 ; Correspondance : vol. I Directions spirituelles, vol. II Combats, vol. III Mystique, éd. par D. Tronc, Champion, coll. « Bibliothèque des Correspondances », à paraître. – Autres textes, v. La Vie…, op. cit., Bibliographie de Madame Guyon, pp. 1103-1113, dont Les Opuscules spirituels, Georg Olms, 1978 [qui incluent Le Moien court et Les Torrens] ; Madame Guyon : la passion de croire, choix de textes par M.-L. Gondal, 1990 ; Le Moyen court et autres récits…, éd. par M.-L. Gondal, Millon, Grenoble, 1995 ; De la Vie intérieure, choix de quatre-vingts Discours spirituels […], éd. par D. Tronc, Phénix - La Procure, Paris, 2000. 

2  Brèves informations sur cette filiation au sein de « l’école des mystiques normands » dans : Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913 ; P. Pourrat, Dictionnaire de Spiritualité (Dict. Spir.), tome I, col. 1537-1538, art. « Bertot » (1937) et du même auteur, La Spiritualité Chrétienne, IV Les temps modernes, Lecoffre, Paris, p. 183 (1940, pub. 1947) ; R. Heurtevent, L’œuvre spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, Paris, 1938, p. 63 ; I. Noye, article « Enfance de Jésus », Dict. Spir., vol. 4, col. 676 (1959) ; J. Le Brun , article « France », Dict. Spir., vol. 5, col. 948 (1962) ; il faut y adjoindre les notes rassemblées par le P. Berthelot du Chesnay qui préparait une grande étude sur Bernières (Fonds du Chesnay, Archives Eudistes).

3 Voir E. Goichot, Henri Bremond historien du sentiment religieux, Ophrys, Paris, 1982, p. 275.

4 L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958, p. 7. On dispose toutefois de sa contribution au Dict. Spir., art. « Guyon », ainsi que de l’ouvrage de M.-L. Gondal, Madame Guyon, un nouveau visage, Beauchesne, Paris, 1989.

5 Histoire Générale et particulière du Tiers Ordre de S. François d’Assize, par le R.P. Jean Marie de Vernon, Religieux pénitent du tiers ordre de saint François, Paris, 1667, tome troisième, p. 76.

6 Id., p. 118.

7 Id., p.141.

8 Nous avons repérés sept exemplaires des écrits « composés par un Religieux [le P. Chrysostome] d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes » : un des trois ex. de la B. M. de Valognes comporte son portrait gravé (réf. C4837) ; un ex. est à la B.N.F. ; trois ex., consultés à Chantilly, sont actuellement à Lyon. Ils se ramènent - l’ordre des matières peut varier - à deux titres : Divers traités spirituels et méditatifs à Paris, 1651 ; Divers exercices de piété et de perfection, composés par un religieux d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes, à la plus grande gloire de Dieu et de NSJC, à Paris, 1655. De nombreux autres titres, que nous n’avons pu localiser, sont donné par Boudon, Œuvres II, Migne, col. 1320 ss.

9 Divers traités…, « Pensées d’éternité… », chap. V, pp. 85-89.

10 Id., traité second, « De la Sainte désoccupation… »p. 179.

11 Id., p. 178.

12 L’homme intérieur ou la vie du vénérable père Jean Chrysostome, religieux pénitent du troisième ordre de S.François, [par Henri-Marie Boudon], à Paris, 1684, extraits des pp. 337, 340, 372, 377, 378.

13 Bernières, Œuvres Spirituelles II, 282 (lettre du 15 février 1647 probablement adressée à Mectilde du Saint-Sacrement). Voir aussi Œuvres Spirituelles II, 121 : lettre du 25 août 1653 : « Vous savez [...] que le Père Chrysostome avait réglé ma conduite, et que la vie pauvre et contemplative devait être mon occupation. » Il existe deux belles correspondances : brève entre Catherine de Bar et Chrysostome, abondante entre Catherine et Bernières (transcriptions rassemblées au monastère de Rouen à partir des mss. 101, 115, Dumfries13, Paris160).

14 Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913 ; R. Heurtevent, L’œuvre Spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, 1938 ; L. Luypaert, « La doctrine spirituelle de Bernières et le Quiétisme », Revue d’Histoire Ecclésiastique, 1940, pp. 19-130.

15 Etablir une édition critique proche des liasses manuscrites perdues paraît illusoire. Notre projet d’un choix de textes utilise les Œuvres spirituelles en deux volumes (Maximes puis Lettres), réunies par monsieur de Saint-Gilles, frère de Michelle Mangon, la fille spirituelle de Jean de Bernières, puis accessoirement Le Chrétien intérieur en huit livres, en privilégiant les textes datés des Pensées. L’édition tardive du Chrétien intérieur en deux livres est inutilisable, le P.d’Argentan ayant eu tout le temps de défigurer sa source. Nous pensons que les lettres ont constitué la principale source des Chrétiens... De précieuses sources manuscrites existent pour les lettres (Rouen, Dumfries,Tourcoing).

16 Souriau, Deux mystiques…, p. 92 ; Boudon, Œuvres I, Migne, p. 77.

17 Renty précède Pascal (1623 - 1662) auquel – au génie près – il fait penser : Voir Gaston de Renty, Correspondance, éd. par R. Triboulet, Desclée de Brouwer, 1978.

18 Souriau, Deux mystiques, p. 112 ; Boudon, Œuvres II, Migne, p.1311.

19 Souriau, Deux mystiques, p. 196.

20 Bernières, Chrétien Intérieur, p. 565.

21 Bernières, Œuvres Spirituelles, II, p. 122.

22 Lettre au marquis de Fénelon de mars 1717 : « …vous serez dans la maison du petit Maître tant que vous le voudrez et pourrez. Si les bons Ecossais viennent, vous pourrez découcher et descendre dans le bas, car je fais de vous comme des choux de mon jardin. »

23 Bernières, Œuvres Spirituelles, II, p. 364.

24 Dom Oury, Marie de l’Incarnation, Mémoires de la Société Archéologique de Touraine, tome LVIII, 1973, pp. 280 et suivantes.

25 Dom Oury, Marie de l’Incarnation, op. cit., p. 320 ; v. aussi Dict. Spir., vol. 10, col. 490.

26 Souriau, Deux mystiques…, op. cit., p. 376.

27 Lettre au duc de Chevreuse du 10 janvier 1693 : « La Mère du Saint-Sacrement est celle dont je vous ai parlé, qui est l’Ins[ti]tutrice de cet ordre, fut de mes amies et [est] une s[ain]te. » - Fénelon écrira à l’occasion de sa mort : « Conservez la simplicité […] que notre chère Mère vous a enseignée. »

28 Daoust, Catherine de Bar…, Paris, Téqui, 1979 - de Catherine de Bar : Documents historiques, par les bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen, 1973 ; […] ; Catherine de Bar 1614-1698, Téqui, 1998 [v. la revue bibliogr. par Dom J. Letellier, p. 11-96].

29 Conférence de L. Cognet, pp. 26-27, dans Catherine de Bar : Documents historiques, op. cit.

30 Œuvres spirituelles , II, « Voie illuminative » : lettres 25, 30 à 32,  et « Voie unitive » : lettres 43 à 48, 50, 51, 59, 6. Les lettres de Bernières furent publiées en suivant l’ordre classique des trois voies.

31 Lettre 43. Les indices sont ténus par suite du nettoyage éditorial auquel n’échappe que des éléments fondus dans le texte tels que la prêtrise de Bertot, son éloignement à Paris, l’envoi d’un écrit… Nous ne pouvons entreprendre ici de prouver l’id.entification qui pose quelque problème si l’on prend en compte la jeunesse de Bertot : il n’est toutefois pas impossible à quelques uns de commencer tôt la vie mystique. Du point de vue du fond, Bertot répète Bernières comme Guyon répétera Bertot. (v. Dict. Spir., art. « Bertot » où Heurtevent suppose un aménagement du style de ce dernier par Madame Guyon).

32 Œuvres spirituelles, II, « Voie illuminative », lettre 30 (1652) - Bertot écrira à Madame Guyon : « Puisque vous voulez bien que je vous nomme ma Fille […] je vous traite en cette qualité, vous donnant ce que j’estime le plus, qui est un profond silence. » (Le Directeur Mystique, vol. IV, lettre 71.)

33 Œuvres spirituelles , II, « Voie unitive », lettre 61.

34 Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, BNF, F. Fr. 11 911, f°. 34-35 : « ...il s’appelait Jacques Bertot natif de St Sauveur de Caen, fils de Louis Bertot et de Judith Le Mière […] Louis Bertot était m[archan]d drappier de profession à Caen. Il quitta le négoce environ l’année 1640 vivant de son bien qui est scis en la paroisse de Tracy proche Villers » - Dans les archives notariales du couvent des ursulines fondé par Jourdaine de Bernières une « liasse à 24 pièces » est relatives aux ventes de parcelles de terres de la paroisse de Tracy à Louis et Philippe Berthot, des années 1495 à 1601(Arch. Départ. de Caen, 2H249), témoignage silencieux d’un don de Bertot.

35 En fait Caen.

36 Notre Bertot, que nous trouvons orthographié Bertaut par Saint-Simon, Berthod par Bremond etc., porte un nom normand courant. L’on trouve ainsi parmi les bienfaiteurs des missions de Jean Eudes : Bertaut (Bertin), un prêtre originaire de Valognes, Bertout (Claude), chanoine de la cathédrale de Coutances mêlé aux affaires relatives à Marie des Vallées… (du Chesnay, Les missions de Saint Jean Eudes…,1967, Procure des Eudistes, app. I, p. 326.)

37 Page 126 des « Annales de ce monastère de Ste Ursule de Caen établi en 1624 le 26 février et on vint en cette maison le 13 juillet 1636 / Sous le gouvernement de la Rnde Mère Jourdaine de Bernières de Louvigny dite de Ste Ursule première supérieure de cette maison, en charge pour lors / tout ceci recueilli par la mère Madeleine de Ste Ursule de Bernières Louvigny sa nièce. En l'année 1714 qu'elle était zélatrice et secrétaire du chapitre. » Ce manuscrit, trésor des ursulines du Pensionnat Saint Pierre de Caen, porte quelques traces de brûlures : il fut sauvé en 1944 d’un bombardement où deux des trois sœurs du couvent des ursulines descendant de celui fondé par Jourdaine de Bernières trouvèrent la mort. Paginé de 1 à 598, il retrace jusqu'en 1738 les événements marquants de la communauté ; seule une copie tardive, peu fidèle, fut utilisée par Souriau. Rédigées avec intelligence, ces Annales mériteraient une édition.

38 Id., p.156.

39 Annales…, op. cit., pp. 209 et 212. Nous omettons les intéressantes péripéties de ce qui fut perçu comme un affrontement par les sœurs du monastère.

40 L’Addition de la fin du vol. II du Directeur Mystique rapportant les Conseils d’une grande servante de Dieu… Marie des Valées [sic], renvoie aux deux lettres que nous citons : 40 et 64 du même vol. II ; on connaît par ailleurs les liens étroits entre Marie des Vallées, Jean Eudes, Bernières, Renty.

41 Le Directeur Mystique, vol. II, lettre 64, p. 349 ; voir Madame Guyon, Torrents, Chapitre 3, §1 : « ...ces grandes rivières qui vont à pas lents et grave... » qui contrastent avec le torrent impropre aux charges. – v. aussi du même Bertot : « Et remarquez bien une belle parole que m’a dite autrefois une âme très unie à sa Divine Majesté, savoir, que les montagnes recevaient bien les pluies, mais que les seules vallées les gardent, fructifient et en deviennent fertiles. » (DM, vol. II, lettre 40, p. 234.). 

42 Directeur Mystique, vol. III, page 506 : une lettre est écrite en 1674 à un dirigé canadien.

43 Catherine de Bar, Lettres inédites, Bénédictines du Saint Sacrement, Rouen, 1976, pp. 183-184 puis p. 192.

44 Archives du monastère de Dumfries, Ecosse, pièce D 13, p. 51-53. (Le monastère des Bénédictines de Rouen possède une copie de ces archives).

45 Annales…, op. cit., p. 261.

46 Le Denys des mystiques que la légende fait venir à Paris – l’auteur ancien le plus souvent cité par Madame Guyon dans ses Justifications.

47 E. de Barthélemy, Recueil des Chartes de l’abbaye royale de Montmartre, Champion, 1883, p. 16. Cette description de la tumultueuse réforme est donnée dans l’ Introduction.

48 « Madame de Beauvilliers mourut dans son abbaye le 21 avril 1657, à 83 ans, après 60 années d’abbatiat », E . de Barthélemy, Introduction au Recueil..., p. 19. Voir la mère de Blémur, Eloges de plusieurs personnes illustres en piété de l’ordre de St Benoît, 1679, 143-184.

49 Exercice divin, ou pratique de la conformité de notre volonté à celle de Dieu, par R[évérende] M[ère] M[arie] D[e] B[eauvilliers]. A Paris, chez Fiacre Dehors, 1631, chapitre X p. 65 ; J. Orcibal, Benoît de Canfield, La règle de perfection, PUF, 1982, souligne, p. 16, la reprise par Marie de Beauvilliers de l’Abrégé de la Règle.

50 Françoise-Renée de Lorraine (1629 – 1682), abbesse de Montmartre ; fille de Charles de Lorraine, duc de Guise, de Joyeuse, pair de France... - Bertot est en relation avec deux membres de la famille de Guise, l’abbesse et l’altesse [Mademoiselle de Guise] : « Il fut confesseur et Directeur des Ursulines […] envoyé à Paris pour leurs affaires, il y fut arrêté par Madame l’Abbesse de Montmartre et par Mademoiselle de Guise, touchées de son élévation dans les voyes de Dieu… » Huet, Origines… op. cit. ; v. aussi Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, op. cit.

51 E. de Barthélemy, Introduction au Recueil..., p. 22.

52 Incluant Mgr Pallu, qui demande l’avis de Bertot en 1667 sur un projet de congrégation apostolique, puis de Surate en 1672 sur un auteur spirituel portugais. Mgr Pallu s’était embarqué avec le neveu du père de Mme Guyon,  Philippe de Chamesson-Foissy, dont la rencontre en 1661 avec cette dernière, encore toute jeune, fut importante (Vie par elle-même… 1.4.6).

53 Dont nous trouvons cité seulement quelques figures illustres : M. de Noailles : il s’agit d’Anne, marié en 1645 à Louise Boyer très pieuse, 1er duc de Noailles en 1663, mort en 1678 ; M. le duc de St Aignan : il s’agit de François de Beauvilliers et de St Aignan, 1er duc de Saint-Aignan en 1663 (v. 1608 - 1687) ; M. de duc de Beauvilliers : il s’agit de Paul de Beauvilliers, duc de St Aignan, dit de Beauvilliers (1648 – 1714) qui épouse en 1671 Henriette-Louise Colbert (+ 1733) couple en relation étroite avec Madame Guyon comme celui de Chevreuse. On comprend comment cette dernière « reprit » la direction du cercle à son retour de voyages. Nous nous reportons à Ch . Levantal, Ducs et Pairs et duchés-pairies laïques à l’époque moderne (1519-1790), Maisonneuve et Larose, 1996.

54 Annotation relevée sur l’exemplaire (unique) de Chantilly.

55 Orcibal, note 1 à la lettre no. 78, p. 200, de l’édition de la Correspondance de Fénelon, tome III.

56 On se reportera pour Le Directeur Mystique aux exemplaires des éditions de Poiret repérés par  M. Chevallier, Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, tome V, Koerner, Baden-Baden, 1985 ; pour les autres titres, nous indiquons dans les notes qui suivent les exemplaires que nous avons repérés.

57 On trouve ce titre dans la correspondance de Huet à F.Martin : « Il y a eu un nommé M. Bertot, prestre, natif de Froide-Rue, parent de M. Le Myère [de Basly], qui a écrit de la Contemplation, et qui a esté abbé de Saint-Gildas. » (Rev. Cath. de Normandie, t. V, 15 sept. 1895, p.107 citée par du Chesnay.) - Une allusion à un livre inconnu est faite page 170 de la Conclusion des Retraites : « Nous avons déjà parlé un peu de cela en un autre livre… » Il ne peut ici s’agir des deux livres de Retraites désavoués en préface - Mais il pourrait s’agir du cinquième traité publié dans le premier volume du Directeur Mystique sous le titre « Degrés de l’oraison… ».

58 Diverses Retraites où une âme après avoir connu son désordre par la lumière du Saint Esprit, se résoud à le quitter, et embrasser le chemin de la sainte perfection, A Paris, pour Madame l’Abesse (sic) de Montmartre, in-16, Avertissement, Trois dispositions, approbations: 60 pages non numérotées ; suivies de quatre retraites : pages 1 à 384 - Nous avons retrouvé un second exemplaire des Diverses retraites… à Valogne, Bibl. Municipale, C 6785 (signalé par du Chesnay).

59 Continuation des Retraites dans lesquelles l’âme puisera des lumières pour travailler solid.ement à sa perfection, seconde partie, Paris, pour Madame l’Abesse (sic) de Montmartre, in-16, table suivie de cinq retraites : pages 375 (sic) à 855. (cotes A 401/677-678 des Fontaines de Chantilly ; maintenant à Lyon);

60 Conclusion des Retraites où il est traité des degrés et des états différens de l’Oraison, et des moyens de s’y perfectionner, A Paris, chez Jean-François Dubois, rue Saint-Jacques, à la Reyne du Clergé & à l’Image S. Denis, vis-à-vis S. Yves, 1684, [in-16, 210 pages. Une annotation moderne en vis-à-vis de la page de titre rectifie comme suit une autre annotation moderne elle aussi portée sur la page de titre elle-même : « Le livre de Jacques Bertot est écrit pour Françoise-Renée de Lorraine et non par elle... »].

61 Le P. A. Derville, S.J., nous écrivait en 1997 : « De Bertot [...] nous avons aussi 3 petits livres (dont l’unique exemplaire connu de La conclusion…) donnant des retraites aux religieuses bénédictines de Montmartre en 1660 et 1680 ; ces livres sont anonymes… »

62 Le directeur MISTIQUE [sic], ou les œuvres spirituelles de monsr. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Made. Guion, avec un recueil de Lettres Spirituelles tant de plusieurs Auteurs anonime, que du R.P. Maur de l’Enfant Jésus, Religieux Carme, & de Madame Guion, qui n’avaient point encore vu le jour. Divisé en Quatre volumes, A Cologne, Chez Jean de la Pierre. 1726. [respectivement de 453pp., 430pp., 526pp., 368pp., disponibles à Paris aux A.S.-S. et à la B.N.F.].

63 Le Directeur Mistique ou Extrait des oeuvres Spirituelles de Monsr. Bertot. Ami intime de feu Mr Bernières et directeur de Mad. Guyon, tiré des quatre volumes de ces mêmes oeuvres de Mr. Bertot imprimé à Cologne 1726. A Berlebourg, imprimé par Christoffle Michel Regelein, 1742.

64 Ainsi Madame Guyon écrivant au baron de Metternich lui joint la longue lettre de Bertot publiée aussi dans Le directeur Mistique, vol. III, p. 438 : Lettre d’un grand Serviteur de Dieu, dont il a été fait mention dans la précédente, sur la même matière, et de l’état où l’on trouve que Dieu est toutes choses en tout, s’achevant par : « Allez, allez, à la bonne heure ; et soyez forte et constante… » (Mme Guyon, Lettres chrétiennes et spirituelles. Nouvelle édition [par J. Ph. Dutoit-Mambrini], Londres [Lyon], 1768, t. IV, Lettre 121 et suivante).

65 Incipit : "Il est de la dernière conséquence..." Copie Isaac du Puy (Dupuy). Archives Saint Sulpice, ms. 2174 , pièce 7248.

66 Les sources se contredisent et Orcibal lui-même n’a pu la déterminer. La vraie date du décès est bien celle donnée par le Directeur mistique et par Madame Guyon, dans La Vie 1.30.13 (Première partie, chapitre 30, § 13) ; confirmations : « Dans Gall. Christ. XIV, 963 : succédant à Michel Ferrand +24.12.1676 : Jacobus Bertot occubuit penultima die Aprilis 1681 » et « 11e septembre 1684, Transaction devant les notaires de Caen au sujet du testament du sieur abbé Bertot […] on célébrera tous les ans à perpétuité un service solennel le jour de son décès arrivé le 28 avril 1681…(Fonds du Chesnay, Arch. Eudistes).

67 « ...quand Il les émeut, tous les êtres deviennent pour lui comme un jeu d’anches. Les monts, les bois, les rochers, les arbres, toutes les aspérités, toutes les anfractuosités, résonnent comme autant de bouches ... » Tchoang-tzeu, trad. Wieger.

68 Le Directeur Mystique, vol II, lettre 6 p. 26.

69 Directeur Mystique, vol II, lettre 11, p. 44

70 DM, vol II, Lettre 16 p. 74 ; Canfeld avait joué un rôle important dans la réforme de à Montmartre.

71 Orcibal, note 1..., op. cit.

72 Orcibal, note 15 à la lettre no. 44, p. 155 de l’édition de la Correspondance de Fénelon, tome II

73 Addition 127 au Journal de Dangeau dans Boislisle, t. II, p. 413, citée par Orcibal ; du Chesnay mentionne la note de Saint Simon, Boislisle, t. XXI, p. 302 : « Dans ce petit troupeau était une disciple des premiers temps [la duchesse de Béthune], formée par M. Bertau qui tenait des assemblées à l’abbaye de Montmartre, où elle avait été instruite », ainsi que la note associée 2 de Boislisle : « …c’est lui qui fut donné par Mme Granger [la Mère Geneviève Granger] à Mme Guyon et fut son premier initiateur. Saint-Simon parlera encore de lui, toujours à propos de Mme de Béthune, en 1716 » ; enfin au t. XXX,71 : « …entendre un M. Bertau à Montmartre, qui était le chef du petit troupeau qui s’y assemblait et qu’il dirigeait. ».

74 A. S.-S., pièce manuscrite 2072 du fonds Fénelon, intitulée : Mémoire sur le Quiétisme adressé à Madame de Maintenon. Auteur inconnu. – Ce précieux mémoire informe sur toutes les relations de Madame Guyon, incluant les personnes humbles qu’elle côtoyait. Il indique également la façon « de s’y prendre », en commençant par interroger des témoins défavorables à la dame quiétiste, afin de pourvoir faire pression sur les autres… Il est souligné, à la lecture, de la même main (de Mme de Maintenon ?) que celle qui lut les interrogatoires de 1696 de Madame Guyon (v. B.N.F., ms. 5250, dossier La Reynie.).

75 La Vie…3.2.4.

76Arch. Saint-Sulpice., 6e carton, n° 10, f. 39 v°. (Orcibal).

77 « Mme Guyon était sous la direction de M. Bertot, disciple de Jean de Bernières, que la mère Garnier faisait prêcher aux Nouvelles Catholiques de Paris… » Orcibal, Etudes…, Klincksieck, 1997, « Le Cardinal Le Camus », p. 800.

78 Dont il était le directeur en titre ; nous pensons, vu les âges respectifs, Geneviève Granger étant née en 1600 soit environ vingt ans avant Bertot, que les rapports étaient plutôt d’échange entre membres du groupe animé par la triade Jean-Chrysostome, Jean de Bernières, Michelle Mangon (religieuse du couvent de Jourdaine).

79 La Vie par elle-même…, op. cit., 1.8.6 à 1.8.9 ; on note qu’Archange Enguerrand a lui-même rencontré Jean Aumont, « le pauvre villageois », disciple de Bernières ; c’est une deuxième filière reliant Madame Guyon au groupe de l’Ermitage, mais cette fois à travers deux intermédiaires ; voir A. Derville, Un Récollet Français méconnu : Archange Enguerrand, Archivum Franciscanum Historicum, 1997, 177- 203 ; L’ouvrage de J. Aumont, L’ouverture intérieure du royaume de l’agneau occis..., Paris, 1660, ainsi que sa correspondance, actuellement à l’état de manuscrits, sont notables.

80 La Vie… 1.12.7 ; sur Geneviève Granger, nous relevons des éléments biographiques très édifiants dans Eloges... tome second (édités par J. Bouette de Blémur, Paris, 1679, pp. 417- 455). On sait que la mère de Blémur a été bénédictine à la Trinité de Caen de 1630 à 1678. Voir notre présentation de la mère Granger dans J.-M. Guyon, La Vie par elle-même…, op. cit. pp. 28-29.

81 La Vie… 1.8.3.

82 La Vie… 1.13.3, 1.14.5, 1.17.6, 1.17.7, 1.19.9, 1.19.10 (contrat de mariage à Notre Seigneur enfant, le jour de la Madeleine), 1.23.3 (« Quoi! Vous n’aimez plus Dieu ? » ). Lorsqu’elle meurt (1.20.7) Jeanne-Marie Guyon est terriblement seule (1.20.6) même si la mère se manifeste par rêve (1.22.7).

83 La Vie… 1.19.1 (prenant le ms. d’Oxford pour leçon ; 1.19.2 chez Poiret)

84 Nous esquissons cette direction dans J.-M. Guyon, La Vie par elle-même…, Paris, Champion, 2001, « Introduction », pp. 36 à 42 ; elle sera approfondie par sa Correspondance, vol. I, et dans une monographie : Jacques Bertot, directeur mystique de Madame Guyon, Phénix – La Procure (à paraître).

85 Le P. Derville, son biographe, nous disait un jour « qu’il était fou » de diriger aussi durement une religieuse éprouvée.

86 Une carmélite nous déclara, à la lecture de la correspondance de Madame Guyon, qu’elle lui semblait « terrible » dans son exigence spirituelle.

87 Ceci n’est pas vrai seulement chez des mystiques chrétiens : on retrouve une « dureté » comparable chez des maîtres sufis.

88 Le Directeur Mystique, vol. IV, lettre 75, p. 247.

89 Ibid., p.248.

90 Ce qu’atteste « la donation faite par Monsieur l’Abbé Bertot dont 3000 L[ivres] t[ournois] étaient destinées pour amortir 150 Lt de rente aux petits pauvres renfermés et aux nouvelles Catholiques » (Arch. Eudistes, Fonds du Chesnay).

91 E. Aegerter, Madame Guyon, une aventurière mystique, Paris, 1941.

92 Guyon, « Discours spirituel » 2.68. (éd. dans Guyon, La vie intérieure…, op. cit.).

93 Guyon, La Vie par elle-même…, op. cit. : 2.11, 2.13, 2.17 à 2.20, 2.22, 3.8, 3.10.

94 v. Le Saint Evangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure,Tome II, chap. XVIII, versets 19 & 20.

95 « Supplément à la vie de Madame Guyon… », édité dans La Vie…, éd. citée, p. 1006.

96 Lettre à Fénelon écrite en avril 1690, B. N. F., ms. Nouv. acq. fr. 11 010, f°. 72v°.

97 Lettre de Fénelon du 11 avril 1690, B. N. F., ms. Nouv. acq. fr. 11 010, f°. 74 v°, publiée par J. Orcibal, Correspondance de Fénelon, tome II, Paris, Klincksieck, 1972, Lettre 111.

98 Lettre à Fénelon écrite en avril 1690, B. N. F., ms. Nouv. acq. fr. 11 010, f°. 72v°. Madame Guyon était alors malade. Elle vivra jusqu’en 1717, plus longtemps que Fénelon (1651-1715).

99 Correspondance ( I Directions spirituelles), op. cit. (à paraître). Nous éditons ces lettres par destinataire, ce qui permettra de comparer directions reçues (de Bertot et de Maur de l’Enfant-Jésus) et directions données (aux deux Fénelons, etc.).

100 A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911, « Inventaire et Verbal de la saisie des livres et écrits de M. Dutoit » pp. 115-118.

101 M. D’Istria, Le Père de Caussade et la querelle du pur amour, Aubier, 1964, p.12 ; J. Gagey, L’abandon à la providence divine d’une dame de Lorraine au XVIIIe siècle, Millon, 2001 - Nous pensons que Madame Guyon est directement impliquée dans l’Abandon à la Provid.ence divine, même si le texte a pu être retravaillé ensuite pour lui donner un très beau style classique. Voir Olphe-Galliard, Introduction au Traité sur l’Oraison du cœur, note 17, p. 44, et une présomption possible tenant compte du séjour de Madame Guyon chez les visitandines de Meaux dont Madame de Bassompierre fut supérieure. Une étude fine comparative de textes devra confirmer notre supposition.

102 Voir J. Orcibal, « L’originalité théologique de John Wesley et les spiritualités du continent », Etudes…, Klincksieck, 1997, p. 527 ; P. Ward, Rencontres…, « Madame Guyon et l’influence quiétiste aux Etats-Unis », Millon, Grenoble, 1997, p. 131.

103 Tradition des Pères et des auteurs ecclésiastiques sur la contemplation, par le R.P. Honoré de Sainte-Marie, carme déchaussé, tomes I et II à Paris, 1708 ; tome III, 1714.

104 L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée,1958.

105 Dom Le Masson, Eclaircissements…, p. 58-60. Le titre complet de ce livre, comme celui d’autres sources utilisées dans cette communication, est donné en note au début de la section : « III. Vie mystique ».

106 Son autobiographie fut probablement connue de Rousseau, qui écrira : « Jamais … on ne m’a laissé courir seul dans la rue avec les autres enfants… » (Confessions, partie I, livre I). Voir : Madame Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Champion, 2001, Première partie, chapitre 2, section 12 (« Vie, 1.2.12 »). Les passages entre guillemets qui suivent, sont empruntés à cette Vie .

107 Lettre du 12 décembre 1684 à Dom Grégoire Bouvier, son frère, n° 68 dans : Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, Champion, 2003.

108 Son premier guide intérieur, belle figure de religieuse remarquée par Bremond.

109 Vie, 1.6, 1.16, 1.17.

110 Vie, 2.1.7.

111 Vie, 2.13 [12.8, réf. éd. Poiret].

112 Vie, 2.17.7.

113 Voir le Récit que le premier président de la Cour des aides fit au duc de Chevreuse de la lettre du cardinal Le Camus son frère, pièce 80 de la Correspondance de Fénelon, tome septième, Paris, 1828, indiquant des visites « au [couvent du] Verbe incarné, où plusieurs personnes de piété se trouvaient, même des novices de capucins. » - V. aussi les témoignages en sa faveur de Dom Richebracque, un bénédictin.

114 Vie, 2.18.6.

115 Vie, 2.20.5.

116 Vie 2.20.8.

117 M. Carlat, « Du désert de Bonnefoy à celui de la Grande Chartreuse, itinéraire d’un voyageur en 1672 : Alfred Jouvin, de Rochefort », revue Analecta cartusiana , n°7, 57-67, p. 62.

118 Eclaircissements… p.11-12.

119 A ne pas confondre avec le célèbre Jean-Pierre Camus (1584-1652), écrivain spirituel abondant, disciple estimable de François de Sales.

120 Lettre adressée à l’évêque de Chartres en 1697. Cette lettre circula à Paris au moment des interrogatoires au donjon de Vincennes. Voir : Phelipeaux, Relation, t. I, p 21 : « Il est bon de rapporter une lettre de M. le cardinal le Camus [...] qui nous fut envoyée à Rome en l'année 1698 » – Madame Guyon, Correspondance II Combats, Champion, 2004, lettre 383.

121 Voir A. Cayrol-Gerin, « La Chartreuse de Prémol », revue Analecta Cartusiana, n° 1, 1989, 9-23. Elle souligne que « les thèses quiétistes, ardemment propagées par madame Guyon à Grenoble dans les années 1685-1686, filtrèrent jusqu’à Prémol, où elles furent longuement examinées, sinon adoptées […] Le R. P. [Le Masson] alla jusqu’à sortir de la Grande Chartreuse sans autorisation papale et exécuter un véritable autodafé à Prémol… » (p.17). Elle avance le chiffre de 35 religieuses résidentes en 1698.

122 Récit que le premier président de la Cour des aides fit au duc de Chevreuse […], op. cit., p. 168. Le texte porte « Ple… » [et non « Pré… »] ; la suite affirme que Dom Richebracque « assura M. le cardinal que Mme Guyon lui avait soutenu la XLIIe proposition de Molinos » - ce qui indignera le bon bénédictin, qui prendra parti pour madame Guyon.

123 J. Martin, Le Louis XIV des Chartreux Dom Innocent Le Masson, 51e général de l'ordre (1627-1703), préface de Jean Guitton, Téqui, 1974, p. 42.

124 J. Martin, op.cit., p. 43-45.

125 Lettre à Tronson du 11 mai 1696, Correspondance de M. Louis Tronson…, Bertrand, 1904, tome troisième, livre cinquième, page 511.

126 Martin, op. cit., App.C. « Lettres inédites... », Lettre à Mme de Vancy, dame de Saint-Louis, aux ursulines de Saint-Germain-en-Laye, p. 200.

127 « Pièce manuscrite assez curieuse » reproduite intégralement par Martin, op. cit., p. 48-49.

128 Martin, op. cit., p. 49, note 34.

129 Bombardement par les français commandés par Duquesne, du 17 au 23 mai 1684.

130 Vittorio Augustin Ripa, évêque (1679 – 1691), qui avait pleine confiance dans le P. La Combe, « son confesseur, le chargeant d’enseigner les cas de conscience aux prêtres du diocèse ». Mgr Ripa avait séjourné à Jesi, où Petrucci était évêque : on trouve ainsi un lien entre « quiétistes » italiens et français.

131 Lettre reproduite par Le Masson, Eclaicissements… - Madame Guyon, Corrrespondance I Directions spirituelles, 2003, Lettre n°70 : « Je ne pourrais être que de corps partout ailleurs qu’à Genève… »

132 Qui conduira à la parution à Verceil, en 1686, de trois ouvrages spirituels : « La Combe fit imprimer son Orationis mentalis analysis et Mme Guyon son Explication de l’Apocalypse, tous deux avec l’approbation de Mgr Ripa, qui lui-même publiait l’édition présumée de l’Orazione del cuore facilitata da Mons. Ripa. [...] Il y a renversement des plans par rapport au schéma traditionnel ; ici c’est la mystique qui ouvre la voie à l’ascèse et provoque la conversion profonde du cœur. » Dict. Spir., tome 13, col. 682 à 684.

133 v. sur Cateau-Barbe : Vie 3.18.4 (et lettres de Le Camus et Richebracque en notes, p. 850 de notre édition).

134 Vie, 2.25.7. Madame Guyon fut active dans des hôpitaux et appréciée de madame de Miramion.

135 Son grand historien est l’abbé Louis Cognet qui consacre la plus grande partie de son Crépuscule des Mystiques (1958) à la biographie de madame Guyon pendant ses premières années parisiennes.

136 Vie, 3.13.2.

137 Vie 4.3. [« Récits de prison »].

138 Vie, 4.4 à 4.7.

139 « Supplément à la vie de Madame Guyon… », édité dans Vie…, p. 1006.

140 Madame Guyon, Correspondance II Combats, Champion, 2004, lettre 237. – Monsieur Tronson était le troisième supérieur des sulpiciens, confesseur du jeune Fénelon, recours de madame Guyon, qui lui adressa des lettres pathétiques de sa prison ; il est peu favorable à la « dame directrice », n’ayant pas l’inclination mystique du fondateur Olier.

141 Le Cantique… de madame Guyon, v. « III. Mystique. Sources ».

142 Sujets de méditations sur le Cantique des cantiques, avec son explication selon le sentiment des Pères de l’Eglise, à l’usage des religieuses chartreuses, La Correrie [imprimerie de la Grande Chartreuse], 1691 et 1692.

143 A.S.-S., Fénelon, Correspondance, XI1, f°74, lettre qui suit celle, plus anodine, adressée à Tronson, dont nous venons de donner un extrait. Adressée par Dom Innocent à l’abbé de La Pérouse, cette seconde lettre compromettait gravement Mme Guyon ; v. sur tout ceci, l’étude exhaustive de Jean Orcibal soulignant la crédulité de Dom Masson, Etudes d’Histoire et de Littérature religieuses, Klincksieck, 1997, « Le cardinal Le Camus », p. 810 sv., « Madame Guyon devant ses juges », p. 819 sv. - L. Bertrand (Correspondance de Tronson, 1904) donne en note, p. 467, cette lettre – Extrait dans : Madame Guyon, Correspondance II Combats, Champion, 2004, lettre 238.

144 V. Orcibal, Etudes…, op.cit., p. 830, sur les « choses terribles », et le déroulement, près de quinze ans plus tard, en 1698, des opérations de police à l’encontre de madame Guyon. Aux yeux de Bremond (dans son Apologie de Fénelon, p. 6), comme aux yeux d’Orcibal (Etudes…, p. 824), de cette accusation découleront les plus graves ennuis pendant son emprisonnement. Bremond et Orcibal retiendront contre Dom Innocent sa crédulité ; v. également Orcibal, Etudes…, p. 810, pour la conclusion d’une histoire - autre que celle impliquant Cateau-Barbe - mettant en cause une demoiselle qui avait un commerce caché avec un prêtre.

145 V. Melquiades Andres, La teologia española en el siglo XVI, B.A.C., 1976 ; v. Tellechea Idigoras, introduction à la Guià de Molinos ; v. le procès de ce dernier, actuellement réhabilité.

146 Puis suit, dans la même source des A.S.-S, Fénelon, Correspondance, XI1, au f° 92, l’original (non publié par L. Bertrand) d’une lettre de La Pérouse à Tronson qui informe ce dernier que « Mgr de Genève ne veut pas éclaircir les faits » : « Chambéry, le 12 décembre 1694. / Je viens , mon cher père, de recevoir la réponse de M. de Genève et elle suppose qu’il ne lui conviendrait pas d’éclaircir les faits que la Dame suppose pour se justifier, mais que lui peut faire voir ce qu’il a pensé de la doctrine par la lettre circulaire qu’il publia il y a sept ans […] ».

147 Lettre XXIV dans Bertrand, Correspondance de Tronson, 1904, tome troisième, livre cinquième, p. 480. – La Vie avait été confiée sous le sceau du secret à Bossuet.

148 Lettre XXXII dans Bertrand, tome troisième, livre cinquième, p. 490. Nous ne pouvons accroître trop le volume de cette section. Citons seulement la lettre de Tronson à Le Masson, entre le 15 juin et le 22 juillet 1698: « Il (l’Archevêque de Paris) est assez persuadé de leur mauvaise doctrine et de la corruption de leurs mœurs […] il serait à souhaiter […] que l‘on pût avoir quelque preuve juridique qui appuyât ce que l‘on dit du Directeur [Lacombe] et de la Directrice [madame Guyon]. Peut-être que le mystère caché qui vous me proposez de lui montrer par mon entremise pourrait servir à faire cette découverte. [Post-Scriptum :]  J’ai montré votre lettre et le mémoire qu’à Monseigneur l’Archevêque de Paris parce que c’est lui qui est principalement chargé de cette affaire, ayant le Père et la Dame entre ses mains… »( A.S.-S., ms. 34, « Correspondance Tronson »).

149 Madame Guyon, Correspondance II Combats, Champion, sous presse, lettre 383.

150 L’interprétation charnelle saphique ne s’impose pas compte tenu des habitudes du temps, mais elle est suggérée.

151 Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, Champion, 2003, lettre 71 du 28 janvier 1688 : « Je ne saurai refuser à la vertu et à la piété de Madame de la Mothe-Guyon la recommandation… ». V. aussi la lettre 72 l’accompagnant : « Madame, Je souhaiterais d’avoir plus souvent que je n’ai des occasions de vous faire connaître combien vos intérêts temporels et spirituels me sont chers… »

152 Le duc de Chevreuse, qui n’exerçait aucune pression, cherchant à se renseigner sans éveiller d’opposition. Et Richebracque ne se dédit nulle part.

153 « A propos d’une controverse que le général des chartreux soutint contre l’abbé de Rancé, l’abbé Goujet écrit au contraire : « Jamais homme ne fut plus crédule que ce bon général, et plus facile à adopter tout ce qu’on lui disait au désavantage de ceux qu’il croyait avoir raison de ne point aimer. Sa Vie de M. d’Arenthon d’Alex, en particulier, est pleine de pareils traits. (Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques du XVIIIe siècle, Paris, 1736, 3 vol. in-8, t. I, p. 462). » (Note d’Urbain-Levesque, fervent bossuétiste, éditeur de la Correspondance de Bossuet,). - On connait l’opinion tranchée de Bremond  exprimée dans son Apologie de Fénelon (1910), p. 6 : « ...il (Dom Innocent] est le grand, l'unique témoin contre cette femme […] Le venimeux Phelipeaux n'a pas d'autre autorité que Dom Innocent. Cette autorité est nulle. La Cour d'assises la plus prévenue congédierait un pareil témoin. Sur la vertu de Dom Innocent on ne peut avoir aucun doute. M. Tronson l'estimait et c'est tout dire ; mais « c'était un homme crédule qui, dans sa solitude recueillait aussi avidement les calomnies qu'il les débite pesamment dans ses livres (La Bletterie). » Du reste, rien de plus décevant que ces terribles livres. Ils nous annoncent les pires horreurs et, en fin de compte, ils ne disent rien. » - Nous avons fait la même expérience.

154 Madame Guyon, Correspondance II Années de Combat, Champion, 2004, lettre 489 du 23 avril 1695 au duc de Chevreuse. Dom Richebracque avait été prieur de Saint-Robert de Cornillon près de Grenoble.

155 V. lettre n° 97 de Melle Matton sur la Grangée, Correspondance II Années de Combat ; la lettre n° 275, même tome, du R.P. Richebracque à madame Guyon, du 14 Avril 1695. « Est-il possible qu’il faille me chercher dans ma solitude pour fabriquer une calomnie contre vous, et qu’on m’en fasse l’instrument ? » ; le lettre collective n° 493, même tome, de la Mère Le Picard et de religieuses de la Visitation de Meaux du 7 juillet 1695 : « Que si ladite Dame nous voulait faire l’honneur de choisir notre maison pour y vivre le reste de ses jours dans la retraite, notre communauté le tiendrait à faveur… » ; etc.

156 Vie, 4.5 (p. 943 dans notre édition) - Correspondance II Combats, lettre n° 396 attribuée au P. Lacombe. « Ce 27 avril 1698. C’est devant Dieu, Madame, que je reconnais sincèrement qu’il y a eu de l’illusion, de l’erreur et du péché… » ; Voir Orcibal, Etudes…, op. cit., p. 831, sur les « quinze nuits » du P. Lacombe avec la Dame (selon Mme de Maintenon) ; etc.

157 B.N.F., ms. Fr. 5250 (papiers La Reynie).

158 Madame Guyon, Correspondance II Années de Combat, Champion, 2004, pièce 504.

159 Orcibal, Etudes…, op.cit., p. 831, sur la retraite finale de Bossuet, citant ici le Procès-Verbal de l’Assemblée…, p. 239.

160 Dict. Spir., 6, art. « Guyon », col. 1315.

161 « Le Cardinal Le Camus, témoin au procès de Madame Guyon » et « Madame Guyon devant ses juges », reproduits dans Jean Orcibal, Etudes… op.cit., p. 799-817 et p. 819-834.

162 M.-L. Gondal, Madame Guyon, un nouveau visage, 1989, p. 168. Voir l’ensemble de son chapitre VII, « Le combat de la vérité ».

163 V. Le Saint Evangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, tome II, chap. XVIII, versets 19 & 20.

164 Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, 2003, pièce 248, lettre à Fénelon entre le 1er et le 11 avril 1690.

165 Orcibal, Correspondance de Fénelon, tome II, Paris, Klincksieck, 1972, Lettre 111 – Madame Guyon, Correspondance I…, op. cit., pièce 249, lettre de Fénelon du 11 avril 1690.

166 Correspondance I…, op. cit., pièce 248. Madame Guyon était alors malade. Elle vivra jusqu’en 1717, plus longtemps que Fénelon (1651-1715).

167 D. Tronc, « Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon », dans XVIIe siècle, n°1-2003.

168 Ceci n’est pas vrai seulement chez des mystiques chrétiens : on retrouve une rigueur comparable chez des maîtres sufis.

169 Le Directeur Mystique, vol. IV, lettre 75, p. 247.

170 Id., p.248.

171 Selon l’expression de Souriau, Deux mystiques normands, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913, p. 196.

172 Bernières, Chrétien Intérieur [éd. en huit livres], p. 565.

173 Bernières, Œuvres Spirituelles, II, p. 122.

174 Bernières, Œuvres Spirituelles, II, p. 364.

175 Correspondance I…, op. cit., lettre 370 au marquis de Fénelon de mars 1717.

176 Histoire Générale et particulière du Tiers Ordre de S. François d’Assize, par le R.P. Jean Marie de Vernon, Religieux pénitent du tiers ordre de saint François, Paris, 1667, tome troisième, p. 76.

177 Vie de Messire Jean d’Arenthon d’Alex, Evêque et prince de Genève, avec son directoire de mort etc…[par Dom Innocent Le Masson], 1697, Lyon in 8°.

178 Eclaicissements sur la vie de Messire Jean d’Arenthon d’Alex, Evêque et prince de Genève, avec de nouvelles preuves incontestables de la vérité de son zèle contre le Jansénisme et le Quiétisme [par Dom Innocent Le Masson], à Chambéry, Par Jean Gorrin Imprimeur et marchand libraire de S.A.R. deçà les Monts. [in 8° 382pp. et tables] MDCIC (1699)

179 Introduction à la vie Intérieure et parfaite, tirée de l'Ecriture sainte, de l'Introduction à la vie dévote de Saint François de Sales et de l'Imitation de Jésus-Christ. Avec des Réflexions pour en faciliter l'intelligence, utilisant la 4° éd. de 1701, 748 p.

180 Direction pour se former au saint exercice de l'Oraison et pour s'y bien gouverner avec ordre et tranquillité, à l'usage des Religieuses Chartreuses, A La Correrie, 1695, 252 p. (suivi d'un Exercice de dévotion au Sacré Coeur de Jésus-Christ).

181 Moyen court et très facile pour l’oraison que tous peuvent pratiquer très aisément…, Grenoble, J. Petit, 1685 ; Lyon et Paris, 1686 ; Paris et Rouen, 1690 ; éd. dite de Cologne [par P. Poiret], 1699. – Nous utilisons l’édition par M.-L. Gondal, Le Moyen court et autres récits, une simplicité subversive, Grenoble, Millon, 1995.

182 Le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, A. Briasson, 1685, ouvrage moins dense, écrit « en un jour et demi » (Vie, 2.21.9). Il présente le grand intérêt d’aborder l’état « apostolique » assumant la transmission de la grâce, ce qui s’éloigne de tout parallélisme possible avec la spiritualité exposée par Dom Le Masson. Nous ne le citons pas.

183 De la Vie intérieure, choix de quatre-vingts Discours spirituels […], Phénix - La Procure, Paris, 2000.  - Madame Guyon, Correspondance [trois volumes], Champion, 2003, 2004.

184 C. Morali, Les Torrens…, Millon, Grenoble, 1992.

185 Moyen court, ch. II.

186 Moyen court, ch. III.

187 Moyen court, ch. X.

188 Introduction à la vie intérieure et parfaite…, vol. II, 6e avis, p. 109.

189 Direction pour se former au saint exercice de l’oraison… , p. 252.

190 Introduction…, vol. II, 6e avis, p. 111-112.

191 Moyen court, ch. XXI.

192 Moyen court, ch. XII, § 2. 

193 Id., §6.

194 Moyen court, ch. XXII, §2.

195 Id., §5.

196 Id., §7-8.

197 H. de Balma, Théologie mystique, « La voie unitive », Cerf, 1996, SC 409, p. 91 (§56). – « L’eau / Gratifie les dix mille êtres / Ne dispute rien à personne, /Et séjourne aux lieux dont chacun se détourne… » (Tao Te King, ch. 8, trad. C. Larre, Desclée, 1977).

198 Suite du chapitre XXIV du Moyen court.

199 H. de Balma, op. cit., p. 165 (§105).

200 La Direction […] à l’usage des religieuses chartreuses…, p. 34.

201 Marie de l’Incarnation, œuvres, Aubier, 1942, ch. LIX-LX, p. 145-146. – Dom Claude Martin, La Vie de la Vénérable Mère Marie de l’Incarnation, 1677, (rééd. Solesmes, 1981), p. 456 et 515 – Comparer la relation de 1654 (où affleure la « vie nouvelle et divine ») à celle de 1633 (témoignant du chemin).

202 Vie, 3.21.

203 Les secrets sentiers de l’amour divin […], (1623), du capucin Constantin de Barbanson.

204 Préface, toute pénétrée de quiétude, de Jean Guitton à Mgr Jacques Martin, Le Louis XIV des Chartreux Dom Innocent Le Masson […] , op.cit., p. 10-11.

205 Jean Rohou, Le XVIIe siècle, une révolution de la condition humaine, Seuil, 2002, p. 395.

206 Id., p. 540.

207 Son soutien et premier guide intérieur, belle figure de religieuse.

208 Le mot d’ordre de Guy de la Brosse, « la vérité et non l’autorité », n’est pas réalisable en pratique ; voir la description de ravages occasionnés par le mensonge obligé dans R. Pintard, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, 1943 ; Genève, 2000.

209 C’est le nom que lui donne l’honnête Tronson, envers qui elle plaçait en dernier recours sa confiance.

210 Il faut pour cela croire à l’existence de la grâce, et donc en avoir fait l’expérience. Ce dernier point est fort gênant puisque Madame Guyon, dont la certitude ne s’appuie que sur cette expérience, ne peut guère l’invoquer vis-à-vis de ses ennemis. On se moquera à la Cour de la « naïveté » du bon duc de Chevreuse qui en fera état.

211 On trouvera des parallèles dans l’Espagne de la première moitié du XVIe siècle, v. Melchiades Andres, La teologia espanola…, 1976, parte II, cap. 14. Il faudrait aussi étudier les figures de mystiques qui nous paraissent très proches : Joseph de Jésus Maria Quiroga (1562-1628), disciple et défenseur de Jean de la Croix ; Grégoire Lopez (1542-1596), mexicain lu et apprécié par Poiret et des proches de madame Guyon ; Falconi (1596-1638) dont la Lettre du serviteur de Dieu est éditée avec des opuscules de la même ; etc.

212 Laissant de côté un troisième monde, d’une extrême diversité, celle des anabaptistes, quakers, etc.

213 Voir la notice « quiétisme » à la fin du second tome de l’édition des Œuvres de Fénelon dans la Bibliothèque de la Pléiade, par J. Le Brun ; cette notice introduit en outre à la Métaphysique des saints, texte fondamental qui résume la controverse vue du cercle guyonnien. Les articles « quiétisme » du Dictionnaire de spiritualité [DS], par E. Pacho et J. Le Brun, couvrent l’Espagne, l’Italie et la France.

214 DS, art. « Quiétisme » par E. Pacho et J. Le Brun, col. 2762.

215 Id., col. 2774-2775.

216 En 1686, Lacombe fit imprimer son Orationis mentalis analysis, Madame Guyon son Explication de l’Apocalypse, Ripa son Orazione del cuore facilitata, « fruits de cette association spirituelle ».

217 DS, art. « Quiétisme » par J. Le Brun, col. 2806.

218 Id., col. 2817.

219 Id., col. 2820 et 2821.

220 Quiroga [José de Jésus-Maria, 1562-1629], Apologie mystique[…], Chap. 6, « Où l'on expose plus à fond cette quiétude de la contemplation… », Krynen, Thèse secondaire, A.S.-S., gV-189 ; M. Huot de Longchamp, FAC, 1990.

221 Discours Chrétiens et Spirituels sur … la vie intérieure…, [1716], « 2.65 État Apostolique. Appel à enseigner. » (Madame Guyon, De la vie intérieure…, La Procure, Phénix, 2000, p. 384).

222 Par contre on a perdu la plus grande partie de l’œuvre de Jean de la Croix : « ce qui nous reste … ne représente qu’une faible partie de ce qu’il a écrit… » (Cognet, La Spiritualité moderne, p. 105).

223 La liste des défenseurs qui ont surmonté une certaine « étrangeté » est cependant et diverse et de qualité : on en détachera les noms de Fénelon, Poiret, Dutoit, Chavannes, Masson, Brémond, Bergson, Cognet, Mallet-Joris, Gondal, Le Brun.

224 Implicite, non atténuée par une appartenance religieuse comme cela est le cas pour Marie de l’Incarnation, qui en dehors de son admirable témoignage personnel montre un conformisme qui rassure ; on note l’extrême difficulté pour sortir du cercle clérical dès que le domaine de l’intériorité propre à la « vocation » est en cause : les modèles féminins proposés récemment par l’église catholique sont Thérèse de l’Enfant-Jésus et Edith Stein, deux religieuses. Il est sain qu’une femme d’expérience comme Madame Guyon parle à des laïcs des étapes de leur vie d’autant plus précisément qu’elle a eu une vie sociale, familiale, physiologique qui se rapproche de la leur (tout en ayant malheureusement manqué un plein épanouissement). La règle ordinaire suppose une vie accomplie jusqu’à la quarantaine (ainsi dit Ruusbroec) pour voir s’épanouir une vie intérieure au-delà d’aspirations qui sont une des merveilles de la jeunesse.

225 Bref Cum Alias d’Innocent XII, 12 mars 1699.

226 Complétant ainsi le très objectif Bertot. Ce dernier aussi précise longuement pour assurer un bon diagnostic, fait des ajouts pour dissiper tout malentendu, tout comme un bon médecin dont le fait n’est pas le style.

227 Le Moyen court fut publié à l’insu de l’auteur dès 1685.

228 On note l’insistance de Bertot sur le contrôle nécessaire par un directeur. Mais les directeurs mystiques sont rares.

229 Relation de 1654 de Marie de l’Incarnation, etc.

230 Les Torrents ne furent publiés que tardivement par Poiret (1704, 1712, 1720).

231 Les points de suspension séparés du texte indiquent une omission, ici conséquente : du cinquième au trentième paragraphe. Nous omettons dans cet article la mise entre crochets afin d’alléger la lecture.

232 Impureté foncière, qui est l'effet de l'amour-propre et de la propriété que Dieu veut détruire. Ajout de l’édition de 1720.

233 Il s’agit de la conclusion de ce long récit autobiographique : 3.21 désigne le 21e chapitre de la 3e partie.

234 Bernardino de Laredo, Subida del Monte Sion ; Jean de la Croix, Subida del Monte Carmelo ; etc.

235 1.01 désigne le premier opuscule ou « discours » de la première partie.

236 Des Noms Divins, chap. 4 : « [704 A] C’est cette Beauté qui produit toute unité et qui est principe universel, parce qu’elle produit et qu’elle meut tous les êtres … [713 B] Par désir amoureux … nous entendons une puissance d’unification et de connexion, qui pousse les êtres supérieurs à exercer leur providence à l’égard des inférieurs, ceux de rang égal à entretenir de mutuelles relations… » (trad. M. de Gandillac).

237 Madame Guyon est issue du courant spirituel fondé par le franciscain du tiers ordre régulier Chrysostome de Saint-Lô ; elle cite beaucoup Catherine de Gênes, tertiaire - à égalité avec Jean de la Croix ainsi qu’avec le réformateur des Grands Carmes en France, Jean de Saint-Samson, dans ses Justifications. Ces trois figures viennent largement en tête des 76 auteurs représentés.

238 Ps 104, 30 : « Envoyez votre esprit et ces choses seront créées ; et vous renouvellerez la face de la terre. »

239 La Vie par elle-même en donne des descriptions précises dont sa découverte à Thonon, avec le P. Lacombe.

240 Dutoit, t. II, Lettre CXCII, p.588-590 - Masson, 1907, Lettre LXXIV, p. 179-180. Nous ne donnerons pas par la suite, dans cet article, ces références de sources que l’on trouvera dans notre édition.

241 D.2.1 : Première lettre du deuxième volume publié par Dutoit ; le titre qui suit est de ce dernier.

242 Le Directeur Mystique…, 1726, 4.81 : 81e lettre qui conclut la contribution de Bertot au quatrième volume du DM. Nous donnons des extraits de cette lettre adressée à la jeune madame Guyon : elle montre l’esprit commun qui anime Bernières, Bertot, Guyon.

243 Cette lettre d’une personne simple (on a cependant peine à l’attribuer sans retouches à une simple paysanne) fut placée intentionnellement à la fin de la correspondance de madame Guyon éditée en cinq volumes par Dutoit.


244 A.-E. Steinmann, La nuit et la flamme, chemins du Carmel, Paris-Fribourg, 1982.

245  C. Janssen, Les origines de la réforme des Carmes en France au XVIIe siècle, Martinus Nijhoff, s’Gravenhage, 1963, p. 225, souligne l’influence des déchaux sur les pratiques ; S.-M. Morgain, Pierre de Bérulle et les Carmélites de France, Cerf, 1995, p.69, souligne le rôle du chartreux dom Beaucousin, « l’œil des contemplatifs » en relation avec les deux groupes réformateurs.

246 L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958.

247 H. Bremond, Histoire du sentiment religieux, 11 vol., Paris, 1916-1933.

248 Sources principales sur Jean de Saint-Samson : H. Bremond, Histoire… II L’Invasion mystique [chap. V], 1930 ; S.-M. Bouchereaux, La réforme des Carmes en France et Jean de Saint-Samson, Vrin, 1950 ; H. Blommestijn, Jean de Saint-Samson, L’éguillon, les flammes, les flèches et le miroir de l’amour de Dieu…, Pontificiae Universitatis Gregorianae, Rome, 1987.

249 L.Reypens S.J., Dict. Spir. , art. « Ame », t. I, col. 462.

250 Voir la bibliographie limitée aux écrits de Jean, donnée en fin de cette contribution.

251 La Vie, les Maximes et partie des oeuvres du très excellent contemplatif, le vénérable Fr. Ian de S.Samson..., par le R.P. Donatien de S. Nicolas, Paris, 1651, p. 3.

252 Id., p. 9 et 10.

253 Voir H. Blommestijn, op. cit. en note 5, « 4. La vie de Jean de Saint-Samson », p. 69-87.

254 Arias (-1605) et Louis de Grenade (1504-1588) dont les Traités spirituels peuvent « remplacer les ouvrages très médiocres de Nervèze » (Blommestijn, op. cit., p. 99).

255 Choix éclairé des plus grands mystiques : Ruusbroec (1293-1381), Tauler (1300-1361) , Harphius (1400-1477), La Perle évangélique (éd. 1535) de (ou d’une amie de) Maria van Hout ; Le Jardin des contemplatifs (1605) est une compilation didactique et pratique.

256 La Vie, les Maximes…, op. cit,, p.17.

257 Blommestijn, op.cit., p. 78. Ses citations sont extraites du ms. du P. Pinault, comme de la Vie de Donatien ; nous en modernisons le style.

258 Id., p. 79-80.

259 Id., p. 81-82 ; Donatien, Vie…, p. 27 et 28.

260 Thibault impose la méditation méthodique telle qu’il l’avait pratiqué chez les jésuites et les chartreux ; il doit tenir compte de démêlés avec le général Sylvius et le provincial le Roy, v. C. Janssen, Les origines…, p. 158 et 160 sv.

261 Id., p.83.

262 A l’exception d’une année à Dol.

263 Id., p.86-87. Expérience de l’amour.

264 Les secrets sentiers de l’amour divin (1623), du capucin Constantin de Barbanson.

265 Œuvres spirituelles et mystiques du divin contemplatif f. Iean de S.Samson […] avec un abrégé de sa vie, recueilly et composé par le P. Donatien de S.Nicolas, Pierre Coupard, Rennes, 1658-1659, p. 60, repère B : ce que nous abrégeons par « R[ennes] 60B ».

266  R 64C.

267 Cité par Donatien, La Vie, les Maximes et partie des œuvres, Paris, 1651, p. 6.

268 Id., p.8.

269 R 755E.

270 Donatien, La Vie…, Paris, 1651, p. 126 : ce que nous abrégeons par « P[aris] 126 ».

271 P 92.

272 R 62b.

273 Mot vieilli. « Les oiseaux s’esgayent à leur gré dans la vasteté de l’air » (Fr. de Sales cité par Littré).

274 R 762A.

275 R 79 A.

276 R 773e.

277 R 79 a.

278 P 498.

279 R50 D. Le thème du passage par la pourriture puis la cendre est fréquemment repris, par ex. par madame Guyon dans ses Torrents.

280 R 78a.

281 R 759E.

282 R71D.

283 R 760A.

284 R 74b.

285 R 75C.

286 R 78B.

287 R 83e.

288 R 87A, R 91c.

289 R 309b

290 P 495-497.

291 P 510.

292 R 683c, R 683B.

293 R 754a.

294 R 767c.

295 R 145a.

296 R 147C.

297 Archives d’Ille-et-Vilaine, 9H42, folio 2 sv.

298 R 169D.

299 La Vie admirable de Marie des Vallées et son Abrégé rédigés par saint Jean Eudes suivis des Conseils d’une grande servante de Dieu, collection Sources mystiques, Centre Saint-Jean-dela-Croix, avril 2013.

300 Signalons la parution très prochaine de « Rencontres autour de Jean de Bernières » rassemblant dix contributeurs qui éclairent le milieu au sein duquel vécut Marie des Vallées, aux éditions Parole et Silence ; ainsi que l’achèvement prochain du tome II des Oeuvres du même Bernières assemblant chronologiquement sa correspondance (par dom Eric de Reviers, bénédictin qui participa à la rencontre de Caen en 2009).



301 Vie, Livre 9, Chap. 6, section 2 « Elle résout des difficultés qu’on lui propose sur la contemplation, et donne des avis fort utiles sur ce sujet ».

302 Vie, Livre 8, Chap. 8 « Contre la gourmandise… »

303 En 1919, ses restes furent exhumés et inhumés dans la cathédrale de Coutances, près de l’autel de Notre-Dame du Puits.

304 Notre édition de la Vie.

305 Communication mystique.

306 “Conseils d’une grande Servante de Dieu appelée Sœur Marie des Vallées”, notre édition de la Vie. Les numéros sont ceux des paragraphes de l’édition originale du Directeur mystique.

307 Lettre au duc de Chevreuse du 16 mars 1693 (Madame Guyon, Correspondance, t. II Années de Combat, Paris, Champion, 2003, pièce 35, p. 103).

308 Références des diverses éditions du Pasteur Poiret par M. Chevallier et nos éditions des œuvres de madame Guyon, Paris, Champion, 2001-2009. – Nous venons de citer trois extraits supra de ces Conseils.

309 Émile Dermenghem, La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées d’après des textes inédits, Paris, Plon-Nourry, 1926.

310 Julien Green, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. IV, 1975, p. 20.

311 Julien Green se réfère à la Vie, “Livre sixième. Contenant ce qui appartient aux divins attributs, à Notre Seigneur Jésus-Christ, à sa sainte Passion, au Saint-Sacrement, à la communion et à la confession”, Chapitre 2. “L’amour de la sœur Marie vers la divine volonté. Elle l’honore comme sa mère, etc.” . Section 1. Elle regarde et suit en toutes choses la divine volonté. Les créatures nous montrent cette leçon : elle doit être suivie au préjudice de la raison. Voici le dialogue plus complet auquel se réfère Julien Green :

Se plaignant un jour à Notre Seigneur de l’état où elle était, Il lui dit : « Si j’étais à votre place que feriez-vous ?

“– Attendez, dit-elle, je vous assure que je vous ferais tout ce que l’adorable volonté de Dieu voudrait que je vous fisse.

“– Mais si l’adorable volonté de Dieu voulait que vous me crucifiassiez ?

“– Oui, je vous assure, je vous crucifierais et je frapperais à grands coups de marteau sur les clous pour vous crucifier.

“– Et si elle voulait que vous me missiez en enfer avec les diables, m’y mettriez-vous ?

“– Je vous assure que oui.

“– Et si elle voulait que vous m’y laissassiez plusieurs années parmi des tourments rigoureux, m’y laisseriez-vous ? – Oui, je vous y laisserais!

312 J.-J. Surin, Correspondance, Paris, Desclée de Brouwer, 1966.

313 L’analyse comparée de deux figures si différentes (Surin et Marie des Vallées : homme et femme, intellectuel et servante), atteints de la folie de leur époque – on aurait brûlé en Europe sorcières et sorciers par milliers en quelques dizaines d’années –, devrait permettre de trier d’une manière sûre le grain spirituel de l’ivraie psychologique en analysant deux cas au lieu d’un seul (car Michel de Certeau généralise le cas posé par Surin dans sa période malheureuse à l’interprétation de la mystique dans son ensemble, comme auparavant Pierre Janet étendait ses concepts de psychologie religieuse exposés dans De l’Angoisse à l’Extase à partir de l’observation de la seule Madeleine de la Salpêtrière). M des V constitue la meilleure source féminine alternative contemporaine du jésuite Surin.

314 Livre 4. Contenant plusieurs choses qui font voir l’excellence de cette œuvre. Chapitre 10. Plusieurs autres choses qui font voir son état. Le Fils de Dieu la demande en mariage. Section 11. Abbaye de perfection et règles des excès de l’Amour divin qu’il a fait garder à la sœur Marie.

315 Livre 5. Contenant plusieurs autres choses qui font voir la sublimité, la vérité, la fin et les fruits de l’œuvre admirable que Dieu a opérée en la sœur Marie. Chapitre 2. La vérité des choses qui se passent en la sœur Marie. Section 4. Les aveugles font le procès au soleil. Le procès d’entre les sens de la sœur Marie et quelques particuliers.

316 Chapitre 6. Ce qui se passe en elle sera manifesté en son temps. Section 5. Notre Seigneur lui promet de lui faire connaître la vérité et à tout le monde. Confirmation de la vérité.

317 Livre 9. Qui contient des choses très excellentes touchant la grâce et plusieurs des principales vertus chrétiennes. Chapitre 3. De l’amour de Dieu. Colloque entre Notre Seigneur et la sœur Marie, qui fait voir le grand amour qu’elle lui porte. Section 1. Elle aime Dieu purement et ne veut point de récompense. Son amour déiforme au regard de Dieu.

318 - Livre sixième. Contenant ce qui appartient aux divins attributs, à Notre Seigneur Jésus-Christ, à sa sainte Passion, au Saint-Sacrement, à la communion et à la confession. Chapitre 2. L’amour de la sœur Marie vers la divine volonté. Elle l’honore comme sa mère, etc. Section 4. Elle est animée de la divine Volonté. Estriveries qui font voir que la divine Volonté est régnante en elle. - De même Bertot : « …mon âme est comme un instrument dont on joue, ou si vous voulez comme un luth qui ne dit ni ne peut dire mot que par le mouvement de Celui qui l’anime. » (Directeur Mystique, t. 2, lettre 6, p. 26)

319 Livre 7. Qui contient ce qui regarde la mère de Dieu, les anges et les saints, l’Église militante et souffrante. Section 3. Elle est la grande basse de la Sainte Vierge.

320 Livre 9. Chapitre 6. De la contemplation. La sœur Marie a été élevée dès le commencement au plus haut degré de la contemplation. Section 2. Trois sortes de contemplations. Elle résout des difficultés qu’on lui propose sur la contemplation, et donne des avis fort utiles sur ce sujet.

321 Livre 9. Chapitre 11. De sa charité vers les âmes et du zèle de leur salut. La sœur Marie voit la beauté des âmes et est embrasée de zèle pour leur salut.

322 Livre 9. Chapitre 6. De la contemplation. La sœur Marie a été élevée dès le commencement au plus haut degré de la contemplation. Section 2. Trois sortes de contemplations. Elle résout des difficultés qu’on lui propose sur la contemplation, et donne des avis fort utiles sur ce sujet.

323 Livre 9. Chapitre 6. De la contemplation. La sœur Marie a été élevée dès le commencement au plus haut degré de la contemplation. Section 1. La manière avec laquelle Notre Seigneur lui parle et comme elle connaît la vérité des choses qui lui sont proposées.

324 Livre 10. Contenant beaucoup de choses très utiles touchant l’humilité et plusieurs autres vertus. De la perfection. Du don de prophétie et des miracles. Chapitre 3. De plusieurs autres choses qui montrent l’humilité, en quoi elle consiste et qu’elle a une infinité de degrés. Section 4. Plusieurs motifs d’humilité. Le portrait de la vraie et parfaite humilité.

325 Livre 10. Chapitre 10. Communion, union, transformation et déification. Section 1. La goutte de rosée qui demande de se perdre dans la mer de la Divinité.


326 Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon», XVIIe siècle, PUF, n° 1-2003, 95-116, http://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2003-1-page-95.htm

Des textes nécessaires à qui s’intéresse à Madame Guyon sont aujourd’hui disponibles dans la coll. «Sources mystiques», du Centre Jean-de-la-Croix, et dans la coll. «Chemins mystiques », voir http://www.cheminsmystiques.com 

327

D. TRONC, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle. Tome I. Introductions, Florilège issu de Traditions franciscaines (Observants, Tiers Ordres, récollets), Éd. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, «Sources mystiques», 2014.

328 Dom Eric de REVIERS, Jean de Bernières et l’Ermitage de Caen [...] Lettres et Maximes, à paraître, Lettre du 13 mai 1654 adressée par M. de Bernières à Mère Mectilde (1614-1698).

329 Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646), Du Tiers Ordre de Saint François d’Assise, Fondateur de l’École du Pur Amour, coll. « Chemins mystiques », 2017.

330 Françoise-Renée de Lorraine, Madame de Guise, abbesse de 1644 à 1669. Elle fera éditer la Conclusion des retraites [...] de Bertot.

331 «[On pouvait] entendre un M. Bertau à Montmartre, qui était le chef du petit troupeau qui s’y assemblait et qu’il dirigeait» (Mémoires de Saint-Simon, éd. Boislisle, t. XXX, p. 71).

332 Jacques Bertot Directeur mystique, coll. «Sources mystiques», Éditions du Carmel, Toulouse, 2005; Rencontres autour de Monsieur de Bernières (1603-1659) Mystique de l’abandon et de la quiétude, coll. «Mectildiana», Parole et Silence, 2013; Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, coll. «Mectildiana», Parole et Silence, 2017; Dom Eric de REVIERS, Jean de Bernières et l’Ermitage de Caen [...] Lettres et Maximes. Tout un réseau de relations se révèle entre les membres du groupe de l’Ermitage. Ils débordent vers d’autres spirituels dont Marie des Vallées, figure simple, mais de grande influence. Les liens se croisent : tel passage d’une lettre de Bertot serait adressé à Jean Eudes qui avait été aidé par l’abbesse de Montmartre, laquelle appréciait et éditera une œuvre de Bertot.

333 Madame GUYON, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Paris, Honoré Champion, 2001, 2014, 1.19.1.

334 Le directeur Mistique [sic] ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guion...., 4 vol., 1726. : ici vol. I, «Avertissement» — Les points de suspension représentent des coupures, permettant de ne conserver que les rares passages apportant une précision biographique, distribués sur quatre pages [4] à [7].

335 Madame GUYON, Correspondance I Directions spirituelles, Paris, Honoré Champion, 2003, Lettre 22 adressée au subtil comte de Metternich.

336 Madame GUYON, Correspondance, Tome II Années de Combat, Paris, Honoré Champion, 2004, Lettre au duc de Chevreuse, 11 septembre 1694, traduisant une influence franciscaine.

337 Il n’y a pas de conflit entre mystiques, mais avec leurs environnements! Le Mémoire sur le Quiétisme adressé à Madame de Maintenon, Auteur inconnu, informe sur toutes les relations de Madame Guyon, en l’an 1695, incluant les personnes du peuple et indique la façon de s’y prendre, en commençant par les témoins défavorables, afin de pouvoir faire pression sur les autres. (Madame Guyon, Correspondance II Combats, 2003, pièce 504).

338 Circonstances rapportées par Jean Orcibal en introduction à Benoît de Canfield, La Règle de Perfection – The rule of Perfection, P.U.F., 1982. De même Surin face à Chéron. De même l’épreuve subie par Marie des Vallées. De même la mise sous interdit du couvent de Jourdaine de Bernières.

339 Lettre de Mectilde à Bernières, 26 avril 1646.

340 Lettre de Mectilde à Bernières, 10 avril 1646.

341 Madame GUYON, Correspondance, Tome II Années de Combat, pièce 478 «Déposition de “F. Paulin d’Aumale, religieux du couvent de Nazareth, ce 7e de juillet 1694. Ecce coram Deo, quia non mentior.” — A. S.-S., Fénelon, Correspondance, XI1, f ° 37, “copie de la déclaration du P. Paulin contre Mme Guyon”. – Fénelon, 1828, vol. 7, lettre 36.

342 Madame GUYON,, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, op.cit., «5,3 Histoire des dernières années» (ms. de Lausanne TP 1154), 1022-1023.

343 Jules CHAVANNES, Jean-Philippe Dutoit (1865), Kessinger Legacy Reprints - D. Tronc, Écoles du Cœur au siècle des Lumières, Disciples de madame Guyon & Influences, «Les filiations suisse et germanique», coll. «Chemins mystiques».

344 A. FAVRE, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911, 115-118 : «Inventaire et Verbal de la saisie des livres et écrits de M. Dutoit».

345 (Re)découverte : car déjà Pourrat étudiait le discret Bertot précédant Madame Guyon (Dict. Spir. art. «Bertot»; La Spiritualité Chrétienne, Lecoffre, 1947, tome IV, p. 183-195) ; Baruzi suggérait d’étudier les cercles tardifs du XVIIIe siècle (Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, 1931, 442 note 1) ; Luypaert aborde les «précurseurs» (p.25, n.2), dont l’influence du capucin Benoît de Canfeld (p.26, n.3) dans La doctrine spirituelle de Bernières et le quiétisme, RHE, 1940.

346 La structure diverge à partir de l’Ermitage  en Nouvelle-France, à Paris et en Europe, enfin cachée au sein de l’ordre religieux fondé par Mectilde.

347 BOUDON, “Vie de Chrysostome” (1684), in Œuvres (Migne), col. 1275.

348 Lettre du 15 février 1647 de Bernières à Mère Mectilde. – Sur cette dernière : Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, Un florilège établi par D. Tronc avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, coll. «Mectildiana», Parole et Silence, 2017.

349 Lettre à la Mère Dorothée de Ste Gertrude (Heurelle), ms de Tourcoing actuellement à Rouen, vol. 5, p. 219.

350 Lettre du 13 mai 1654 de Bernières à Mère Mectilde.

351 BOUDON, op.cit., col. 1316. — Autre exemple de partage : Jean de Bernières, Lettre du 30 août 1657 : «Je ne manquerai pas durant votre retraite d’avoir un soin très particulier de vous devant Notre Seigneur, afin qu’il achève en vous ce qu’il a si bien commencé. Dans votre solitude tenez votre âme dans le repos que Dieu lui communique, sans l’interrompre pour faire quelque lecture que ce soit, ou des prières vocales que lorsque vous en aurez facilité. Dans ce divin repos, votre âme reçoit une union spéciale et secrète avec Dieu, et en cette union consiste principalement votre oraison.»

352 BOUDON, op.cit., col. 1317.

353 Cf. Jean, 12, 32.

354 Jacques Bertot Directeur mystique, coll. «Sources mystiques», Editions du Carmel, Toulouse, 2005, Lettre 4.75. Perte de tout en Dieu.

355 Jacques Bertot Directeur mystique, Lettre 4.71. Silence devant Dieu.

356 Madame GUYON, Correspondance II, Lettre 222. À Nicolas de Béthune-Charost. Octobre 1694.

357 «Supplément à la vie de madame Guyon…» (ms. de Lausanne TP 1155), p. 1006 de Madame GUYON, La Vie..., op.cit.

358 Madame GUYON, Discours sur la vie intérieure, Collection «Sources mystiques», Ed. du Centre Jean-de-la-Croix, Tome II, Discours 2,65 = Madame Guyon, Écrits sur la Vie Intérieure, Arfuyen, 2005, «10 États apostolique...», pp. 124-125.

359 Madame GUYON, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, 2003, Lettre 0.  À Fénelon. Été 1690.

360 Madame GUYON, Correspondance, Tome I, Directions spirituelles, op.cit., 495 Lettre à Fénelon écrite au début avril 1690. – « L’esprit directeur » est tiré du Psaume 50, 13-14 : « …affermissez-moi en me donnant un esprit de force / J’enseignerai vos voies… »

361 La Marvalière ? « L’association d’idées serait d’autant plus naturelle que celui-ci était le secrétaire du duc de Beauvillier. » [note de Jean Orcibal].

362 Madame GUYON, Correspondance, Tome I, Directions spirituelles, op.cit., Lettre 266. De Fénelon. 25 mai 1690.

363 Saint Jean de la Croix : « ...l’ame demeure par fois comme en un grand oubly ; de sorte qu’elle ne sçauroit dire apres où elle estoit, ny ce qui s’est fait, & il ne luy semble pas qu’aucun temps se soit passé en elle. D’où il se peut faire, et il arrive ainsi, que plusieurs heures se passent en cet oubly ; & que l’ame revenant à soy, cela ne luy semble pas un moment. » (La Montée du Mont Carmel, Livre II, chapitre XIV, p.58 – « Et comme Dieu n’a point de forme, ny image qui puisse estre comprise par la mémoire [...] elle demeure comme sans forme et sans figure [...] en grand oubly, sans se souvenir de rien. » Livre III, Chapitre I, p.112. (Les Œuvres spirituelles du B. Père Jean de la Croix [...], Paris, Jacques D’allin, 1665.

364 Jeanne-Marie GUYON, Explications de la Bible, L’Ancien Testament et le Nouveau Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, introduites et annotées par D. Tronc, Paris, Phénix, 2005, « Explication sur saint Matthieu », chap. XVIII, verset 20 « En quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes rassemblées en mon nom, je m'y trouve au milieu d'elles » pages 240-241. -- De même Jean de Saint-Samson cité par Madame Guyon dans ses Justifications I, « clef VIII Communications », Autorité 12 : « Votre Révérence sait assez comme les cœurs se parlent mutuellement, et comme quoi tant plus ils sont éloignés dans plus ils s'unissent et parlent ensemble. Ce qui est d'autant plus vrai entre nous, que notre affection est simple et unique en Dieu dans lequel nous vivons. Nous conversons ainsi mutuellement en simplicité d'esprit, par-dessus tout ce qui se peut dire des présents et divers événements ; d'autant que ce que nous transférons l'un à l'autre est vie en la même vie de Dieu, l'amour duquel nous ravit sans cesse à l’aimer et à nous perdre en lui jusqu'au dernier point possible. Encore que nous apercevions du désordre dans ce siècle, c'est néanmoins à quoi nous ne pensons point, laissant les événements tels qu'ils puissent être à la providence divine. Lettre 8 [de Jean de Saint-Samson]. »

365 Madame GUYON, Discours sur la vie intérieure, op.cit., Discours 2.64, p. 232.

366 Discours sur la vie intérieure, op.cit, Discours 2.68. (v. aussi Discours 2.67.)

367 Discours sur la vie intérieure, op.cit, Discours 2.61. = Écrits sur la Vie Intérieure, op.cit., pp. 105-107.

368 Discours sur la vie intérieure, op.cit., Discours 2.64 = écrits sur la Vie Intérieure, op.cit., pp.114-116.

369 Madame GUYON & François de FÉNELON, Florilège mystique/Les «Justifications», Édition intégrale, Chemins mystiques, A paraître, «VIII. Communications. Conversations», commentaire au Cantique, chap.7 vs.8.

370 Florilège mystique/Les «Justifications», op.cit., «XXI. Fécondité spirituelle sans sortir de l’Unité divine», commentaire au Cantique, chap.4 vs.11.

371 Cette citation et la précédente : Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit., Discours 2.67 = écrits sur la vie intérieure, op.cit., pp. 147-149.

372 Madame GUYON, Correspondance, Tome II Combats, Lettre 404. «À la Petite Duchesse». Juin 1697, p. 591. «Petite duchesse» non par sa taille, mais comme cadette de sa famille.

373 Correspondance II, op.cit., Lettre 428 «A la Petite Duchesse». Septembre 1697.

374 Marie-Anne de Mortemart (1665-1750 ) ... La «petite duchesse» en relation avec Madame Guyon, Fénelon et son neveu, « Chemins mystiques », 2016.

375 «... There is one there whom I believe L.F. and his br. [/note1] have seen, Md La D. de G—che [/note2] . . . who is much esteem’d by all the friends of that side as inheriting most of N.M.’s spirit.» (D. Henderson, Mystics of the North-east, Aberdeen, 1934 [réédité 2016, coll. “Chemins mystiques”], in “Lettre XLVIII [From Dr. James Keith to Lord Deskford]”. [/note1 :] «Lord Forbes and his brother [James]», [/note2 :] «cf. Cherel, Fénelon au XVIIIe siècle en France, p. 163, quoting a letter which says : priez pour moi —, et obtenez les prières des personnes les plus intérieures de votre connaissance, surtout celles de Madame de Guiche... le duc de Guiche took the title duc de Gramont in 1720...»

376 Marie-Anne de Mortemart née Colbert +1750; Marie-Christine de Noailles, duchesse de Gramont «La colombe» +1748. Proches d’Isaac Dupuy + apr.1737 et du Marquis de Fénelon 1688-1746. — Ce sont les quatre figures du cercle parisien qui vivent jusqu’au milieu du XVIIIe siècle.

377 Écoles du Cœur au siècle des Lumières, op. cit. ; Dominique et Murielle Tronc, Expériences mystiques en Occident IV. Une École du Cœur, à paraître.

378 Le «Roi Catholique» étant celui d’Espagne.

379 Experimental Theology in America, Madame Guyon, Fénelon, and their readers de Patricia A. Ward couvre et Madame Guyon et le Nouveau Monde...

380 Transmission by mystical directors was presented in «Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon», XVIIe siècle, PUF, n° 1-2003, 95-116, http://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2003-1-page-95.htm).

I realised that it was necessary to situate this transmission and support it by means of texts produced by devotees in these networks of friends. Texts needed by those interested in Madame Guyon are now available. They are published in two collections: «Sources mystiques» (published by the «Centre Jean-de-la-Croix») and «Chemins mystiques» (online Internet purchase. See the site http://www.cheminsmystiques.com)

Some titles in addition to the sources of this study cited below are: Les Amis des Ermitages de Caen & de Québec, D. Tronc, Dossier, «Chemins mystiques», 2016 — Archange Enguerrand (1631-1699), directeur franciscain récollet et «Bon religieux» auprès de Madame Guyon, Dossier, «Chemins mystiques», 2017 — François Lacombe (1640-1715), Vie, Œuvres, Épreuves du Père Confesseur de Madame Guyon, Sources, «Chemins mystiques», 2016. A synthesis will appear shortly: Dominique et Murielle Tronc, Expériences mystiques en Occident IV. Une École du Cœur.

381 D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle. Tome I. Introductions, Florilège issu de Traditions franciscaines (Observants, Tiers Ordres, récollets), Centre Saint-Jean-de-la-Croix, «Sources mystiques», 2014.

382 Jean de Bernières, Œuvres mystiques II Correspondance, Letters and Maxims introduced and commented by Dom Éric de Reviers, o. s. b., H.C. (to be published by Parole et Silence), Letter of 13 May 1654 addressed to Mother Mectilde (1614-1698) who was suffering from not agreeing with Father Père Lejeune S. J.

383 Françoise-Renée de Lorraine, Madame de Guise, abbess from 1644 to 1669. She had Bertot's Conclusion des retraites [...] published.

384 Bertot was the leader of the «little flock » for a Saint-Simon who was reliably informed by his friends the Dukes of Chevreuse and Beauvilliers : «[on pouvait] entendre un M. Bertau à Montmartre, qui était le chef du petit troupeau qui s’y assemblait et qu’il dirigeait» [one could hear at Montmartre a M. Bertau, who was the head of the little flock which gathered there, and which he directed] (Mémoires, éd. Boislisle, t. XXX, p. 71).

385 Jacques Bertot Directeur mystique, «Sources mystiques», D. Tronc, Editions du Carmel, Toulouse, 2005; Rencontres autour de Monsieur de Bernières (1603-1659) Mystique de l’abandon et de la quiétude, coll. «Mectildiana», Parole et Silence, 2013; Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, coll. «Mectildiana», Parole et Silence, 2017; exchanges betweene Mectilde and Bernières in: Jean de Bernières, Œuvres mystiques  II Correspondance, Lettres et Maximes, introduced and commented by Dom Éric de Reviers, o. s. b., Parole et Silence (forthcoming shortly). — There was clearly a whole network of relations between the members of the Hermitage group. They extended towards other devotees, including Marie des Vallées, a simple but very influential figure. The links were interwoven: a passage from a letter by Bertot was addressed to Jean Eudes, who had been aided by the Abbess of Montmartre, who appreciated and published a work by Bertot...

386 Jean de Bernières, Œuvres mystiques II Correspondance, op.cit.

387 Madame Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Critical edition with introduction and notes by D. Tronc, Literary study by Andrée Villard, Paris, Honoré Champion, coll. «Sources Classiques», 2001, 2014, 1.19.1.

388 Four volumes published in Holland by Poiret's partners (Madame Guyon and Pierre Poiret died in 1717 and 1723 respectively).

389 Le directeur Mistique [sic] ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guion...., 4 vol., 1726. : here vol. I, « Foreword » — The suspension points represent cuts making it possible to retain only the rare passages giving biographical details; they are spread over four pages [4] to [7].

390 Correspondance I Directions spirituelles, 2003, Letter 22 addressed to the subtle Count Metternich.

391 Madame Guyon, Correspondance, Tome II Années de Combat, Critical edition drawn up by D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. «Correspondence», 2004, «194. Letter to the Duke of Chevreuse, 11 September 1694’. — Franciscan influence through the meeting with “the good Franciscan" after returning from the Alverne (La Verna).

392 The conflict was not between the mystics, but with their surroundings! The Mémoire sur le Quiétisme adressé à Madame de Maintenon, Auteur inconnu, provided information on all Madame Guyon's contacts in  1695, including ordinary people, and indicated how to approach them, starting with unfavourable witnesses so as to be able to put pressure on the others… (Madame Guyon, Correspondance II Combats, Champion-Slatkine, 2003, item 504).

393 Circumstances reported by Jean Orcibal in the introduction to Benet of Canfield, La Règle de Perfection – The rule of Perfection, P.U.F., 1982. Similarly, Surin faced with Chéron. Equally, the ordeal suffered by Marie des Vallées. And again, the interdiction placed on Jourdaine de Bernière's convent, which delayed the publication of Lettres et Maximes.

394 Jean de Bernières, Œuvres mystiques  II Correspondance, Lettres et Maximes, op.cit., Letter from Mectilde to Bernières dated 26 April 1646.

395 Ibid., Letter dated 10 April 1646 from Mectilde to Bernières.

396 Correspondance, Tome II Années de Combat, op.cit., item 478 «Statement by “F. Paulin d’Aumale, monk of the monastery of Nazareth, 7 July 1694. Ecce coram Deo, quia non mentior.” — A. S.-S., Fénelon, Correspondence, XI1, f ° 37, “copy of the statement by Fr. Paulin against Mme Guyon”. – Fénelon, 1828, vol. 7, letter 36. The copy is preceded, f° 35, by a note from the Bishop of Chartres to Tronson dated 4 July 1694 : “Sir, I am requested to advise you not to show the two copies containing opinions on the books by M. G [uyon] […]”. On this statement, see Madame Guyon's letter of 10 December 1694 to the Duke de Chevreuse, item 255 : “The more I think about Fr. Paulin's letter, the more convinced I am that he misunderstands and confuses everything…" -- Fr. Paulin remains a notable spiritual author (La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle. Tome I., coll. ‘Sources Mystiques’, 2014, pages 203-214).

397 Madame Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, op.cit., «5,3 History of the last years» ( Lausanne ms.TP 1154), 1022-1023.

398 Jules Chavannes, Jean-Philippe Dutoit (1865), Kessinger Legacy Reprints - D. Tronc, Écoles du Cœur au siècle des Lumières, Disciples de madame Guyon & Influences, «The Swiss and Germanic transmissions», coll. «Chemins mystiques».

399 A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911, 115-118 : «Inventory of and report on the seizure of books and writings from M. Dutoit».

400 A very modest «library» found in the little room where Dutoit lived: «[...] Works by Saint Theresa (N.B. Belongs to Mr Grenus.)/The Bible of Martin [Luther]. /The Imitation of A Kempis.»

401 (Re)discovery: because Pourrat was already studying the discreet Bertot who preceded Madame Guyon (Dict. Spir. art. «Bertot»; La Spiritualité Chrétienne, Lecoffre, 1947, Vol. IV, p. 183-195). Baruzi suggested studying the later circles in the eighteenth century (Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, 1931, 442 note 1). Luypaert refers to the «precursors» (p.25, n.2), including the influence of the Capuchin Benet of Canfeld (p.26, n.3), for not everything came from Molinos! (La doctrine spirituelle de Bernières et le quiétisme, RHE, 1940, not the best date for the work to become widely known). Etc.

402 Collections «Chemins mystiques» (published on the Web), and «Sources mystiques» (published by the Centre Jean-de-la-Croix).

403 Not a flat graph if the cross-relations are taken into account. In addition, from the Hermitage the structure diverges into three branches existing separately, in Nouvelle-France, at Paris and in Europe, and is finally hidden with the religious order founded by Mectilde (her archives make it possible to check the printed matter and find relations with the branch of quietude).

404 Boudon, “Vie de Chrysostome” (1684), in Œuvres (Migne), col. 1275.

405 Jean de Bernières, Œuvres mystiques II Correspondance, op.cit., Letter dated 15 February 1647 to Mother Mectilde. -- « a saint» whom Madame Guyon knew, another link which runs through the century : Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, An anthology drawn up by D. Tronc with the aid of nuns of the Institute of Benedictines of the Blessed Sacrament, coll. «Mectildiana», Parole et Silence, forthcoming.

406 Letter to Mother Dorothée de Ste Gertrude (Heurelle), ms from Tourcoing, now at Rouen, vol. 5, p. 219.

407 Letter of 13 May 1654 to Mother Mectilde, who was suffering from not being in agreement with Father Lejeune s. j.

408 Boudon, op.cit., col. 1316. — Another example of sharing: Jean de Bernières, op.cit., Letter of 30 August 1657 : «May Jesus be our all for ever. I shall not fail during your retreat to take particular care of you before Our Lord, so that he may complete in you what he has so well begun. In your solitude, keep your soul in the repose which God communicates to it, without interrupting it for any reading, or for vocal prayers except when you can do so easily. In that divine repose, your soul receives a special and secret union with God,and your inner prayer consists mainly in that union.»

409 Boudon, op.cit., col. 1317.

410 cf. Jean, 12, 32.

411 Jacques Bertot Directeur mystique, Texes presented by D. Tronc, coll. «Sources mystiques», Editions du Carmel, Toulouse, 2005, Letter 4.75. Loss of everything in God. In Le Directeur Mystique, 1726, vol. IV, letter 75.

412 Jacques Bertot Directeur mystique, Textes présentés par D. Tronc, op.cit., «Letter 4.71. Silence before God».

413 Madame Guyon, Correspondance II, Letter 222. To Nicolas de Béthune-Charost. Octobre 1694. — It takes a very simple mind to appreciate her output of poems based on popular tunes, songs to occupy a winter evening. A mystical "immersion" can take place unexpectedly, without effort: "they felt so attracted...»

414 «Supplement to the life of Madame Guyon…» (Lausanne ms. TP 1155), p. 1006 from La Vie…, op. cit.

415 Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, presented by Murielle and Dominique Tronc, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, Collection «Sources mystiques», Tome II, Discours 2,65 = Madame Guyon, Écrits sur la Vie Intérieure, Arfuyen, 2005, «10 Apostolic States...», pp. 124-125.

416 This refers to spiritual paternity.

417 Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, Critical edition established by D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. «Correspondances», 2003, Lettre 0.  À Fénelon. Été 1690.

418 Madame Guyon, Correspondance, Tome I, Directions spirituelles, op.cit., 495 (Letter to Fénelon written at the beginning of April 1690). – The « Spirit of direction» is taken from Psalm 50, 13-14 : « …strengthen me with a perfect spirit / I will teach thy ways… »

419 La Marvalière? As he was the Duke of Beauvillier's secretary, the association of ideas would be all the more natural. [note by Jean Orcibal].

420 Madame Guyon, Correspondance, Tome I, Directions spirituelles, op.cit., Letter 266. From Fénélon, 25 May 1690.

421 Saint John of the Cross: « ...the soul rests sometimes in a great forgetfulness, so that it could not say where it was, nor what it did there, and it does not seem to it that any time has passed in it. Thus it can happen, and sometimes it does, that several hours pass in that forgetfulness; and when the soul returns to itself, it seems that only a moment has passed. » (The Ascent of Mount Carmel, Book II, chapter XIV, p.58 – « And as God has neither form nor image which may be understood by the memory [...] it remains as if without form and without figure [...] in great forgetfulness, without remembering anything. » Book III, Chapter I, p.112. (Translated from Les Œuvres spirituelles du B. Père Jean de la Croix [...], Paris, Jacques D’allin, 1665.

422 Jeanne-Marie Guyon, Explications de la Bible, L’Ancien Testament et le Nouveau Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, with an introduction and notes by D. Tronc, Paris, Phénix, 2005, «Explanation on Saint Matthew », chap. XVIII, verse 20 (« Wherever two or three are gathered together in my name, there am I in the midst of them ») pages 240-241. -- Similarly Jean de Saint-Samson, cited by Madame Guyon in her Justifications I, «key VIII Communications », Authority 12 : « Your Reverence well knows how hearts speak mutually to each other, so that the further apart they are, the more they unite and speak together. This is all the more true between us, as our affection is simple and unique in God in whom we live. Thus we converse with one another in simplicity of mind, above all that may be said of current and various events; the more so since what we transfer to one another is life in the life of God Himself, whose love unceasingly inspires us to love Him and lose ourselves in him to the utmost possible point. Even though we may perceive some disorder in these times, nevertheless we do not think about it, leaving events, however they may be, to divine providence. Letter 8 [from Jean de Saint-Samson]. »

423 Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit., Discourse 2.64, p. 232.

424 Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit, Discours 2.68. (v. also Discourse 2.67.)

425 Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit, Discourse 2.61. = Écrits sur la Vie Intérieure, op.cit., pp. 105-107.

426 Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit., Discourse 2.64 = écrits sur la Vie Intérieure, op.cit., pp.114-116.

427 Madame Guyon & François de Fénelon, Florilège mystique/Les «Justifications», Complete edition, Chemins mystiques, HC, 2017, «VIII. Communications. Conversations», Commentary on the Song of Songs, chap.7 vs.8.

428 Mystical anthology/«Justifications», op.cit., «XXI. Spiritual fecondity without leaving the divine Unity», Commentary on the Song of Songs, chap.4 vs.11.

429 Which she knew exceptionally well, as shown by a list of her citations which cover every aspect of the Bible: she commented it from her youth in over eight thousand pages (the famous "automatic writing").

430 This and the previous citation: Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit., Discourse 2.67 = écrits sur la vie intérieure, op.cit., pp. 147-149.

431 Jn 4, 10.

432 Jn 7, 37–38.

433 Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit., Discourse 2.67 = Ecrits sur la vie intérieure, op.cit., p. 150.

434 Madame Guyon, Correspondence, Volume II Combats, op.cit., Letter 404. «To the Little Duchess». Juin 1697, p. 591. «Little duchess» not because she was small, but as the youngest member of her family. On the well-attested « Mortemart spirit»  Mémoires de Saint-Simon concernant Fénelon, Madame Guyon et leurs proches, dossier, coll. «Chemins mystiques».

435 ?: «bonnes et saintes âmes» ("good and holy souls') crossed out and difficult to read (corrected from Correspondance II p.591).

436 D. Tronc, Écoles du Cœur au siècle des Lumières, Disciples de madame Guyon & Influences, op.cit.

437 Madame Guyon, Correspondance II, op.cit., Letter 428 «To the Little Duchess». September 1697.

438 Madame Guyon, Correspondance II, op.cit., Champion — Marie-Anne de Mortemart (1665-1750)... La «petite duchesse» en relation avec Madame Guyon, Fénelon et son neveu (The "Little Duchess" in contact with Madame Guyon, Fénelon and his nephew), Dossier put together by D. Tronc, 2016, pub. online.

439 «... There is one there whom I believe L.F. and his br. [/note1] have seen, Md La D. de G—che [/note2] . . . who is much esteem’d by all the friends of that side as inheriting most of N.M.’s spirit.» (D. Henderson, Mystics of the North-east, Aberdeen, 1934 [republished 2016, coll. “Chemins mystiques”], in “Letter XLVIII [From Dr. James Keith to Lord Deskford]”. [/note1 :] «Lord Forbes and his brother [James]», [/note2 :] «cf. Cherel, Fénelon au XVIIIe siècle en France, p. 163, quoting a letter which says"priez pour moi —, et obtenez les prières des personnes les plus intérieures de votre connaissance, surtout celles de Madame de Guiche... le duc de Guiche a pris le titre de duc de Gramont in 1720...»

440 Marie-Anne de Mortemart née Colbert +1750; Marie-Christine de Noailles, duchesse de Gramont «The Dove » +1748. Close to Isaac Dupuy + apr.1737 and the Marquis de Fénelon 1688-1746. — These are the four members of the Parisian circle who lived until the middle of the eighteenth century. See the Annex : «List of Contacts».

441 Ecoles du Cœur au siècle des Lumières, op. cit. ; Dominique and Murielle Tronc, Expériences mystiques en Occident IV. Une École du Cœur, H.C., forthcoming [Quiétismes; I L’école du cœur en France et Nouvelle-France 1601-1671 : École du cœur and Bernières, L’Ermitage, Bertot, Canada; II Mme Guyon, Fénelon and their friends 1648-1717 : Mme Guyon, Fénelon, The Work, the Way; III Transmissions -1792 : France, Scotland, Holland, Switzerland & Germany; IV Influences : Catholic, Protestant, Echos in the nineteenth century, Echos in the twentieth century].

442 The « Catholic King » being the King of Spain.

443 The list uses a 'transversal view' which is not used in the 'vertical' presentation of the transmission which is the subject of this contribution. This list is reduced here by selecting from a turba magna [great crowd] which needs further examination. Some fifty figures are clearly identified Synthesis: Dominique et Murielle Tronc, Expériences mystiques en Occident IV. Une École du Cœur. (a forthcoming collection). For dossiers on some figures, see : coll. «Chemins mystiques». (Web).

444 Fortunately, Experimental Theology in America, Madame Guyon, Fénelon, and their readers by Patricia A. Ward covers both Madame Guyon and the New World...

445 Références aux sources en bibliographie concluant cette contribution.

446 Madame Guyon, Vie par elle-même, Première partie , chapitre 19, §1.

447 Lettre 30, 1674 (?). Madame Guyon, Correspondance, Tome I , extrait, 107.

448 Lettre 26, Ibid.,100.

449 Lettre 27, Ibid., 101.

450 Lettre 28, avant octobre 1674. Ibid., 103.

451 Lettre 29, Ibid., 105.

452 Lettre 24, Ibid., 92.

453 Ruusbroec l’Admirable, La Pierre brillante, Traduction et commentaire par le P. Max Huot de Longchamp, ‘Sources mystiques’, Centre Saint-Jean-de-la-Croix - Editions du Carmel, 2010, 2.1.3. « Conclusion sur la vie contemplative », 43-44.

454 Lettre 34. Avant 1678, Ibid., 118.

455 Madame Guyon, Oeuvres mystiques, Edition critique présentée par D. Tronc, Etude de M. Tronc, Etude du P. Max Huot de Longchamp, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2008 , section « Les Torrents », Chapitre IV, 167.

456 Madame Guyon, Correspondance, Tome II, op.cit., Lettre au duc de Chevreuse, 11 septembre 1694.

457 Madame Guyon, Correspondance, Tome I, Lettre 22, 1672.

458 Lettre 34. Avant 1678 .

459 Lettre 22, 1672.

460 J. Bertot, Opuscule III, « Profondeur des saints évangiles », § 11.

461 Lettre 30, 1674 (?)

462 Université de Genève, 23-25 novembre 2017, Colloque « Madame Guyon. Mystique et politique à la Cour de Versailles » (en instance de publication). Contribution par Mathieu da Vinha : « Mme Guyon et les réseaux à la cour de Versailles à la fin du XVIIe siècle (ca. 1685-1700) » [avec plan des appartements  situés dans l’aile gauche du château à proximité de Madame de Maintenon et du Roi].

463 Fénelon mystique, section « Duchesse de Mortemart », 297-352, coll. « Chemins mystiques» , H.C. - Marie-Anne de Mortemart 1665-1750, La « Petite Duchesse » en relation avec Madame Guyon, Fénelon et son neveu », coll. « Chemins mystiques», lulu.com 

464 Sabine Melchior-Bonnet, Fénelon, Perrin, 2008, « 9 L’évêque et son troupeau », « Une journée de l’archevêque », 290-296. - L’abbé Ledieu n’est pas suspect de complaisance.

465 Jeanne-Marie Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Honoré Champion, Paris, 2001, 2014, « Supplément à la Vie », 1005-1006.

466 De nombreuses sources inéditées sont téléchargeable sur www.cheminsmystiques.fr

467 Rencontres autour de Monsieur de Bernières (1603-1659) Mystique de l’abandon et de la quiétude, coll. «Mectildiana», Éditions Parole et Silence, 2013.

468 Les Amis des Ermitages de Caen & de Québec, dossier assemblé par D. Tronc, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 2015.

469 Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646), Du Tiers Ordre de Saint François d’Assise, Fondateur de l’Ecole du Pur Amour. Dossier de sources transcrites et présentées par Dominique Tronc. Lulu.com, coll. « Chemins mystiques », 2017.

470 Divers exercices de piété et de perfection / Composés par un religieux d’une vertu éminente et de grande expérience dans la direction des âmes, A Caen, 1654, exemplaire unique de la B. M. de Valognes, réf. C4837.

471 Jean de Bernières et l'Ermitage de Caen, une école d'oraison contemplative au XVIIe siècle. Lettres & Maximes. Tome I 1631 – 1646 / Tome II 1647 – 1659 , Edition critique présentée par Dom Éric de Reviers, o.s.b., Etude par J.-M. Gourvil, Lulu H.C., 2018, en instance de publication chez Champion.

472 Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, Moniale et fondatrice bénédictine au XVIIe siècle, florilège établi par D. Tronc avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, Parole et Silence, 2017.

473 Jean de Bernières, Le Chrétien intérieur, textes choisis suivis des Lettres à l’Ami intime, Texte établi et présenté par Murielle et D. Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2009. – Jean de Bernières, Œuvres Mystiques I, L’Intérieur chrétien suivi du Chrétien intérieur augmenté des Pensées, Edition critique avec une étude sur l’auteur et son école par D. Tronc, Ed. du Carmel, coll. « Sources mystiques », 2011.

474 Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, 2003 - Tome II Combats, 2004 – Tome III Chemins mystiques, 2005, D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances ». – Certains éléments ont été repris dans des correspondances « ciblées »  par destinataire : François Lacombe (1640-1715), Vie, Œuvres, Epreuves du Père Confesseur de Madame Guyon, Sources assemblées par D.Tronc, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 2016 ; Fénelon mystique, un florilège, par D. Tronc, lulu.com, H.C. ; Marie-Anne de Mortemart 1665-1750, La « Petite Duchesse » en relation avec Madame Guyon, Fénelon et son neveu, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », 2016.

475 Jacques Bertot Directeur mystique, D. Tronc, coll. « Sources mystiques », Editions du Carmel, Toulouse, 2005 ; exemplaires disponibles D.T. ; Epub téléchargeable sur www.cheminsmystiques.fr - Monsieur Bertot, Oeuvres, édition intégrale, H.C., 2019, en instance d’achèvement (volume considérable dont la plus grande partie est constituée de lettres : pp. 1-2300).

476 Bibliographie de ses éditions augmentée de leur reprise par le pasteur Dutoit-Membrini in Jeanne-Marie Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Honoré Champion, Paris, 2001, 2014, pp. 1103-1113.

477 Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde…, op.cit., chapitre « Histoire des transmissions », par sœur M.-H. Rozec, du monastère des Bénédictines du Saint-Sacrement de Craon.

478 Ecoles du Coeur au Siècle des Lumières, Disciples de Madame Guyon et leurs influences, D. Tronc, lulu.com – Expériences mystiques en Occident, tome IV Une Ecole du Coeur, « Filiations cis  et trans, lulu.com, à paraître chez Dervy.

479 Henderson, G. D., Mystics of the North-East, Aberdeen, printed for the Third Spalding Club, 1934, comportant étude et correspondances. Ouvrage rare disponible en réédition, lulu.com, coll. « Chemins mystiques ».

480Shah Abbas (1571-1629) fur le plus grand des Safavides – Plus tard Le 19 février 1715 à 11h00, Mehmet Riza Beğ, ambassadeur extraordinaire de Perse, fait son entrée au Château de Versailles, à cheval, avec sa suite, et accompagné de l’introducteur des ambassadeurs et du lieutenant des armées du roi. La foule a envahi l’avenue de Paris et les cours pour assister à la venue de cette visite exotique. On a dressé, dans la galerie des Glaces, quatre rangs de gradins pour accueillir les courtisans. - Plus tard, en 1721, la réception de l’ambassade de Perse servira de prétexte aux Lettres persanes de Montesquieu.

481 Conséquences des observations astronomiques et des expériences mécaniques de Galilée. Puis Pascal établit la possibilité du vide physique qui « fissure » le monde.

482 Les pasteurs Poiret puis Dutoit. Les suspicions « théologiques » furent levées en terres catholiques par Cognet, Orcibal, Le Brun, Gondal. L’œuvre bénéficie depuis 1990 d’éditions critiques. Elle est décrite dans Jeanne-Marie Guyon, La vie par elle-même…, Champion, Paris, 2001, « Bibliographies », 1103 sq. ; mise à jour dans Madame Guyon, Œuvres mystiques, Champion, Paris, 2009.

483 Chapitre XXIII du Moyen court et très facile pour l’oraison…, 1685, 1686, 1690, 1699. – Source de l’extrait présent : Madame Guyon, Œuvres mystiques, op.cit., « Moyen court », Chapitre XXIII, 64 sq.

484 Le Nouveau Testament de N.S.J.C. & Les livres de l’Ancien Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure…, vaste ensemble couvrant tous les livres de la Vulgate, rédigé en 1684 (publié en 1713 en 20 vol.). – Source de l’extrait présent : Madame Guyon, Œuvres mystiques, op.cit., « Évangile selon Matthieu, Chapitre V, 3. Bienheureux les pauvres d’esprit…» , 202 sq.

485 Hans-Jürgen Schrader, « Mme Guyon et le piétisme allemand », Rencontres autour de la vie de l’œuvre de Mme Guyon, Millon, Grenoble,1997, 83 sq.

486 Pr 5, 52.

487 Ps 114, 6 [116, 6].

488 Mt 19, 14.

489 Pr 9, 4-5.

490 Mt 11, 25.

491 Explications…, vol. I, Évangile selon Matthieu, 5.3 : « Bienheureux les pauvres d’esprit ; car le Royaume du ciel est à eux. » 

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